Une ovation pour la musique et le chant, des huées pour la mise en scène : la venue de Jules César aux Champs Elysées ne sera passée inaperçue !
Si l’ovation fut méritée – on a frisé l’idéal en matière vocale et instrumentale ! – les huées n’étaient pas forcément justifiées. Car, dans l’ensemble, on eut droit à ce qu’on appelle un « beau spectacle ».
Bon, dans l’affaire on oublie le XVIIIe siècle haendelien. On serait plutôt dans le XVIe arrondissement parisien. Le metteur en scène Damiano Michieletto vêtit César et Ptolémée en costumes trois pièces, Cléopâtre et la femme de Pompée en robes élégantes. Les serveurs sont en queues-de-pie. On est dans un monde chic. Tout cela est réjouissant. Seul Pompée est mal en point : sa tête est contenue dans une caisse sanguinolente. Il a été assassiné ! Dans la première partie du spectacle, l’action se déroule entre quatre murs blancs. De temps à autre, ceux-ci s’ouvrent et l’on découvre alors les silhouettes nues de trois Parques autour d’un olivier. On a l’impression de voir un beau tableau Renaissance.
Dans la deuxième partie du spectacle, les Parques – symbôles du destin qui avance – ont tissé un tel réseau de fils qui s’entrecroisent du sol au plafond et constituent à eux seuls un décor modern style. On voit alors l’antiquité s’inviter dans le débat : apparaissent des personnages en habits égyptiens, et même des divinités anciennes, aussi nues que sur les monuments égyptiens d’époque. Soudain – et là, les choses se gâtent – une bâche en plastique descend en guise de rideau de scène, semblable à celles que l’on voit sur les chantiers de travaux publics. Bonjour la poésie ! Plus tard, au moment des saluts, cette bâche se décrochera malencontreusement et tombera sur les acteurs en train de saluer ! Pas de chance avec la bâche ! Rideau…
© vincent pontet
Côté musique et chant, ce spectacle fut un total éblouissement.
L’interprétation de Gaëlle Arquez en Jules César fut somptueuse – chant intense, virtuose et nuancé, se déployant hardiment du grave à l’aigu, vocalisant avec brio, traduisant l’autorité ou la détresse du personnage.
Sabine Devielhe, en Cléopâtre, fut un festival à elle seule. On connaît sa voix aussi limpide qu’une source, claire, pure. Ce soir-là, elle s’éleva, lumineuse, jusqu’au contre-mi. Ses airs lents et ses pianissimos furent si beaux qu’elle plongea la salle dans une sorte d’extase.
Dans le rôle de la veuve de Pompée, la mezzo Lucile Richardot mérite autant d’éloges. Voix de velours aux reflets chaleureux, elle déploya un chant musicalement exemplaire, sans cesse chargé d’émotion et de sens.
Deux contre-ténors se trouvaient parmi les premiers rôles. On ne sait à qui attribuer les plus beaux lauriers : à Carlo Vistoli (Ptolémée), qui se répandit en vocalises pyrotechniques et fleurit son chant d’ornements éclatants, ou à Franco Fagioli, qui vocalise ou fait des trilles avec une aisance déconcertante, et qui passe avec une habileté d’acrobate de la voix de tête aux notes graves de la voix de poitrine.
Dans ce concert d’élite, la basse Francesco Salvadori s’imposa avec classe.
De même que le contre-ténor Paul-Antoine Benos-Djian ou la basse Adrien Fournaison.
Du premier au dernier rôle, une distribution d’élite !
Philippe Jarousky dirigeait son premier opéra. On l’attendait au tournant – ou plutôt dans la fosse ! Il fut admirable. Son excellent ensemble Atarsese est, bien sûr, rompu aux phrasés et au style baroques. Mais Jaroussky a une qualité supplémentaire : il sait prendre à tout moment les bons tempos. Cela, c’est l’un des secrets d’une interprétation réussie. Jarousky a fait son César. Il pourrait récupérer sa devise : « Veni, vidi, vici ». (« Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu »)