Ce soir-là, la Philharmonie allait être transformée en cathédrale. Sous les voûtes de la Salle Pierre Boulez allait résonner le monumental Requiem de Verdi.
Magnifique spectacle que celui de l’Orchestre de Toulouse en habit de grand soir, installé sur le plateau en gradins de la Philharmonie ! Belle image de la « province montée à Paris » ! Au dessus de la scène avaient pris place les quelque cent cinquante chanteurs du chœur espagnol Donostiarra – tous vêtus de noir, femmes ceinturées d’un foulard fuchsia – là où d’habitude est accueilli le public. La simple vision de cette foule de musiciens et chanteurs étalée sur plusieurs étages laissait présage quelque chose de grand.
Entrent le chef et les solistes. Jukka-Pekka Saraste s’avance vers l’orchestre et, d’un geste souple, déclenche aux violoncelles le cortège des notes mystérieuses par lesquelles commence la partition : mi, do, la, la, sol, fa, mi… A quoi le chœur répond en murmurant le mot « Requiem ». Les hommes d’abord, les femmes ensuite.
Aussitôt, le silence se fait dans le public. Ce silence demeurera pendant toute l’heure et demie que dure l’œuvre. Les silences d’une salle sont parfois plus éloquents que ses applaudissements pour traduire l’émotion d’un public. Ils furent ce soir-là la preuve d’un concert bouleversant. Ce silence demeura jusqu’à la fin de la pièce, lorsqu’après des sommets d’une intensité inouïe, la soprano énonce en parlant les mots « Libera me » repris par le chœur en un ultime murmure. Personne n’osait applaudir. Le public restait pétrifié d’admiration.
Entre temps, la musique de Verdi nous avait fait entendre le cataclysmique Dies Irae ouvert par l’explosion de ces quatre fameux accords de sol mineur, ou le fracas des cuivres et des percussions introduisant les trompettes du Jugement Dernier dans le Tuba mirum. Ces trompettes rugissantes dans le fond de l’orchestre rougeoyaient comme le soleil des morts.
Tout au long de l’œuvre on avait également entendu ces airs et quatuors bouleversants porteurs de paroles sacrées qu’on aurait pu entendre dans un opéra, qui ont fait qualifier cette œuvre d’« opéra en robe d’église ».
La soprano Susanne Bernhard qui nous avait paru bien pâle dans la première partie, montant facilement dans l’aigu mais étant dépourvue de graves, nous toucha par l’émotion grelottante, presqu’apeurée, qu’elle mit dans ce « Libera me ».
La mezzo Aude Extremo, au vrai timbre de contralto, fut tout simplement éblouissante. Elle domina le quatuor vocal.
Le ténor Airam Hernandez à la voix claire et bien conduite, nous gratifia d’un « Hostias » tout en pieuse sensibilité.
Vraie basse, solide et vibrante, Adam Palka faisait croire à l’incarnation d’une voix de prophète. « Mors, mors, mors… » répétait-il. Et tout s’éteignait autour de cette voix d’airain…
Entraînant sans effets de manche mais avec une souveraine efficacité ce chœur admirable et ce très bon orchestre, Jukka-Pekka Saraste a donné à ce Requiem la dimension monumentale qu’il réclamait. Il a fait brûler ce feu que Verdi a imaginé pour incendier son hymne funèbre.