La Biennale Là-Haut, aux propositions formidablement éclectiques, accueille, sous l’égide de la Barcarolle, dans le grand vaisseau blanc de la chapelle des Jésuites de Saint Omer, les formidables Vêpres de la Vierge de Monteverdi mises en espace par la compagnie La Tempête.
La Création lumière de Marianne Pelcerf évoque des Leçons de Ténèbres qui seraient comme inversées car bougies et boules à facettes font basculer le spectateur de l’ombre à la lumière au fil de la soirée. Dans cet espace mouvant, les chanteurs déambulent en un ballet au flux et reflux hypnotique. La spatialisation existe déjà dans la partition avec des effets d’échos ou de réponses entre les solistes ou les instruments. Quelle belle idée de la donner à voir comme à entendre ! Ce chemin spirituel incarné modifie l’écoute jusqu’à des instants assez extraordinaires où, entourés par les chanteurs, l’auditeur se trouve baigné de vibrations.
Soutenu par la Région Nouvelle Aquitaine, en résidence à Brive-la-Gaillarde – mais également au Théâtre de Compiègne – la compagnie affirme son tropisme méditerranéen en entremêlant la partition de Monteverdi de musiques vernaculaires du sud de l’Europe. Ces psaumes anonymes en faux-bourdons, extraits d’un manuscrit de la bibliothèque de Carpentras, évoquent l’Italie, la Sardaigne, la Corse. Ils témoignent des métissages entre chant monodique religieux et polyphonie populaire de l’époque. La trame, ici, en est si habile qu’il est difficile de distinguer musique savante et profane ; la fluidité domine et l’auditeur est emporté dans un flux aussi irrépressible que fascinant. Familier des croisements de répertoire, Simon-Pierre Bestion croit à la transversalité de cette musique traditionnelle qui lui semble la source la plus adéquate pour revivifier le répertoire « sérieux » par le langage oral. Il parvient ainsi à immerger le public dans un rituel jubilatoire quasi païen.
Car le chef d’orchestre sculpte cette matière sonore enveloppante avec une formidable virtuosité. Sa direction très engagée, rythmique et expressive, tire le meilleur des vingt-deux instrumentistes tout comme des vingt-et-un chanteurs réunis pour l’occasion. Monteverdi laissant beaucoup de liberté aux interprètes, il faut saluer la pertinence des choix d’orchestration qui font la part belle à l’émotion et à la sensualité.
Parmi les solistes, tous d’excellente tenue, mention spéciale à Amélie Raison au soprano limpide et suave qui s’accorde à merveille au mezzo généreux de Brenda Poupard. Edouard Monjanel et Francisco Manalich, pour leur part, sont deux ténors aussi différents que touchants, tandis qu’Eugénie de Mey s’impose comme une narratrice à l’émission particulièrement naturelle.
Cet « opéra sacré » enregistré en 2018 tourne désormais dans cette magnifique version scénographiée. Elle sera applaudie cette année aux Flâneries Musicales de Reims, au festival de Rocamadour, au MC2 Grenoble ou encore l’an prochain au festival de Saint Denis.
Programmée dans le cadre de la Nuit Là-Haut, cette soirée s’inscrivait décidément sous le signe de la magie et de rituels mystérieux puisqu’à la sortie du concert, les spectateurs étaient invités à suivre les spectres étranges de la compagnie Métalu à chahuter jusqu’au jardin de la Cathédrale investi par des silhouettes diaphanes, âmes errantes au cœur d’une scénographie baroque d’une grande poésie.