Deux de nos plus belles voix françaises, Karine Deshayes et Florian Sempey chantent du Rossini (airs d’opéras et mélodies tardives, extraites notamment des « Péchés de vieillesse »), sous le ciel de Provence dans le cadre charmeur de la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppèdes à Aix-en-Provence : voilà la recette d’un récital réussi.
Entendre Karine Deshayes, désormais revendiquée soprano, c’est prendre une leçon de chant. Tout est élégance dans sa façon de s’exprimer. La voix est ronde, souple, fraîche du grave à l’aigu. En plus de l’élégance, il y a de la coquetterie dans telle « Canzona spagnuola », de la malice dans l’ Italienne à Alger, de la délicatesse dans « Sombre forêt » de Guillaume Tell. Et infatigable avec ça, notre Karine Deshayes ! Elle vient d’achever une magnifique série de Huguenots à Bruxelles (voir l’article de Yannick Boussaert) et se prépare à une prise de rôle à Aix dans la Norma en concert (18 juillet).
Avec sa voix noble, puissante, corsée, Florian Sempey, lui, s’installe dans une mélodie comme dans un air d’opéra. Il joue un personnage. Le regard, les gestes rajoutent aux effets vocaux. Il multiplie les nuances, passant magistralement du mezzo voce à la pleine voix. Ainsi donne-t-il un surcroît d’intérêt à certaines mélodies qui, sans cela, paraîtraient quelque peu insignifiantes.
Il est évident que Rossini a été plus inspiré dans ses opéras que dans ses mélodies « de vieillesse », composées au moment où il se considérait comme un retraité. Ainsi, le concert culmina-t-il dans les airs et duos de l’ Echelle de soie, l’Italienne à Alger ou Guillaume Tell.
Dans un programme copieux que nous ne pouvons détailler, relevons :
Au niveau du chic, la « Chanson espagnole » dans laquelle Karine Deshayes nous a séduits.
Au niveau émotionnel, l’élégie du « Dernier soupir » (« Entends les derniers mots d’un homme qui meurt… ») auquel Florian Sempey a donné une dimension de tragédie antique.
Au niveau curiosité, voilà un extraordinaire défi de composition : l’« Adieu à la vie », chanté d’un bout à l’autre sur la seule et unique note do. Et pourtant, tout autour, le piano d’accompagnement effectue tant d’ornementations et de modulations autour de cette note, que le chanteur donne l’impression d’interpréter un véritable air. (Pour les spécialistes, la note do est ici la dominante de la tonalité de la partition, fa majeur, autour de laquelle s’articulent les modulations aux tons voisins).
Au niveau rareté, on vous propose la « Chanson de bébé » dans laquelle il est question de « pipi-caca » – mots que le chanteur fait résonner avec le même éclat qu’une note finale d’un grand air du « Barbier de Séville » !
L’accompagnement était assuré fidèlement mais sans éclat par la pianiste Daniela Pellegrino.
Tout se termina dans la bonne humeur avec le « Duo des chats », pour lequel, figurez-vous, Sempey se mit au piano. La nuit, paraît-il, tous les chats sont gris. Eh bien pas chez Rossini !