C’est une bien belle Armida en concert que le festival Rossini de Bad Wildbad vient d’offrir à son public de fidèles. Son infatigable directeur, Jochen Schönleber, a su réunir une fois de plus des talents à même de servir au mieux cet opéra mal aimé. Dans le rôle-titre, remplaçant Angela Meade primitivement annoncée, Ruth Iniesta ne convainc pas immédiatement parce que sa voix n’a pas la richesse harmonique pulpeuse qui gorge d’emblée les oreilles de l’auditeur de la sensualité du personnage. Mais si elle n’est ni Maria Callas ni Renée Fleming la cantatrice espagnole a tout le bagage technique nécessaire pour exécuter brillamment les traits de virtuosité multiples par lesquels Rossini a choisi de manifester l’aura de la magicienne. Entre ces prérequis et une volonté manifeste de faire vivre le personnage, dont témoignent mimiques et jeux de scène, outre l’engagement vocal, Ruth Iniesta impose progressivement sa personnalité et quand l’opéra se termine, dans la grande scène de désespoir, elle a gagné la partie : cette Armida mérite toute notre considération !
C’est aussi le cas de son Rinaldo, rôle dans lequel on retrouve Michele Angelini, dont la témérité vocale avait étonné et séduit dans Matilde de Shabran, et qui s’élance avec une fougue intacte dans les acrobaties, en risque-tout qui escalade et dévale les pentes sans esquiver les sauts périlleux. Cette intrépidité fait mouche et le public lui saura gré d’avoir généreusement osé aller à ses limites dans l’aigu, même si ce chant souvent en force n’aurait peut-être pas ravi Rossini. Belle prestation que celle de Moisés Marin qui donne un relief rare à Goffredo, son autorité vocale asseyant du même coup celle du personnage. En Gernando, le guerrier dont la frustration déchaîne la colère contre Rinaldo, Patrick Kabongo se pose une fois encore en interprète rossinien estampillé, tant son chant parvient à concilier les exigences expressives avec le souci d’une émission aussi souple que possible. Manuel Amati, dans le rôle d’Eustazio, le frère de Goffredo, César Arrieta et Chuan Wang, respectivement Ubaldo et Carlo, les paladins venus arracher Rinaldo aux sortilèges de l’enchanteresse, sont tous trois impeccables de musicalité. Un compliment que l’on adressera aussi aux deux voix graves, l’impressionnante basse Shi Zong, fidèle à Bad Wildbad, un Idraote aussi fourbe et sonore que souhaitable, et Jusung Gabriel Park, baryton-basse en chef d’une troupe de démons. Ce serait une faute de ne pas mentionner la qualité des ensembles, quels que soient les rôles, des seconds aux premiers.
Excellente participation des artistes du Chœur Philharmonique de Cracovie, aussi vigoureux ou caressants – il s’agit de leurs accents – que la partition le prescrit. Celle-ci est celle de l’édition critique établie pour la Fondation Rossini de Pesaro. José Miguel Pérez-Sierra la dirige avec l’énergie qu’on lui connaît sans rien sacrifier pour autant de la sensualité insinuante diffuse entre les éclats guerriers. L’Orchestre philharmonique de Cracovie lui obéit au doigt et à l’œil, et hormis quelques approximations dans le difficile passage pour cors de l’ouverture, on savoure chaque trait, les mélodies dévolues au violoncelle, au violon solo, les interventions de la harpe, le brillant des trompettes et la vigueur des trombones, l’exécution de la musique des danses du deuxième acte étant pour l’ensemble un moment privilégié où il brille de tous ses feux. Et reconnaître au passage des thèmes et des rythmes dont Rossini se souviendra pour Il viaggio a Reims et Moïse et Pharaon ne fait qu’ajouter au plaisir de l’auditeur comblé, qui en quelques mois a pu entendre dans le rôle-titre Karine Deshayes et Nino Machaidze (cf les cr de Christophe Rizoud dans la rubrique spectacles)