C’est un souci louable pour tous les festivals de chercher à mettre en valeur les atouts de la ville qui les héberge, et dont dépend une partie de leurs subventions. Cette considération entre-t-elle dans le choix de l’installation du Sonneberg pour cadre de concerts du festival Rossini ? Le lieu ne peut laisser indifférent : après un assez long parcours sur des passerelles bordées de solides garde-fous d’où le regard plonge dans des profondeurs obscures ou bien se heurte à l’ampleur des ramures des sapins immenses qui semblent monter une garde farouche silencieusement hostile aux intrusions de l’homme, on atteint une clairière. En son centre débouche un serpentin métallique évocateur de descentes-défis qui part du sommet défini par la hauteur des pieux métalliques géants auxquels s’accroche en tournant en ellipse autour du vide un large escalier de bois. Il faut l’emprunter et parvenir au haut pour jouir d’une vue sur la forêt spectaculaire.
Manquons-nous de romantisme ? Ou de ferveur spirituelle ? Probablement des deux. Pour nous le but du déplacement était l’audition de deux bijoux musicaux. La longue marche préalable et le lieu même du concert sont restés pour nous un sujet de perplexité. D’abord il a fallu piétiner au rythme de ceux qui avançaient lentement, soit à cause de difficultés physiques soit parce que, déjà en plein trip, ils inhalaient religieusement à chaque pas l’air de la montagne magique, soit parce qu’il leur plaisait de baguenauder. Ensuite il a fallu trouver son siège et découvrir que la hauteur du garde-fou allait contraindre à se tordre le cou sauf à décider de fermer les yeux. Peut-être du reste aurait-il mieux valu pour ne pas avoir l’œil attiré pendant le concert par les allées et venues de personnes présentes à des étages inférieurs. Par bonheur elles n’étaient pas bruyantes, mais…Il suffisait, pour le bruit, d’avoir des voisins ayant acheté au bas de l’escalier du mousseux dans des verres peut-être jetables et qui, oubliant qu’ ils les avaient déposés à leurs pieds, les faisaient rouler de temps en temps.
Le concert commençait par la merveilleuse symphonie de Haydn, sous-titrée Passion parce qu’elle aurait été achevée le dimanche ainsi appelé dans le calendrier liturgique. D’une précision irréprochable la direction d’Antonino Fogliani enchaîne avec une clarté qui est un baume les rythmes correspondant aux différents mouvements, et le jeu des musiciens de l’Orchestre philharmonique de Cracovie s’attache amoureusement à toutes les nuances attendues. Le tout est d’une élégance à laisser béat. Mais parfois on croit entendre une confidence plus qu’un aveu passionné : dans l’espace les cordes perdent de leur impact. Et l’on se reprend à s’interroger sur le bien-fondé du choix du lieu, quelle que soit son originalité, s’il pénalise une interprétation aussi belle.
Restait le Stabat Mater. Le surintendant Jochen Schönleber prit la parole pour décerner le diplôme Rossini in cima au musicologue Paolo Fabbri, éminent rossinien et donizettien, qui remercia d’un sourire et la cérémonie prit fin. C’est que la fraîcheur commençait à se faire sentir. Evidemment elle ne diminua pas pendant le Stabat Mater, mais elle ne changea rien aux déambulations déjà mentionnées aux étages inférieurs. Est-il besoin de dire combien ces conditions ont nui à notre écoute et à notre concentration ? De temps en temps la sonorité d’une voix, l’intensité expressive, la tension dramatique d’un accent, nous imposent la beauté qu’elles véhiculent, mais les sensations de déplaisir sont trop fortes pour qu’on réussisse à les oublier. Restent ces cuivres impérieux, ces basses grondantes, ces scansions qui instaurent l’inéluctable, et la montée inarrêtable de la fugue finale qui en dépit de ces circonstances si peu adéquates subjugue et balaie toute objection quant à la religiosité de cette musique, quant à nous tout au moins. Englobons dans la même reconnaissance les solistes, la soprano Serena Farnocchia, l’alto Aurora Faggioli, le ténor Michele Angelini, la basse Shi Zong, les artistes du Chœur Philharmonique de Cracovie, si émouvants a cappella et les instrumentistes de l’orchestre philharmonique de la même ville. Le maître d’œuvre souriait dans sa barbe : Antonino Fogliani était manifestement heureux. Le public l’était probablement aussi car ce serait vraiment avoir mauvais esprit que de supposer que c’était pour se réchauffer qu’il applaudissait si fort et si longtemps ! A moins qu’il n’ait eu le bonheur de vivre cette expérience mystique à laquelle nous n’avons pas accédé…Nous étions plus près du ciel ; mais plus près de Dieu ?