« We are women » chantent Alexandra Marcellier et Marie-Andrée Bouchard-Lesieur – un extrait de Candide qui conclut leur Instant Lyrique dans le foyer de l’Opéra Comique. Wonder women ! Soprano et mezzo, ce qui n’est guère parlant tant les deux tessitures abritent de catégories. Deux voix différentes bien que taillées dans le même bois – un acajou brun veiné de lignes rouges – ; deux cépages identiques – un syrah tannique aux arômes de cassis et aux notes épicées – ; deux tempéraments similaires, expansifs, généreux, qui attirent la lumière au risque d’aveugler ; deux personnalités.
Alexandra Marcellier a roulé sa bosse avant qu’en 2021, Butterfly à Saint-Etienne puis à Monte-Carlo la propulse sous les feux de la rampe. Une récente Victoire de la musique classique dans la catégorie révélation lyrique a validé ses acquis.
Comme elle, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur s’est formée au Conservatoire de Bordeaux. L’Académie de l’Opéra national de Paris lui a donné accès à de petits rôles (Troisième Dame dans La Flûte enchantée, Fille-Fleur dans Parsifal…) dont elle commence de s’affranchir pour entreprendre l’ascension du répertoire. Elle sera Mère Marie dans Dialogues des Carmélites en fin de saison à Bordeaux
Leur Instant Lyrique est à leur image : affirmé, prodigue et cependant structuré, pensé à la manière d’un voyage qui de Saint-Pétersbourg traverserait la Mitteleuropa pour s’achever en légèreté à Paris avec un peu d’Espagne autour. Atala et Rosaline, le dernier numéro du programme, est un duo bouffe composé par Auguste de Villebichot (1825-1898), un chef d’orchestre de cafés concerts. Château-Margaux auparavant est une zarzuela de Manuel Fernández Caballero (1835-1906).
Airs et duos alternent sans temps mort. Le violon de Yoan Brakha intervient pour napper de crème le café viennois – un arabica corsé, puissant – et pour rendre l’archet de Nicklause encore plus frémissant.
L’une – Alexandra Marcellier – aime les défis, les partitions qu’il lui faut dompter quitte à les brusquer, la sève abondante de l’air de Iolanta autant que le champagne de La Venus in Seide ou le Château-Margaux de Caballero bu au goulot un sourire narquois au bord des lèvres. L’agilité, inattendue chez un soprano aussi large pourrait lui ouvrir si elle le souhaite les portes du répertoire belcantiste. Norma en bis le laisse entrevoir.
L’autre – Marie-Andrée Bouchard-Lesieur – possède un timbre d’une rondeur enivrante, une vitalité et une musicalité qui ne demandent qu’à s’épancher sur scène. La beauté du son n’affecte pas la diction. Les grands rôles de mezzo affleurent, dans le répertoire français assurément – Dalila, Léonor – et peut-être au-delà. Nicklause paraît déjà étroit pour cette voix vorace. Il y a de la va-t-en-guerre wagnérienne dans l‘énergie indomptable avec laquelle « Hör ich Zymbalklange », le csárdás de Zigeunerliebe est harponné.
L’une et l’autre sont encore dans la démonstration. Servantes écarlates de l’art lyrique, il leur faut convaincre pour s’imposer, avant de partir en quête de sens : élargir le spectre expressif, baisser la garde pour trouver la nuance, ne pas céder à la tentation des décibels mais traquer l’émotion, oser le silence.
Elles ont pour les accompagner dans cette direction le piano d’Antoine Palloc, attentif comme à chaque fois, inventif, capable de les suivre dans leur cheminement en suggérant par la magie de ses dix doigts les humeurs et les climats des multiples paysages traversés.