Dur métier que celui de bouffon. Après avoir roulé sa bosse dans un cirque – Carsen, Aix-en-Provence, 2013 –, voilà Rigoletto embauché dans un studio de danse. La mise en scène de Richard Brunel, déjà présentée à Nancy et Luxembourg, a divisé la critique. Comme souvent, la volonté de transposition s’exerce à l’encontre du livret. Que de contorsions pour rendre plausible la pratique du pas de deux dans le foyer d’une MJC en lieu et place d’un bal à la cour de Mantoue. Mais une fois tout cartésianisme laissé au vestiaire, la proposition scénique a des mérites autres que l’originalité d’une idée de départ sur laquelle il est stérile de disserter.
A commencer par des mouvements réglés comme une figure de ballet – en toute logique – ; à continuer par l’ingéniosité de décors favorisant le changement des tableaux à vue – la loge translatée de cour à jardin – ; puis l’introduction d’un personnage supplémentaire, la mère de Gilda, rôle muet confié à la danseuse Agnès Letestu, prétexte à mouvements chorégraphiques d’une grâce et d’une poésie bienvenues dans une œuvre sinon cruelle. La mort sur la pointe des pieds de Gilda, devenue ballerine à son tour, accomplirait son office lacrymal si la direction de Ben Glassberg acceptait de laisser à la musique le temps de s’épancher. Étourdissant, le parti pris de vitesse se révèle sur la durée jugulateur d’émotions et source de décalages. Nul doute que les représentations suivantes devraient permettre à la lecture musicale de reprendre son souffle.
© Jean-Louis Fernandez
En attendant, anxiété d’un soir de première aidant, voici les chanteurs emportés dans un tourbillon qui les empêche de trouver leur meilleure respiration. C’est vrai pour Pene Pati dont la voix solaire rayonne moins qu’à l’accoutumée, altérée dans ses demi-teintes et coupée dans ses élans les plus lyriques, jusque dans le suraigu, imparable pourtant mais broyé par une machine orchestrale lancée à vive allure. C’est vrai pour Rosa Feola, obligée d’écourter la cadence de « Caro nome », limitée dans le choix des couleurs et l’usage de sa palette expressive, en deçà de capacités dont elle a fait montre jusqu’alors – sa récente maternité porte peut-être une part de responsabilité dans cette relative méforme. C’est vrai pour Sergio Vitale, dont l’aigu accuse une fragilité que le baryton sait mettre à profit pour sculpter d’un burin rageur un portrait de Rigoletto qui lui aussi aurait voulu dans le cantabile moins de vivacité pour mieux flatter un legato de violoncelle.
C’est vrai plus globalement du chœur – uniquement masculin dans Rigoletto –, remarquable d’homogénéité mais dont on aurait apprécié plus de contraste.
C’est vrai enfin des seconds rôles, eux aussi trop souvent obligés de faire assaut de décibels. Du Borsa percutant de Julien Henric au page délicieux d’Héloïse Poulet, les citer tous serait fastidieux. Mais, outre l’équilibre général du plateau, il faut mentionner la Maddalena féline de Katarina Bradić, Dalila sur la scène de l’Opéra national du Rhin il y a peu, et relever au passage l’ambitus impressionnant de Paul Gay, Sparafucile inquiétant que l’on voudrait ne pas avoir à croiser la nuit au détour d’une ruelle sombre.
Retransmission gratuite sur écran géant ce samedi 24 septembre, place de la Cathédrale à Rouen et partout en Normandie, d’autant plus recommandée que les quelques insuffisances inhérentes à ce soir de première devraient se conjuguer au passé.