Ce Nouvel an s’élargit à sept mois, puisque préparé à Grenoble, Châlons-en-Champagne, Massy avant d’être offert aux Parisiens, à la Maison de la Radio, repris ensuite à l’identique à Aix-en-Provence, Châteauroux, Bourges pour arriver à Dijon avant d’achever la tournée à Lieusaint, en passant par Chalon-sur-Saône, Caen et Compiègne. L’Orchestre National de France, le « National » pour les familiers, a entamé son troisième grand tour, avec pas moins de 11 étapes en dehors de Paris, ce qui légitime pleinement son appellation. On était donc en droit de redouter une certaine lassitude, après tant de reprises du programme de ce soir. Il n’en sera rien. L’enthousiasme, la concentration ne faibliront à aucun moment. De surcroît, la complicité entre le chef, l’orchestre et les solistes, sera idéale, confortée par cette expérience.
Dans le même registre, pour le Nouvel an, Genève avait honoré Offenbach avec Marina Viotti et Stanislas de Berbeyrac, les deux complices de la Périchole qui vient de triompher au Théâtre des Champs-Elysées. La production de Laurent Pelly sera reprise ici dans une semaine, l’Orchestre Dijon Bourgogne étant dirigé par Laurent Campellone, avec Antoinette Dennefeld dans le rôle-titre… Vive Offenbach !
Sans compter les bis, douze extraits, des ouvertures, des airs, des duos… toute la palette de la maturité du compositeur, entre 1858 et 1881. Chacun des solistes chantera deux airs et participera à trois duos (avec le premier bis), l’orchestre se réservant cinq ouvertures, la barcarolle des Contes d’Hoffmann, et le plus célèbre des galops, celui d’Orphée aux enfers. En effet, cet opéra-bouffe encadre la seconde partie du programme, de l’ouverture, au dernier bis, joyeusement scandé par la salle. Mais dès La Fille du Tambour-major, Enrique Mazzola s’impose comme un grand : sa direction, claire, dépouillée de tout artifice, dynamique, impose les contrastes, les phrasés et les tempi que chaque séquence appelle. Les modelés sont exemplaires d’élégance, de style, de retenue comme d’engagement. Toujours ça rêve, ça chante, ça danse jusqu’à l’ivresse. Les bois, pris individuellement ou en pupitre, nous donnent une belle leçon. Les couleurs, les équilibres, la souplesse et l’articulation, millimétrée, sont exemplaires. L’orchestre, survitaminé, ne se départira jamais de ces qualités. Sans énumérer toutes ses interventions, retenons la barcarolle des Contes d’Hoffmann, un bijou, et l’ouverture d’Orphée aux enfers, avec non seulement son solo de violon (magistral Luc Héry), mais aussi ses soli de clarinette, de hautbois, de violoncelle qui nous réjouissent. L’orchestre et son chef jouent, au meilleur sens du terme. Seule petite réserve : dans les tutti, les cordes, abondantes, altèrent quelque peu la perception des solistes, l’acoustique de la salle différant en présence du public. Le dernier air du programme, avec son « il grandira car il est Espagnol », prend une saveur toute particulière si l’on pense que le chef est né à Barcelone (*). C’est un grand, les musiciens ne s’y trompent pas…
Patricia Petibon chante « Ah ! quel dîner » © Camera Lucida-Radio France
De ce concert, on retiendra évidemment la maîtrise absolue du chant et du jeu de chacun des solistes, servis par des moyens superlatifs. Adorable comédienne, facétieuse, toujours flamboyante, dans une belle robe bleue pour la première partie, puis écarlate ensuite, Patricia Petibon fait montre d’une santé vocale incontestable : la voix est ample, épanouie, aux aigus insolents. Son aisance, sa liberté d’improvisation, vocale et corporelle, servent à merveille cette musique qui mêle à la joie débridée, à l’humour, des accents de tendresse et de mélancolie. A cet égard, par-delà les airs bien connus, on retiendra son duo du Signor fagotto, où, munie d’un plumeau, elle balaie toute la palette expressive.
Cyrille Dubois n’est pas en reste, dès les couplets du tailleur (La Fille du tambour-major), mais également dans l’air de Phaéton (Orphée aux enfers) où il est difficilement surpassable. La sûreté des moyens impressionne, le chanteur incarne idéalement chacun de ses personnages, avec mordant, servi par une singulière longueur de souffle et une langue qui s’inscrit dans la meilleure tradition du chant français.
Un mémorable début d’année, où le raffinement et l’allégresse le disputent à l’émotion. A revivre aux prochaines étapes de ce formidable tour !
(*) oublions un instant le nationalisme catalan.