Gustavo Dudamel, qui a surgi sur la scène internationale il y a déjà près de 20 ans en électrisant les salles avec le « Mambo » de West Side Story, bis échevelé du Simon Bolivar Youth Orchestra au sein duquel il s’est formé, est bien placé pour connaître les beautés et les subtilités de tout un corpus issu du nord et du sud du continent américain, et qui reste, en Europe, largement méconnu. Cette « Carte blanche » donnée au Palais Garnier, et diffusée en direct sur Arte Live Web, affichait clairement une double ambition : combler un peu de cet oubli, grâce à l’aura d’un ambassadeur idéal pour cette tâche, et donner la vedette à de jeunes chanteurs de l’Académie Lyrique de l’Opéra de Paris. Peut-être par souci de présenter différentes facettes de la musique espagnole, argentine ou brésilienne, peut-être pour montrer que ce répertoire ne se résume pas aux maracas et aux rythmes endiablés, Gustavo Dudamel fait le choix, en première partie, de pièces volontiers mélancoliques, qui se succèdent dans le plus grand calme. Commencer par les très chambristes Bachianas brasileiras n°5, où Villa-Lobos réduit l’accompagnement à douze violoncellistes constitue, à cet égard, une entrée en matière très éloquente, à laquelle Martina Russomanno prête son soprano souple et soyeux. Si son collègue Alejandro Balinas Vieites pâtit, dans le ténébreux « Oblivion » de Piazzolla, d’une sonorisation défectueuse, il montre une intégrité vocale et une projection impressionnante dans la belle et pathétique « barca vieja » de Salvador Codina. Margarita Polonskaya montre, dans « La Rosa y es Sauce » de Guastavino, un legato de très belle tenue, et Martina Russomanno revient pour un air des Goyescas de Granados, où la ligne de chant, sans atteindre à l’immatérialité qu’y trouvait naguère la jeune Natalie Dessay, s’épanouit avec délicatesse.
Surprise, cette première partie langoureuse se termine sur le tumulte farceur de l’« Ice cream sextett » de Kurt Weill, porté par l’abattage du ténor Thomas Ricart et l’énergie d’Andres Cascante. Après l’entracte, la même énergie anime Marine Chagnon, nommée parmi les Révélations des prochaines Victoires de la Musique classique : faire s’esclaffer la salle dans la scène de Dinah issue du Trouble in Tahiti de Bernstein est une chose, ne pas perdre son souffle dans cette avalanche de paroles et de sauts d’octaves en est une autre, mais elle réussit les deux. Comme elle réussit, un peu plus tard, un déchirant « A boy like that » en duo avec Margarita Polonskaya. Dudamel accompagne le tout en technicolor, à grands aplats de cordes onctueuses et de bois scintillants. C’est somptueux, mais ça manque quelquefois de nerfs et d’arêtes. Les rugosités de A fuego lento de Salgan et le spectaculaire « Times Square : 1944 » de Bernstein permettent cependant à l’orchestre de retrouver la vedette, avant que toute la troupe se retrouve pour Youkali de Kurt Weill – cette île qui, comme on le sait, n’existe pas, comme un pays qui rassemblerait l’Allemagne des cabarets, le Manhattan de l’entre-deux-guerres, l’Espagne de la zarzuela et le tango argentin…