Cecilia Bartoli côté cour, Philippe Jaroussky côté jardin : c’est sur la scène du Théâtre Grévin, niché au cœur du célèbre musée de cire où les stars de l’opéra côtoient Charles Aznavour et Roberto Benigni, que Hugh Cutting donnait lundi son premier récital parisien. Révélé par le Jardin des Voix en 2021, le jeune contre-ténor britannique se produit principalement au Royaume-Uni, même s’il fera bientôt ses débuts à Zurich dans un programme de madrigaux. Nous avons d’ailleurs pu l’applaudir le mois dernier à Londres, en l’église de Saint Martin-in-the-Fields, où il chantait The Messiah sous la conduite de Harry Christophers (The Sixteen) et remportait un beau succès personnel face à un auditoire, certes fervent, mais qui connaît l’ouvrage par cœur et ne se laisse pas aisément impressionner.
La démarche chaloupée et le sourire conquérant rappellent les entrées de David Daniels alors que la voix surprend immédiatement en affichant des qualités qui restent, aujourd’hui encore, peu communes chez les falsettistes d’Outre-Manche : la franchise de l’émission, jamais nasale ni pincée ; la rondeur et la chaleur du timbre sur toute la tessiture que couronnent des aigus glorieux ou caressants. Bien que le souvenir d’Henri Ledroit affleure à la mémoire (Vedendo amor) et plus encore celui d’Andreas Scholl, qui débuta in loco en remplaçant au pied levé René Jacobs, le chant autrement incarné de Hugh Cutting éclipse aussitôt ces réminiscences : aucun maniérisme, nul angélisme ne vient altérer une ardente et réjouissante plénitude.
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L’interprète, en revanche, nous laisse d’abord sur notre faim. Le style est parfaitement maîtrisé, la déclamation limpide (« E pur io torno »), mais la théâtralité demeure générique et nous aimerions qu’il s’approprie davantage le tubesque « Si dolce è’l tormento », qu’il affûte également et affine ses ornements dans des cantates très fréquentées (Vedendo amor ; Nel dolce tempo) et qui ont fait l’objet de lectures plus personnelles.
S’il fait montre d’une toute autre éloquence chez Johnson et Dowland, les blasés rétorqueront que ce répertoire fait partie de son ADN poétique et musical. Or, nous n’avons jamais entendu un contre-ténor, même britannique, imprimer une telle urgence à In darkness let me dwell : Hugh Cutting avive les contrastes et s’empare des affects avec une intensité inédite. Effusion désarmante de sincérité comme de simplicité, « Ch’io parta ? » (Partenope), donné avec pour seul accompagnement le clavecin gracile de George Ireland, réussit pourtant à renouer avec la grâce qui nous avait ravi lors du concert du Jardin des Voix à la Cité de la Musique. Ce beau tempérament a probablement besoin du théâtre pour s’épanouir.