Rossinienne émérite, Lucia Valentini-Terrani est morte en 1998 à l’âge de 51 ans d’une leucémie détectée deux années auparavant. Sa dernière apparition sur scène fut, en 1996, La Grande-duchesse de Gérolstein au Festival della Valle d’Itria à Martina Franca, proposée aujourd’hui en 2 CD par le label Dynamic. Une chanteuse familière des opéras de Rossini peut-elle mieux qu’une autre rendre justice à l’opéra-bouffe d’Offenbach ainsi que le décrète dans le livret d’accompagnement Sergio Segalini (qui fut l’instigateur de cette prise de rôle) ? Difficile de l’affirmer à l’écoute de cet enregistrement. Déjà malade, la mezzo-soprano italienne n’offre qu’une triste image de ce qu’elle fut, tenaillée par des registres disjoints, soumise aux écarts de justesse, désavantagée par une langue française qu’elle ne maîtrisait pas suffisamment pour la rendre compréhensible et en éviter les pièges les plus fréquents. Le fameux « dites-lui » devient ici par exemple « dites-louis ». Si atténuée soit-elle cependant, la personnalité fougueuse de celle qui chanta Arsace dans Semiramide coiffe la souveraine offenbachienne d’un panache flamboyant dont les contours ombrés d’une voix profonde projettent les derniers feux.
La profondeur de la voix, justement, n’a pas dû être sans influer sur le choix des autres protagonistes, dans une recherche légitime d’équilibre vocal. Ainsi, Carla di Censo habille Wanda d’un soprano certes exotique dans la prononciation du français mais moins léger que d’habitude avec ce que cette matière dense donne de consistance à un rôle sinon pâlichon. De même, l’alors jeune Carlo Allemano, désormais polarisé sur le répertoire baroque et mozartien, présente un profil différent des ténors à l’émission haute imposés par les « taratata » claironnants de la chanson du régiment : plus épicé, plus viril, plus brusque mais aussi plus crédible. Dans un parti-pris inverse difficile à justifier, la jeunesse d’Etienne Ligot, baryton alors âgé de 29 ans et tragiquement décédé en 2011 d’un accident de ski, fait dégringoler Boum de quelques grades dans la hiérarchie militaire, moins général ici que lieutenant, fringant dans un « Pif, paf, pouf » d’une verdeur crédible mais inadapté aux noirs desseins du conspirateur. Mieux que le Baron Puck sans grand relief de Thomas Morris, Richard Plaza, vingt ans avant son Instant lyrique qui aujourd’hui enchante les lambris d’Elephant Paname, zézaye drôlement un Prince Paul clair et sonore.
Outre l’ultime témoignage d’une grande dame du chant, l’intérêt premier de l’enregistrement résiderait dans la direction d’Emmanuel Villaume, elle aussi à la mesure de l’interprète du rôle-titre, vigoureuse, altière et non dénuée de second degré si la prise de son, approximative, ne transformait chaque coup de grosse caisse en coup de tonnerre et si le choix d’une version presque intégrale ne finissait pas focaliser l’attention sur l’œuvre au détriment de l’interprétation. C’est que Jean-Christophe Keck, le meilleur apôtre aujourd’hui de la parole d’Offenbach, a fait pour l’occasion le ménage dans plus d’un siècle de petits arrangements et de coupures avec une partition qui le soir de sa création atteignait les quatre heures. Allégement des dialogues aidant, la présente version dépasse les deux heures, reprenant au troisième acte, la bénédiction des poignards – une parodie des Huguenots – et le chant des rémouleurs, supprimés dès le lendemain de la création, mais excluant au contraire de Minkowski en 2004 le « carillon de ma grand-mère », remplacé ici, comme l’avait alors suggéré Léon Halevy – le père de Ludovic –, par une reprise du trio de la conspiration que le retour sur scène de la Grande Duchesse transforme en quatuor. Ces explications fastidieuses pour donner une idée du travail d’orfèvre réalisé par Jean-Christophe Keck qui, pour parvenir à établir cette édition originelle, a infatigablement recherché, collecté, analysé et comparé les multiples sources à sa disposition. Grâce lui en soit rendu !