Vous avez chanté des rôles de premier plan un peu partout dans le monde, mais à l’Opéra de Paris, on vous voit principalement dans des seconds rôles.
J’ai eu une discussion avec Monsieur Gall à ce sujet. C’est une personne qui fait confiance aux gens qu’il connaît. Hugues Gall a d’ailleurs reconnu qu’il m’aurait sans doute plus employé s’il m’avait connu comme il me connaît maintenant. De mon côté je n’ai vraiment jamais souhaité beaucoup chanter à Paris, parce que les grandes villes me déplaisent, mais en dehors de cela je fais une carrière internationale en défendant le répertoire français, et il n’y a pas beaucoup de répertoire français à Paris. Et puis… bien sûr on a plus de plaisir à faire les premiers rôles, qui sont plus exposés, mais il faut aussi que les seconds rôles soient bien tenus, cela fait l’homogénéité du plateau, et c’est agréable pour les spectateurs. C’est le cas sur les grandes scènes, dans des salles plus modeste, la distribution est centrée autour d’un seul grand nom, et les seconds rôles sont moins tenus. La représentation devient nettement moins passionnante ! J’ai eu la chance de commencer dans les chœurs, à l’opéra d’Avignon, en 1980, cela fait 23 ans, et je suis resté dans les chœurs pendant une année, ensuite, le directeur m’a nommé artiste en troupe, pompeusement. A l’époque, dans les années 82, 83, 84, l’Opéra de Paris était fermé, et il y avait beaucoup d’argent à Avignon, et l’opéra recevait tous les grands chanteurs internationaux. Ainsi, en troupe, je chantais avec Montserrat Caballé, Valentini Terrani, Bruson, Capuccilli, Zancanaro, j’ai fait les députés dans Don Carlo avec Mirella Freni et Ghiaurov, des Don Quichotte avec Raimondi, j’ai chanté avec Carreras, et vous savez, faire des seconds rôles avec des interprètes comme çà, c’est quand même de grandes expériences. Mais au final, je ne suis pas mécontent de la carrière que j’ai faite. J’ai chanté dans beaucoup d’endroits, il me reste encore à chanter au Met, çà a failli se faire 2 ou 3 fois, mais je crois que je suis passé un peu partout, et c’est plutôt satisfaisant. Il faut aussi dire que j’ai commencé à faire une carrière à 40 ans passés ! Les jeunes chanteurs donnent un coup d’éclat à une distribution, on les sur-sollicite pour n’importe quel rôle. Peu importe si quatre ou cinq ans plus tard, la voix prometteuse s’est éteinte, parce qu’un nouvel espoir vient prendre la relève. Les médias poussent les jeunes chanteurs, et on peut dire que les » vétérans « , comme moi, intéressent moins.
Justement, dans la jeune génération, y-a-t-il un chanteur ou une chanteuse en particulier que vous retenez ?
Oui, sans hésiter, Ludovic Tézier. Il est une valeur montante du chant français et qui plus est, un ami. C’est un garçon d’une grande gentillesse, simple, intelligent et doté d’un beau physique de théâtre ; on aurait aimé l’entendre en Escamillo, dans la récente Carmen de Plasson, à mon avis, il aurait fait un meilleur Escamillo que Thomas Hampson ! Mais là aussi, il fallait certainement compléter l’affiche par une star. On est dans un système ou les média ont beaucoup de puissance.
Vous avez fait Sancho Panza, à l’Opéra de Paris, n’avez-vous pas envisagé de passer au rôle principal, de Don Quichotte ?
Oui, et cet engagement pour Sancho à l’Opéra de Paris, c’est vraiment grâce à mon agent. C’est d’ailleurs par ces représentations que Monsieur Gall a découvert que je pouvais faire autre chose que des seconds rôles ! Don Quichotte, en fait, je l’ai fait, en » dépannage « , je chantais en alternance avec Michele Pertusi. Je suis content de cet » essai « , j’ai chanté pour trois spectacles, çà c’est bien passé. Mais ce n’est jamais la première fois que l’on interprète un personnage que l’on est au mieux de ce qu’on peut faire. Même si on le connaît bien, ce qui était mon cas, puisque j’ai beaucoup chanté Sancho, surtout avec Ruggiero Raimondi, nous avons chanté l’opéra de Massenet dans le monde entier et nous allons le refaire bientôt à Calgary. Mais tant qu’on n’a pas chanté un rôle à la scène, qu’on n’a » pas mis ses pieds » dans les bottes du personnage, que l’on n’a pas vécu les sensations d’une représentation, on ne le connaît pas vraiment. Don Quichotte est vraiment un très beau rôle.
Puisque nous évoquons vos rôles, quel est votre rôle fétiche ? Et quel est votre meilleur souvenir à la scène ?
Mon meilleur souvenir… En fait, c’est un chef d’orchestre, Un chef d’orchestre qui m’émeut beaucoup, et qui m’a fait beaucoup travailler à une époque, Paul Ethuin. Il était directeur à Rouen, et je considère que c’était un de nos grands chefs français, du niveau de Georges Pretre, Mais il était un peu comme moi, qui n’aimait pas trop partir de chez lui, l’hôtel l’embêtait, vous savez, pour faire une carrière, il faut beaucoup de choses. Et pour en venir au souvenir, moi c’est d’avoir chanté mes premières Tosca avec ce chef, qui était d’une rigueur, d’une autorité musicale toute particulière. Et je me souviens surtout d’un moment, à la fin du 1er acte, avant le Te Deum, où Scarpia a ces belles phrases à chanter, à ce moment, j’ai vu Paul Hédouin fermer les yeux en dirigeant. Il m’écoutait ! Et cela, pour moi, cela signifiait énormément ! Sinon, s’il ne devait rester qu’un seul rôle, ce serait Athanël. Athanël dans Thaïs est un rôle extraordinaire. Le cheminement intellectuel de ce personnage qui veut ramener Thaïs à la pureté, mais qui brûle pour elle d’un amour qui va le consumer jusqu’à la fin est passionnant… Ce sont deux êtres qui se croisent sans jamais se rencontrer… Et musicalement, bien sûr c’est merveilleux ! La musique de Massenet est splendide. J’aimerais vraiment refaire ce rôle…
Quels sont vos prochains projets discographiques ? Vos prochains rôles à la scène ?
Au disque, je n’ai pas de projets. (Hésitation) Non, en fait, je dois faire une Damnation de Faust avec Casadesus. Mais la carrière scénique et la carrière discographique sont deux choses très différentes, à moins d’être propulsé par les médias. Pour faire des disques, et des intégrales d’opéra, qui coûtent si cher à réaliser, on prend vraiment les stars. Et il se trouve que, je n’ai jamais vraiment réussi à bien me l’expliquer, mais je dois avoir un problème avec les ingénieurs du son. Sans être prétentieux, j’ai une voix qui passe très bien, et j’ai l’impression que cela doit gêner les instruments, ce qui fait que je me trouve toujours relégué tout au fond du studio. J’ai l’impression que dès que j’ouvre la bouche, les ingénieurs doivent baisser tous les boutons, et çà doit poser un problème à ce niveau là. J’ai une voix de scène, de plein air, mais pas du tout phonogénique ! Sur scène, je viens de chanter dans le Revenant, de Gomis, au Capitole de Toulouse. C’était une prise de rôle, mais je ne tenais pas le rôle titre. Musicalement, sans vouloir être trop sévère avec Monsieur Gomis, cela s’apparente à un essai, et le synopsis, une histoire fantastique, est très léger. Je ne pense pas que je reprendrai souvent ce rôle ! Prochainement, je vais faire un Mefistofeles avec Plasson, à Grenade, mais c’est un rôle que je connais bien, que j’ai beaucoup fréquenté. L’an prochain, je chante l’heure espagnole et Gianni Schicci à Garnier avec Osawa, puis la reprise de Manon, cette fois à l’Opéra Bastille. En fait, pour vraiment parler de prise de rôles, aujourd’hui, les rôles qui me feraient plaisir sont trop lourds pour moi, j’aurais aimé chanter Wotan de Walkyrie ou le Vaisseau, mais c’est un investissement tellement énorme, et j’arrive à un age ou je commence à fatiguer. Çà restera du domaine du rêve, peut-être un jour je ferai un concert. Ce que j’avais surtout envie de faire, c’est les adieux de Wotan, pour mes adieux peut-être, c’est tellement beau musicalement. Ce métier est un métier où il y a tellement de choses à faire, tant de rôles passionnants à explorer, une vie ne suffit pas !
Frédéric Théret