Comme les voies du Seigneur, les choix du jury des grandes compétitions vocales internationales sont impénétrables. Pour comprendre les raisons de leur décision, il faudrait avoir suivi épreuve après épreuve chacun des candidats. A Moscou, sous le dôme de l’Helikon Opera, scène lyrique alternative au Bolchoï située en plein cœur de la capitale russe, quinze finalistes prétendaient au premier prix de la 36e International Hans Gabor Belvedere Singing Competition. Comme chaque année, ils ne disposent que d’un seul air pour passer de l’ombre à la lumière. Que le meilleur gagne ! Pas forcément.
La sélection, impitoyable, a écrémé 1125 chanteurs dans 70 villes du monde entier. Sur quels critères ? Une fois parvenu à un certain niveau, particulièrement élevé dans le cas de cette 36e édition, l’objectivité laisse place à des considérations personnelles. Ainsi ceux qui comme nous, apprécient un art du chant où la nuance et l’expression prennent le pas sur la démonstration retiendront le nom de John Brancy, baryton américain âgé de 27 ans, formé à la Juilliard School, Harlekin dans Ariadne auf Naxos à Nancy pas plus tard que cette saison. L’air de Yeletski dans La Dame de pique n’est pas de ceux qui exigent une technique d’acier mais la sincérité de l’aveu amoureux lorsqu’il est ainsi douloureusement exprimé prime sur le reste. La voix est belle, d’un grain subtil, non pas héroïque mais suffisamment solide pour ne pas flancher sous les quelques coups portés par la partition. La ligne est suffisamment soignée pour que la mélodie soit déroulée d’un trait avec toute la noblesse qu’impose l’état princier du personnage. Surtout l’interprète sait dépasser le cadre scolaire de la compétition pour donner à voir et comprendre les enjeux émotionnels de l’aria.
Raconter une histoire : le secret est là et peu s’acquittent de la tâche, absorbés par l’ampleur et la multiplicité des défis qu’il leur faut relever. Outre John Brancy, récompensé à juste titre par le prix du jury de la presse internationale, l’on pourrait citer Rocio Perez si cette soprano colorature espagnole aux suraigus ébouriffants, grisée par sa propre facilité, n’offrait une Olympia proche de la caricature. Tout est une question de mesure. L’autre candidat ibérique, Carles Pachón ne nous a pas semblé démériter. Au contraire. Doté d’une voix raffinée, juste d’intention, libre dans ses gestes et dans l’émission, souple et déliée, élégant et ironique, un rien dandy comme on imagine Malatesta, le baryton fait partie des oubliés du palmarès. Est-ce parce que « Bella siccome un angelo » n’est pas un air suffisamment saillant pour une finale de compétition ? Dans ce cas, présenter la scène de Iolanta, « Otchego eto prezhde ne znala », dépourvue de climax relève de la démission. Oksana Sekerina ne s’en relèvera pas, si grandes soient les qualités d’un soprano prenant dont les moirures et l’égalité ne sont pas les moindres des atouts.
L’interprétation est également une des préoccupations de Vasilisa Berzhanskaya, mezzo-soprano russe qui chantait Melibea à Pesaro l’an passé. Rossini lui est familier. Le vibratello n’est pas gênant. Les notes les plus graves possèdent un reflet sombre auquel il est difficile de se montrer insensible, l’aigu, émis en force est moins envoutant, l’ornementation peut paraitre raisonnable. A vrai dire, on essaie de trouver ce qui ne nous a pas séduit dans cette « voce poco fa » trop souvent entendue. Est-ce justement le trop grand nombre de comparaisons possibles ? Ou plutôt, un portrait de Rosina, trop éloigné de celui que l’on a en tête sans que la proposition, narcissique et canaille voire provocante, ne nous invite à reconsidérer nos positions. A l’opposé, par sa jeunesse, physique mais aussi vocale avec dans l’étoffe une légèreté et une fraîcheur toute relative s’agissant d’une voix de basse, Sava Vemic nous change des Gremine aux cheveux grisonnants, au pas lourd et au manteau épais ourlé de loutre sombre. New York l’a déjà repéré. Ses débuts en grand prêtre dans Nabucco sur la scène du Metropolitan datent de cette saison.
La subjectivité intervient peu dans l’impression laissée par Pavel Chervinsky ou Alexander Roslavets. Leur italien est trop mâtiné de russe pour ne pas évoquer Don Profondo imitant l’accent de Libenskof dans Il viaggio a Reims. Les années sauront – souhaitons-le – compléter leur formation. Jihyun Cecilia Lee et Josevane De Jesus Santos sont deux chanteuses avec lesquelles, en revanche, on aimerait compter prochainement. Bien que coréenne, la première possède un français toujours intelligible ainsi qu’un soprano ample, charnu et des aigus dont on apprécie le tranchant, preuve s’il était nécessaire que Micaëla n’est pas forcément une oie blanche. Il ne manque à la seconde, mezzo-soprano brésilienne, qu’un trille plus affirmé et un surcroît d’engagement dramatique pour que son interprétation de la grande scène de Sesto dans La clemenza di Tito l’impose sur les plus grandes scènes.
Nela Saric dans le grand air de La traviata et Boris Prygl dans la romance d’Aleko ne nous ont pas semblé avoir choisi les partitions les mieux à même de mettre en avant leurs qualités. Voilà deux chanteurs que l’on aurait voulu entendre davantage pour se forger une opinion plus assurée. Idem pour Kang Wang même s’il ne s’agit pas dans son cas d’une question de répertoire mais d’un essai à transformer. Les voyelles ouvertes font le chant plat. La quinte aigüe rayonne jusqu’à ce que le contre-ut trahisse l’appréhension. Le deuxième prix est-il justifié ? Il faudrait une nouvelle écoute dans un autre air pour en avoir le cœur net. Pour l’instant, il faut s’en remettre à un curriculum vitae qui compte Narraboth dans Salomé à New York. Excusez du peu.
Puis il y a les vainqueurs qui, on l’a compris, ne faisaient pas partie de nos favoris. Mais le chant très physique de Mandla Mndebele à tout pour séduire ceux pour qui comptent d’abord le muscle et le courage, dussent Ford, dépourvu de second degré, se montrer féroce jusqu’au contresens et la parole venir au secours du chant lorsque ce dernier, épuisé par tant de violence, vient à ne plus se suffire. Estomaqué, le public lui décerne son prix et le jury le place en troisième position. Plus incompréhensible encore est la palme décernée à Aigul Akhmetshina, à côté de la plaque en Cenerentola, sauf à se dire qu’en hissant cette jeune mezzo-soprano d’à peine 22 ans sur la première marche du podium, le jury a misé sur une jolie voix doublée d’un tempérament. Est-ce suffisant pour bâtir une carrière ? L’avenir seul le dira.
A la tête des forces de l’Helikon Opera, Eugene Brazhnik impulse, à des tempi parfois déstabilisants pour les chanteurs, son rythme à la soirée, retransmise ce soir à 21h (heure de Paris) sur tvkultura.ru.
1st Prize: AIGUL AKHMETSHINA, Mezzo-Soprano, Russia
Donated in memoriam KS Teresa Stich-Randall
2nd Prize: KANG WANG, Tenor, Australia
Donated by Jan Meulendijks and Bart Schuil
3rd Prize: MANDLA MNDEBELE, Baritone, South Africa
Donated by Valentin and Anni Leitgeb Foundation
Prize of the International Media-Jury: JOHN BRANCY, Baritone, USA
Donated by Brigitte & Georg Stradiot, Stetteldorfer Akzente and Wiener Silber Manufaktur
Prize of the Audience: MANDLA MNDEBELE, Baritone, South Africa
Donated by Dr. Madeleine Kim, South Korea
Special Prizes:
Hans-Gabor-Prize: CECILIA LEE awarded by Prof. Yasuko Mitsui to a singer of her choice – Euro 800
Wil-Keune-Prize: VASILISA BEREZHANKAYA donated by Ms Jane Carty, Ireland, for a young singer of real potential, born after 1990, Euro 500.-
Prizes awarded by the jury-members:
DEUTSCHE OPER BERLIN: ALEXANDER ROSLAVETS
awarded by Operndirektor Christoph SEUFERLE
SÄCHSISCHE STAATSOPER DRESDEN – SEMPEROPER: ROCIO PEREZ
awarded by Künstlerischer Betriebsdirektor Björn PETERS
DEUTSCHE OPER AM RHEIN DÜSSELDORF-DUISBURG: BORIS PRYGL
awarded by Generalintendant Christoph MEYER
PRIZE THEATER ERFURT: MANDLA MNDEBELE
awarded by Generalintendant Guy MONTAVON
PRIZE TEATRO REAL MADRID: ROCIO PEREZ
awarded by Artistic Director Joan MATABOSCH
PRIZE HELIKON OPERA MOSCOW: AIGUL AKHMETSHINA
awarded by General Director Dmitri Bertman
BOLSHOI THEATER MOSCOW: KANG WANG
awarded by Casting Director Olga KAPANINA
WEXFORD FESTIAL IRELAND: Winner will still be nominated
awarded by Artistic Director David AGLER