Quels que soient les caprices de la météo et les oscillations du baromètre, c’est officiel : le printemps est là ! Si souvent sensibles à cet allongement des heures et ces variations de lumières qui ne sont que les preuves de l’empire de la nature, les plus grands compositeurs ont laissé le printemps leur inspirer des oeuvres allant de la simple joie devant le retour des beaux jours jusqu’à la nostalgie face au temps qui passe. Florilège – garanti sans Vivaldi !
1. Reynaldo Hahn, Le printemps
Si les saisons étaient capables d’expression humaine, alors le rire appartiendrait au printemps. Tel est l’avis en vers de Théodore de Banville dans un poème mis en musique par Reynaldo Hahn où s’esclaffe dans un flot torrentueux des notes celui que les Indiens fêtent sous le nom d’Holi, témoignage voluptueux de cette « peinture sentimentale » qu’affectionnait un compositeur souvent considéré – à tort – comme un « petit maître » pour avoir refusé de sacrifier à une certaine avant-garde. [Christophe Rizoud]
2. Robert Schumann, Dichterliebe, « Im wunderschönen Monat Mai »
On se doute bien qu’avec Robert Schumann, le printemps se tiendra aussi loin que possible des insouciantes après-midi au soleil, des soirées barbecue et des verres de rosé pamplemousse. Ainsi, le narrateur des Dichterliebe nous dit, dans « Im wunderschönen Monat Mai », combien le riant mois de mai lui rend, par contraste, plus cruels encore les tourments qui agitent son coeur blessé, et plus poignante sa solitude. Car s’il est le temps de l’amour, le temps des copains et de l’aventure, le printemps est aussi la saison des passions éteintes avant d’avoir même commencé. [Clément Taillia]
3. Jules Massenet, Werther, « Pourquoi me réveiller »
Des dix numéros de notre sélection, l’air de Werther est sans doute le plus connu et le moins printanier. Ce ne sont pas renaissance et jeunesse mais deuil et tristesse qui guident le héros dans son délire suicidaire où le chant s’exalte sur un saut de sixte jusqu’au la dièse, au mépris de toute prosodie (pourquoi me réveiller-er) et retombe découragé, telle une de ces feuilles mortes qu’on ramasse à la pelle, non au printemps mais à l’automne. Cherchez l’erreur. [Christophe Rizoud]
4. Camille Saint-Saëns, Samson et Dalila, « Printemps qui commence »
« Mon coeur s’ouvre à ta voix » est sans doute l’air le plus connu de ceux composés par Camille Saint-Saëns. « Printemps qui commence » ne lui cède pourtant en rien en termes de sensualité, surtout lorsqu’il est interprété par une belcantiste accomplie comme Marilyn Horne ici drapée dans une sorte de carré Hermès à rendre fou un caméléon. [Jean Michel Pennetier]
5. Giacomo Puccini, Suor Angelica
Le printemps revient à plusieurs reprises sous la plume, ou plutôt la dictée musicale, de Giacomo Puccini. Si l’on se représente plutôt Mimi refroidie, c’est un peu vite oublier qu’elle chante le premier soleil qu’elle se réserve pour elle seule (« mi chiamano Mimi »). De manière plus touchante encore, les sœurs de la communauté d’Angelica attendent chaque année le retour du printemps pour ce qu’il place les rayons de l’astre pile dans le bon angle et à la bonne heure, celle de la sortie de la prière, pour transformer les eaux de leur fontaine en gouttes d’or. Cette année-là, les sœurs décident d’aller arroser la tombe d’une des leurs de ces eaux dorées et bénies dans un joyeux ensemble qui permet de respirer avant qu’Angelica n’affronte ses démons et la révélation tragique qui la poussera vers le suicide (à partir de 1 heure 11 sur la vidéo). [Yannick Boussaert]
6. Karol Szymanowski, Slopiewnie, « Słowisień »
C’est avec ce petit cycle de rien du tout que Karol Szymanowski entame sa révolution de velours, celle qui l’amènera à redécouvrir ses terres ancestrales polonaises. Publiées juste après son opéra Le Roi Roger, ces Słopiewnie sont les premières mélodies d’un style résolument national, abandonnant pour de bon les charmes orientalisants de la deuxième façon du compositeur. Les vers de Julian Tuwim chantent une nature étrange et symbolique, à mi-chemin entre imagier populaire et exaltation religieuse. Le « Słowisień » introductif dépeint ainsi le blanc des cerisiers au son d’une mazurka rêveuse, surplombée d’une ligne vocale ouvragée, comme seul Szymanowski en a le secret. [Alexandre Jamar]
7. Claude Le Jeune, « Revecy venir du Printans »
Claude Le Jeune, né vers 1525 à Valenciennes (alors aux Pays-Bas) et mort à Paris en 1600, composa de nombreux airs, motets, psaumes ou messes, dans un genre musical novateur pour l’époque, celui de la « musique mesurée ». Son « Revecy venir du Printans » a été publié par sa soeur, trois ans après sa mort. La pièce semble plus populaire à l’étranger qu’en France (il en existe des versions nord-américaines pour fanfares que vous vous épargnerons). [Jean Michel Pennetier]
8. Richard Strauss, Vier letzte Lieder, « Frühling »
Premier lied des fameux quatre derniers de Richard Strauss, Frühling (le Printemps) ouvre le cycle sur une envolée depuis les graves où la nature dort vers les cimes où elle va tendre avec la chaleur et la lumière revenues. Le reste du cycle suivra les méandres de la vie humaine et retombera jusqu’au dernier lied, « Im Abendrot » (au couchant) où la nuit et la mort viennent conclure. Si le procédé stylique est aussi simple qu’évident il permet à Strauss de déployer des trésors pour orchestre et voix de soprane. [Yannick Boussaert]
9. Richard Wagner, Die Walküre, « Winterstürme… du bist der Lenz»
Ah, Wagner ! Les eaux froides qui bordent les côtes de Cornouailles, les brumes du Brabant, la barbe givrée du Hollandais volant, les armures rouillées d’humidité des chevaliers du Graal… les frimas de l’hiver passeraient presque pour une exacte transposition météorogique de la rudesse ascétique qui caractérise ses longs opéras. Et pourtant, des monologues de Hans Sachs dans Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg aux sons de la forêt dans Siegfried, le printemps est sans aucun doute la saison la plus citée dans ses oeuvres. La Walkyrie l’illustre parfaitement, où la naissance de l’amour entre Siegmund et Sieglinde se double d’un passage très suggestif de l’hiver glacé aux poussées de sève printanières… [Clément Taillia]
10. Johann Strauss fils, Frühlingsstimmenwalzer
Si le printemps est une éclosion, la promesse de jours radieux et de moments glorieux, quelle plus belle allégorie musicale en montrer que ces images de la jeune Natalie Dessay atteignant, avec une facilité foudroyante, le contre-sol des Frühlingsstimmen de Johann Strauss fils ? Créée en mars 1883, à l’occasion d’un concert donné en l’honneur de l’Empereur François-Joseph d’Autriche et de son épouse Sissi, cette valse pour soprano et orchestre parle d’alouette, de rosée du matin, de soleil et de rossignol. Un moment de pure insouciance, dans cette Vienne fin-de-siècle qui s’apprêtait à affronter les bouleversements les plus ravageurs : le printemps, au fond, ce n’est peut-être que cela. [Clément Taillia]