Timpani ou l’exception française
Rencontre avec Stéphane Topakian, fondateur et co-directeur du label Timpani qui, depuis plus de dix ans, œuvre pour mettre en lumière certains pans délaissés du répertoire français. Nous le rencontrons à l’occasion de la sortie en première mondiale de Sophie Arnould, opéra de Gabriel Pierné.
Timpani – votre label – s’efforce de porter à la connaissance du public des oeuvres majoritairement sorties de l’horizon des programmateurs contemporains. Le grand succès que rencontre Timpani prouve évidemment l’intérêt de votre démarche; mais ces oeuvres exhumées, méritent-elles toutes l’intérêt du public ? Comment faites-vous le tri ?
C’est évidemment l’un des soucis majeurs du label pour ce qui est de son domaine de prédilection, la musique française, mais qui se révèle identique dès que l’on s’écarte des sentiers battus. Voyez le baroque : à côté des grandes pages et des grands compositeurs, l’on voit fleurir un nombre toujours croissant d’exhumations de ce qui — à deux ou trois siècles en arrière — relève de la musique « d’ascenseur » ou de « supermarché ». En fait un peu de bonne culture musicale, les avis de bons conseilleurs, une fréquentation de ces répertoires permettent de faire le tri. Je sais que même l’opéra de Pierné « Sophie Arnould », sorti récemment, a pu apparaître comme superflu. Je ne le crois pas : le livret n’est pas plus tarte que de nombreux livrets bien connus, et la musique est une tentative plus qu’intéressante de « conversation en musique », pas si éloignée du « Capriccio » de Strauss. Et quant à la qualité de la musique… Je reste persuadé qu’il vaut mieux écouter le chef-d’œuvre d’un compositeur de second ordre que les œuvrettes des plus grands maîtres.
Timpani défend -sauf erreur- exclusivement des compositeurs français; quelle est la réaction des marchés étrangers par rapport à des compositeurs méconnus qui doivent leur apparaître parfois comme des curiosités ?
Un point liminaire : Timpani ne fait pas exclusivement — mais principalement — du répertoire français. Les marchés étrangers réagissent bien. Une fois passée la barrière de l’inconnu, le public est tout aussi prêt à découvrir le répertoire français qu’il est disponible pour accepter les musiques tchèques, nordiques ou anglaises. En fait, de nombreux mélomanes — pour ne pas dire la quasi-totalité — ont été élevés dans l’idée bien ancrée que la musique est allemande. Ce qui se passe depuis quelques années au niveau du disque — mais pas encore assez au concert — est une mise à plat du tout l’héritage musical, et la découverte de chefs-d’œuvre. Permettez-moi un exemple. À un ou deux ans près, Poulenc a écrit son ballet « Les Animaux modèles » et Hindemith le sien, les « Métamorphoses sur des thèmes de Weber ». Voyez l’invention du premier, la profusion de ses idées, la parfaite maîtrise des développements, la richesse de l’orchestre, et voyez le côté étriqué du second. Il y a encore dix ans, ce n’était pas une chose à dire.
Vous défendez très énergiquement le répertoire de la mélodie française, en vous adjoignant les services d’interprètes francophones de très haut niveau; la mélodie a-t-elle selon vous son public dans l’hexagone ?
Je ne sais quoi vous dire. Il y a près de quinze ans j’ai initialisé cette collection de la mélodie française. Des débuts difficiles, puis de belles envolées. Aujourd’hui, le soufflet retombe un peu. Pourquoi ? Là encore il faut mettre sur la sellette non les mélomanes ou les intervenants du disque, mais les organisateurs de concerts. Le monde de la musique vivante est bien plus lourd à remuer que celui du disque. La programmation de mélodies fait peur, comme fait peur à un directeur d’orchestre la programmation d’une Symphonie de Roussel ou de Magnard.
Votre label bénéficie d’une longue collaboration avec l’orchestre philharmonique du Luxembourg qui semble se montrer, dans vos productions, sous son meilleur jour; comment est née cette collaboration et quels en sont les termes artistiques ?
Cette collaboration est née de notre rencontre avec Olivier Frank, aujourd’hui directeur général de l’OPL. Du temps de RTL, qui englobait le Symphonique, on avait réalisé un beau CD Honegger et l’on s’était promis de retravailler ensemble. Cela s’est fait dès la création de l’OPL en 96. À ce jour, ce sont plus de trente disques qui sont parus, principalement autour de trois axes : la musique de notre temps (Ohana, Xenakis, Malec, Hubert, Dufourt etc.), la musique française (de Lili Boulanger à Auric, en passant par Pierné, Cras, Roussel et bien d’autres), et la musique de chambre, qui met en avant les merveilleux solistes de l’OPL, et notamment le Quatuor Louvigny.
Vous venez de sortir Sophie Arnould, un opéra extrêmement méconnu de Gabriel Pierné; pourriez-vous nous expliquer comment naît un projet de ce type, comment il se construit avec les artistes et le chef dont vous vous entourez ?
Un tel projet, c’est toujours l’aboutissement d’échanges, même si la concrétisation est parfois le fruit du hasard. Prenez « Le Pays » de Ropartz : on en parlait, et puis le décès inopiné de David Shallon a rendu des semaines libres. On a réussi à monter l’opération « Le Pays » en quinze jours, en septembre pour le printemps suivant. Pour le casting, l’OPL me laisse assez libre, et je dois dire que c’est un point crucial : un producteur de disque doit rester indépendant par rapport aux sollicitations des agents ou aux effets de mode. Trop souvent, les décideurs en la matière pensent avant tout « voix » ou « nom ». Lorsque l’on monte un opéra — et c’est encore plus vrai au disque, où le visuel est absent — il faut raisonner « personnage », et chercher la voix dont les caractéristiques vont nourrir le personnage. En outre, l’on choisit une voix non de façon isolée, mais par rapport aux autres protagonistes. Très sincèrement, avec le recul, Timpani ne semble pas avoir fait d’erreurs en formant les couples Arapian/Marin-Degor pour « Polyphème » ou Delunsch/Ragon pour « Le Pays ». C’est aussi l’avantage de réaliser des opéras « en studio » ; le live vous oblige à prendre globalement ce qui a été conçu par un autre avec parfois des objectifs bien éloignés du résultat sonore. Le chef se choisit en commun : l’OPL ne peut confier ses troupes au 1er venu.
Votre disque catalogue « Mireille Delunsch, la tragédienne » présente l’une des artistes françaises les plus excitantes du moment dans un répertoire qu’elle défend comme personne. Définiriez-vous ce genre de disque comme la vitrine de votre label ?
Ce disque est un disque-catalogue. Il est le reflet de ce catalogue, mais d’il y a deux ou trois ans et c’est aussi une bonne sélection de ce que fait cette immense artiste en musique française, à travers la mélodie et l’opéra.
Tout le monde crie à l’effondrement du marché du disque. Comment se situe Timpani au milieu de cette crise ?
Oui, le marché du disque est « sinistré », mais quand on a dit cela, on a tout dit et on a rien dit. Il faut continuer d’être soi-même. Dans un certain sens, la ligne éditoriale de Timpani — qui faisait bien sourire il y a encore dix ans — est aujourd’hui un atout !
Quelques mots, peut-être, sur vos projets ?
Toujours des créations au disque, comme des œuvres symphoniques de Gaubert — une grande surprise, une redécouverte essentielle qui fait de ce disque « la » sortie majeure de la rentrée Timpani —, du piano à quatre mains de Schmitt, la poursuite de La Mélodie française avec une anthologie Faurépar Yann Beuron. Il y a des projets d’opéras français — bien entendu des premières ! — ; il est trop tôt pour en parler.
Hélène Mante