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Tassis Christoyannis : « Chanter la mélodie française, c’est le paradis ! »

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Actualité
21 octobre 2019
Tassis Christoyannis : « Chanter la mélodie française, c’est le paradis ! »

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Protagoniste de nombreuses résurrections d’opéra français montées par le Palazzetto Bru Zane et par le CMBV, le baryton grec Tassis Christoyannis est au cœur de l’actualité discographique avec une intégrale des mélodies de Reynaldo Hahn qui paraît ce mois-ci.


Tassis Christoyannis, pourquoi la France ?

C’est une question de destin ! Quand j’étais enfant, on m’a envoyé étudier le français à l’Institut français d’Athènes, alors que je n’en avais pas du tout envie. Puisque je faisais déjà du français à l’école, pourquoi fallait-il en plus que j’aille à l’Institut ? Je me suis battu à ce sujet avec mon père, qui a fini par me dire : « Ne discute pas ! Quand tu seras grand, tu comprendras pourquoi ». Et il avait tout à fait raison ! La Grèce considère la France comme un pays culturellement très proche ; les Grecs ont le sentiment d’être liés aux Français, les deux peuples sont censés s’aimer et se comprendre…

Pourtant, ce n’est pas vers la France que vous vous êtes d’abord tourné.

Je suis parti en Italie étudier le chant, puis je suis allé travailler en Allemagne, au Deutsche Oper am Rhein. Au bout d’un certain temps, j’ai eu envie de quitter ce métier car je n’avais plus d’engagements qu’à Düsseldorf et à Athènes. J’étais tellement fatigué et stressé que j’en avais perdu la voix pendant quatre ou cinq mois !

A cause du travail en troupe en Allemagne ?

Oui, j’avais l’impression d’être employé dans une usine à musique ! Je me souviens avoir chanté dans cinq spectacles différents en une dizaine de jours, en passant d’un univers vocal à un autre, avec à chaque fois un grand rôle : l’Ulysse de Monteverdi, Don Giovanni, Rigoletto, le lendemain Pagliacci… C’était vraiment de la folie !

Que s’est-il passé alors ?

C’est le destin qui a décidé, là encore. En juillet 2005, j’étais chez le dentiste quand j’ai reçu un coup de téléphone. René Massis, que je connaissais comme chanteur, m’appelle : « Je vous ai entendu dans Don Carlo à Düsseldorf, j’ouvre un agence et si cela vous tente, j’aimerais travailler avec vous ». Je l’ai remercié, je lui ai dit que j’étais très flatté, mais que j’arrêtais le chant, parce que j’étais fatigué. Il a insisté, en m’expliquant que l’Opéra de Paris cherchait un Figaro pour Le Barbier de Séville à Bastille. Il voulait que je participe à une audition qui avait lieu quinze jours après. A cette date-là, j’avais prévu d’être en vacances en Grèce, et je n’avais aucune intention d’y renoncer. C’était non négociable ! Je lui ai donc proposé de laisser passer l’été.

Et en septembre, la place était toujours vacante ?

Absolument, alors je me suis laissé cette chance. De toute façon, dans ma tête j’avais déjà quitté le métier. Le jour de l’audition, nous étions trois barytons. Le premier qui est passé, c’était George Petean : il n’a eu qu’à ouvrir la bouche, et c’était magnifique. J’ai dit à l’autre collègue : « On est dans la merde, on peut s’en aller ». Et il m’a répliqué : « C’est toi qui es dans la merde, moi je ne suis pas là pour Le Barbier, j’auditionne pour Capriccio ». Quand est venu mon tour, j’ai chanté mais je n’y croyais plus du tout. Le lendemain, René Massis me téléphone : « Ils ont choisi Petean pour Le Barbier. Mais ils vous veulent pour Capriccio ! ». C’est ainsi que j’ai fait mes débuts à Garnier en septembre 2007, dans le rôle d’Olivier. Il y avait une distribution de rêve, Olaf Bär dans le rôle du comte, Jan-Hendrik Rootering en La Roche… Je suis revenu sur le marché. La France m’a sauvé, elle m’a retenu au bord du gouffre.

Ensuite, vous êtes resté en France ?

Comme j’avais fait La Favorite à Montpellier, René Koering m’a proposé Oreste dans Andromaque de Grétry en 2009. C’est là que j’ai rencontré les frères Dratwicky, et c’est ainsi que s’est ouvert à moi tout un monde de merveilles.

Vous avez dès lors travaillé autant pour le Centre de musique baroque de Versailles que pour le Centre de musique romantique française ?

Après Andromaque, il y a eu bien d’autres projets, et une belle collaboration a commencé. Je n’aimais pas spécialement le baroque, que je connaissais très mal, et où il y a très peu de choses véritablement écrites pour une voix de baryton. Pourtant, même si les projets menés dans ce répertoire ne me procuraient pas toujours des satisfactions immédiates d’un point de vue strictement vocal, j’ai appris à apprécier cette musique. J’y ai pris du plaisir en les abordant comme comédien, comme tragédien, sur le plan de la déclamation. En Grèce, j’ai fait des études de théâtre, j’ai même joué à Epidaure, et c’est précisément cette jouissance du texte que l’on trouve chez Lully, Rameau et les autres. Dans Phèdre de Lemoyne, que je viens d’interpréter à Budapest, le personnage de Thésée doit chanter de longues lignes pleines de passion, c’est une merveille.

Cette Phèdre de 1786 était d’ailleurs un projet du Palazzetto Bru Zane.

Autant l’opéra baroque ne donne pas toujours à la voix de baryton tout l’espace pour se produire, autant la musique romantique que défend le Palazzetto Bru Zane est à l’inverse le royaume du baryton, surtout dans la mélodie, et nous nous sommes lancés ensemble dans cette série de découvertes…

Vous êtes particulièrement sensible à l’univers de la mélodie française ?

Si on aime la musique et la poésie, on aime forcément s’exprimer par le biais de cette forme d’art. Quand j’étais enfant, j’écoutais beaucoup de disques, mais j’adorais surtout les opéras de Verdi par Tito Gobbi et les Lieder de Schubert avec Dietrich Fischer-Dieskau. Sur le plan musical, j’ai grandi avec ces deux barytons qui accordaient toute son importance au mot, au texte et au sous-texte. J’ai aussi eu un professeur de piano qui travaillait beaucoup sur le côté spirituel de la musique, il nous faisait méditer en travaillant les morceaux. Et j’ai compris que les grands compositeurs n’utilisent pas le poème pour s’imposer ; au contraire, ils mettent leur musique au service du texte. Pouvoir travailler avec cette forme tellement pure, l’association de la voix et du piano avec les œuvres des plus grands poètes du XIXe siècle, c’est le paradis !

Tous les disques de cette série vous ont-ils procuré les mêmes joies ?

Nous en sommes déjà à sept : Félicien David, Lalo, Godard, Saint-Saëns, La Tombelle, Gounod, et à présent l’intégrale Reynaldo Hahn. Tous ces compositeurs me font l’effet d’appartenir à la même famille, on sent qu’on reste dans la même maison. Il existe des différences subtiles, mais tous manifestent un grand respect pour le poème, un grand amour pour la littérature. Après, chacun fait avec ses propres moyens. Entre Gounod et Lalo, par exemple, le résultat n’est pas comparable. Mais chez Godard ou La tombelle, nous avons trouvé des perles, et je ne vois pas pourquoi elles mériteraient moins d’être connues que certaines mélodies de Fauré ou Massenet.

Les propositions viennent-elles toujours du PBZ ou parfois de vous ?

De mon côté, j’aimerais aussi chanter Fauré, Poulenc, Duparc. Mais comme le Palazzetto fait le travail de recherches, et comme leurs propositions ont toujours un énorme intérêt artistique, c’est très bien comme ça. Nous avons déjà évoqué le projet suivant dont je ne peux hélas pas vous parler, mais que je trouve très intéressant. Quand j’ai découvert les six Fables de la Fontaine mises en musique par Benjamin Godard, je me suis bien amusé car ce sont de vraies petites pièces de théâtre. Pour préparer ce cycle, j’ai beaucoup écouté Louis de Funès récitant les fables, pour me pénétrer de cet esprit.

Sur scène, le Palazzetto n’hésite pas à révéler votre facette comique : on pense à Ali Baba de Lecocq, ou au rôle que vous teniez dans Le Timbre d’argent de Saint-Saëns…

Quand j’étais très jeune, je voulais devenir prêtre. J’étais aussi athlète. Et j’ai finalement opté pour le chant, parce que sur scène, il y aussi un côté physique et un côté métaphysique ! Je vous assure qu’à la fin d’un spectacle ou récital, si on me dit « Vous avez très bien chanté », je remercie mais ça ne m’intéresse pas. Alors que si on me dit « Quelle belle musique ! », je sais que j’ai fait ce que j’ai toujours rêvé de faire. Et si on se laisse guider par le texte et par la musique, on peut parfaitement faire du cabaret, de la mélodie, de la chanson, parce que dans tout les cas il y a le plaisir d’être là sans vouloir s’imposer. Le travail de l’interprète consiste à permettre à tout ce qui veut passer par lui de passer sans obstacle.

Vous n’avez pas peur d’être prisonnier d’une étiquette de chanteur de mélodies françaises ?

Je ne me considère jamais comme prisonnier. Malheureusement, peu de Français semblent vouloir investir dans ce territoire. Dommage pour eux, tant mieux pour moi puisque je peux chanter cette musique. L’idéal est de rester capable de nager dans plusieurs mers.

Quelles autres mers rêvez-vous d’explorer ?

J’aimerais vraiment faire de la chanson, pour rester dans l’esprit français ; je rêve d’un programme de titres interprétés par Yves Montand ou Charles Aznavour. Il y a aussi des gens qui me considèrent comme compositeur et qui me commandent de la musique.

Quel type de musique composez-vous ?

Tout dépend de ce qu’on me demande. J’ai écrit un ballet absurde, donné à Berlin, une comédie musicale pour enfants, des mélodies sur des poèmes de Thomas Moore, pour une fête en Angleterre. Il y a 2 ans, une amie a fait un spectacle à New York à partir du monologue de Clytemnestre imaginé par Marguerite Yourcenar dans Feux, livre où elle donne la parole à des personnages célèbres de l’Antiquité. J’ai écrit une heure de musique, pour violoncelle, lyre grecque, deux guitares, deux flûtes et percussions. Il y a quelques jours, j’ai lu un texte du poète symboliste René Ghil, qui a associé chaque voyelle à une famille d’instruments. Selon lui, le poète doit travailler comme un compositeur, faire l’instrumentation de ce qu’il veut exprimer. Je ne dis pas que je penserai désormais à un instrument chaque fois que je chanterai un O ou un E, mais je trouve fascinant qu’il y ait toujours des idées à découvrir, des recoins à explorer, pour tenter de mieux entrer dans l’esprit de ceux parmi lesquels fut créée la musique que nous avons reçue.

Vous avez aussi une carrière sans lien avec le Palazzetto ou avec le CMBV : on vous a vu il y a quelques années dans La Dame de pique et dans Don Carlo à l’Opéra du Rhin…

Bientôt, à Athènes, je chanterai mon premier Wozzeck. Et en mai-juin 2020, je serai dans Falstaff à Lille, à Luxembourg et Caen, mais pour la première fois, je tiendrai le rôle-titre, et non pas Ford que j’ai déjà incarné plusieurs fois.

Quel est le personnage que vous rêveriez d’interpréter ?

Ah, le répertoire pour baryton est tellement riche… Je prends énormément de plaisir à chanter Macbeth, et je suis passionné par le travail de préparation de Wozzeck, mais j’avoue que Falstaff me paraît plus important, plus excitant, comme personnage. Wozzeck est une victime de la société, comme il y en a beaucoup aujourd’hui et comme il y en aura toujours, mais le Falstaff de Verdi porte toute la sagesse de l’expérience : il sait qu’on ne peut pas tout comprendre et qu’il faut malgré tout vivre. Il sait qu’il faut se réjouir de ce qu’il y a parmi nous, en nous, entre nous, et finir en souriant. Si je devais à nouveau m’arrêter de chanter ou conclure mon parcours, depuis 30 ans que je chante, Falstaff serait vraiment le rôle idéal.

Et là, je vais vous dévoiler une Idée exceptionnelle qu’a eue Denis Podalydès pour sa mise en scène à Lille : comme je ne suis pas énorme, je porterai un corps postiche et, vers la fin du dernier tableau, j’en sortirai alors que les autres personnages continueront à s’acharner sur ce corps. Et c’est ensuite l’esprit de Falstaff, détaché du monde matériel, qui chantera les dernières minutes de l’opéra. Je trouve l’idée géniale, et elle me donne des frissons. Falstaff me paraît vraiment être le personnage idéal parce qu’il est le plus positif à la fin du chemin de la vie. Ce n’est pas un simple personnage de comédie, comme Figaro dans Le Barbier de Séville ; c’est un homme qui a beaucoup de problèmes, qui vit des situations tristes, voire tragiques, mais son dernier mot, c’est la joie !

Propos recueillis le 22 septembre 2019

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