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Opera Rocks (entretien avec Andrew Richards)

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Interview
2 novembre 2009

Infos sur l’œuvre

Détails

 

Voix riche et puissante, musicalité infaillible, acteur né à l’instinct dramatique indéniable, Andrew Richards, soutenu par un physique de jeune premier, est l’une des valeurs les plus sûres du firmament lyrique. Il est emblématique de l’artiste moderne, en harmonie avec son époque et ses courants, pourtant respectueux du passé et de l’âge d’or de la tradition lyrique, en particulier de la première moitié du XXème siècle.

Comment devient-on l’un des plus talentueux et charismatiques ténors de la génération actuelle ?

 

Avant tout, il est capital d’être vrai et intègre avec soi-même. Prétendre qu’il s’agisse d’une recherche, voire d’un acquis serait un leurre. Le talent et dans un sens, le charisme, sont le fruit de la  perception même du public ; celle-ci échappe dès lors à mon contrôle ! Aucune recette miracle :pour réussir, il faut être en mesure de se consacrer entièrement à son art en y étant sincère.

 

Vous portez de nombreux masques …

 

En effet, pourtant dans chaque rôle que j’aborde, je m’attache à puiser les facettes qui me ressemblent le plus, ce qui pourrait laisser supposer que je suis un piètre comédien ! Un acteur de la stature de Sir Laurence Olivier était en mesure de recréer la moindre attitude, le plus infime geste, et j’en suis incapable. Je puise dans mes nouveaux personnages les traits saillants me ressemblant le mieux :c’est ma méthode ! Etant moi-même un enfant de la “génération cinématographique”, si je puis dire, je m’inspire d’une forme de tradition, celle consistant à puiser la vérité dans tout ce que j’entreprends, en lui rendant justice. Le but est de communiquer, en toute honnêteté.

 

Comment vous êtes-vous orienté vers l’opéra ?

 

Ma famille n’était pas particulièrement musicienne, pourtant à l’âge de neuf ans, j’écoutais des disques et imitais les chanteurs ! Puis, quelque dix ans plus tard, une représentation de La Forza del destino, quel nom prédestiné (rires), fut une véritable révélation ! Je bénéficiais alors d’une formation musicale classique et je jouais dans un orchestre de jazz, mais la féerie d’un spectacle lyrique et surtout, la magie des voix, furent le catalyseur pour moi :ce fut un véritable déclic.

 

Que signifie pour vous être un chanteur lyrique aujourd’hui ?

 

Avoir de la discipline, de la force et la détermination de progresser. L’un des aspects les plus ardus réside dans la nécessité de trouver la couleur la plus juste, la sonorité dans votre voix qui émeuve le public, sans aucune notion préconçue. Je recherche l’émotion et c’est une règle, avant même d’être un objectif en soi. Après 15 ans de carrière internationale, je continue à me battre pour évoluer et progresser artistiquement. Et je n’ai pas l’intention de baisser les bras en cas d’obstacle. Ce combat, cette ténacité sont ancrés au fond de moi ; une voix intérieure m’incite à poursuivre. Suscitent-ils de l’admiration ? Peut-être, mais je vous assure que cette quête perpétuelle de perfection est un poids lourd à porter, d’abord pour moi-même, mais également pour mon entourage.

 

Quels sont les points-clés de votre carrière ?

 

Sans hésitation, mes débuts aux Arènes de Vérone cette année. En une semaine, j’ai chanté Turriddu (Cavalleria rusticana), Don José (Carmen) et Mario Cavaradossi (Tosca.) Malgré le gigantisme des productions, il n’y eut quasiment aucune répétition :tout au plus, quelques heures et sans même connaître vos partenaires de plateau ! On pourrait décrire cela de ”l’opéra touristique”, mais malgré tout, l’expérience fut captivante. Interpréter la sérénade ‘O Lola’ dans Cavalleria rusticana depuis le dernier gradin surplombant le plateau est une entrée en scène très particulière, dominant quelque 22’000  spectateurs ! Tout paraît si immense – et je suis américain, habitué aux vastes espaces ! -. Le chef d’orchestre est si éloigné :j’ai parfois l’impression qu’il ne dirige pas, tant la distance est large. Je n’aperçois qu’un écran de contrôle, entendant à peine la harpe m’accompagnant au loin :je ne pense alors qu’à mon chant. Puis, il y eut la représentation de Tosca, en remplacement de Marcelo Alvarez, appelé à Berlin pour un concert avec Montserrat Caballé. Les Arènes, anticipant la participation d’Alvarez, affichaient complet :mon remplacement n’était dès lors pas placé sous les meilleurs auspices ! Mais figurez-vous qu’au terme de la représentation, je fus contraint de bisser le début de la scène du 3ème acte et l’air de Mario “E lucevan le stelle” ! Le chef d’orchestre Daniel Oren décida de la refaire, et comme le chanteur incarnant le geôlier avait déjà quitté le plateau, c’est lui-même qui me donnera la réplique ! Ce fut une magnifique expérience.

 

Vous chantez régulièrement en Allemagne, pays féru d’opéra et particulièrement audacieux et innovateur en matière de mises en scène …

 

En effet, ma production préférée fut celle de Christoph Loy pour Faust à Francfort en 2005. Si le concept même fut certainement contemporain, il me laissa pourtant fouiller le personnage de manière introspective, sans retenue. Je développai l’image du mythe du vieux Faust, tremblant, atteint par la maladie de Parkinson, saisi de tremblements convulsifs dans la confrontation avec Méphistophélès :ce fut une expérience passionnante. Au titre des expériences inoubliables, je citerai également les récentes Norma à Munich, où j’interprétai Pollione aux côtés d’Edita Gruberová. Au final du dernier spectacle, je dus retenir mes larmes, tant l’émotion était grande de pouvoir chanter avec cette grande dame du chant !

 

Au stade actuel de votre carrière, avez-vous un rôle préféré ?

 

Sans aucune hésitation, Don José dans Carmen. Ce rôle me met au défi, autant comme chanteur, que comme comédien. Don José exige trois voix distinctes et ma formation musicale, notamment dans le jazz, m’a permis d’aborder le premier acte avec une émission vocale plus légère, pour la faire évoluer au gré des actes. Dans le duo du premier acte avec Micaela, je chante comme les Italiens diraient, sur un “fil di voce”, ce qui me rappelle la projection que j’utilise dans le répertoire de jazz, puis ma voix se libère jusqu’au duo final. Au terme d’une représentation de Carmen aux Arènes de Vérone récemment, Plácido Domingo me complimenta au sujet de mon interprétation de l’air “La fleur que tu m’avais jetée” et particulièrement, à propos de mon Si bémol dans le final de l’air. Il en était admiratif et je fus touché par son compliment.

 

 
 

Quelles différences saillantes avez-vous relevées entre les théâtres américains et européens ?

 

Tout d’abord, la taille, car elle affecte le chant :lorsque la salle est vaste, le chanteur est enclin à chanter fort, ce qui est dangereux. Par conséquent, je préfère les scènes européennes, qui sont plus petites, ainsi que leur ambiance. Les lieux me paraissent sacrés, plus chargés d’émotion. Aux Etats-Unis, la scène, souvent, n’est qu’un immense espace, sans âme, alors qu’en Europe, en général, les chanteurs peuvent avoir la sensation de communier dans une église, dans un lieu sacré. Ici, je me sens davantage stimulé à respecter les nuances, le moindre détail et la plus petite inflexion de mon chant. Je ressens l’esprit des artistes lyriques de l’âge d’or, le Golden Age, qui ont chanté sur ces planches, des monstres sacrés tels qu’Enrico Caruso, Tito Schipa et tant d’autres :l’histoire est là à vos pieds ! Leurs voix et jusqu’à un certain point, leur présence, résonne et occupe l’espace ; je vous garantis que quelques années ont été nécessaires pour moi afin de dominer cette sensation étrange.

 

Vous admirez les chanteurs du passé : quel rôle jouent-ils dans votre parcours d’artiste lyrique ?

 

Leur manière de chanter, l’articulation et le respect de la prosodie me paraissent plus orientés vers l’expressivité pure. Certains chanteurs brillaient par leurs effets vocaux faciles, tenant leur aigu de manière démesurément exagérée, mais malgré cette fâcheuse habitude, j’ai l’impression qu’ils étaient plus engagés, plus rompus à la défense et à l’intégrité de leur art. Le passé est-il sacré ? Je crois que de plus en plus, le culte de la personnalité prévaut, même si ce dernier a toujours existé :ce thème fait d’ailleurs l’objet d’une constante réflexion chez moi ! Pour en revenir aux artistes du passé, que je respecte énormément, je m’attache à me hisser au plus haut niveau artistique possible, dans le dessein de rendre justice, à manière, aux ténors de l’âge d’or de l’opéra. Il est vrai que leur époque était différente :à ce titre, ils subissaient moins de pressions extérieures, ils pouvaient se consacrer plus sereinement à l’étude, puis à la réalisation de leur art. Ils sont indéniablement une source d’inspiration importante pour moi.

 

Sous un angle purement musical, quelles sont vos réflexions au sujet de leur apport artistique et plus généralement, sur l’évolution de l’opéra ?

 

A leur époque, contextuellement, leur orientation artistique et leur engagement, étaient en différents. Progressivement, la taille de l’ orchestre a modifié la donne. L’adaptation constante du diapason dans l’orchestre, particulièrement pour les voix les plus aigues, influence notre manière de chanter. Et ce n’est pas que le diapason :dans mon cas, ce sont tous les harmoniques de ma voix qui subissent de plein fouet ces changements ! Face à un très grand orchestre, je dois adapter mon émission vocale en soutenant davantage ma voix de poitrine :la sensation est parfois étrage, voire effrayante. Rétrospectivement, quand j’écoute ces chanteurs du passé, je déplore aujourd’hui la carence de transparence que je perçois dans la fosse d’orchestre, cet imperceptible aspect diaphane des instruments qui est difficile à décrire. Seuls quelques grands chefs d’orchestre sont en mesure de véhiculer cette transparence orchestrale qui évite aux chanteurs de forcer leur voix ! Trop nombreux sont ceux qui jouent de manière tonitruante, attendant de nous en premier lieu une projection dramatique, au détriment de la nuance ! Je dirais par conséquent que ces chanteurs du passé étaient plus respectueux de l’expression, plus scrupuleux de la moindre inflexion musicale, alors que de nos jours, c’est l’effet qui prime avant tout. Je ne suis certainement pas opposé à la dimension dramatique, bien au contraire ! Toutefois, celle-ci doit être le résultat d’un équilibre bien maîtrisé. La raison, dans ce cas – et une forme de sagesse – devraient primer et surtout, il faut éviter de tendre vers la perfection, le 100% en permanence.

 

Vos récentes interprétations du rôle-titre de Werther au Théâtre Royal de la Monnaie et de Don José (Carmen) à l’Opéra-Comique ont été auréolées de succès :quel souvenir conservez-vous de ces deux représentations ?

 

La préparation des deux rôles fut passionnante, car elle fut rendue possible grâce au travail avec un coach connaissant l’oeuvre et le personnage, plutôt que de devoir puiser mon inspiration au travers d’enregistrements célèbres, tels que celui d’Alfredo Kraus (Werther), parmi d’autres. Votre apport, sous l’angle de l’introspection historique du rôle et ses multiples facettes, fut précieux :je suis maintenant prêt, pour les prochaines 20 années à venir pour développer le personnage. En fait, ce type de rôle, si fascinant et complexe, ne me permet d’en explorer que 50% de ses innombrables  facettes. Werther est le début d’un processus de développement en moi et j’en suis heureux. La scène de la mort me hante, elle me transporte complètement. La fusillade de Mario Cavaradossi elle aussi est impressionnante, mais j’avoue qu’elle ne soutient pas la comparaison, si comparaison il devait y avoir ! Quant à mon expérience vécue autour du personnage de Don José à l’Opéra-Comique, ce fut enrichissant mais intimidant. Aborder ce rôle dans un théâtre aussi emblématique ! Ne maîtrisant pas encore parfaitement le français, le défi à relever fut majeur pour moi, puisque je dus faire de mon mieux pour ne pas transformer Don José en une caricature de ‘touriste américain’ ! Même si le travail avec le chef d’orchestre Sir John Eliot Gardiner, qui est très exigeant, se déroula pour le mieux, je me sentis comme étouffé dans un étau, plutôt que d’être soutenu pour m’en libérer, devant tant me concentrer sur la question de la prononciation et cela est capital dans Carmen et il se montra extrêment exigeant sur ce point. Je réalisai alors que l’un des aspects qui m’attiraient le plus dans cette production était justement cette exigeance de devoir donner 100% de moi-même, dans une quête de perfection … Le défi fut de trouver un degré de perfection qu’au fil du temps je n’attendais plus de moi-même, je dois l’avouer. Par conséquent, travailler dans un tel état d’esprit, tourmenté par cette constante quête ne fut pas facile. Il y eut quelques frictions avec le chef, mais n’est-ce finalement pas là une preuve manifeste d’une réelle exigence artistique, en quelque sorte, sa “marque de fabrique” ? Il ne brada pas ses exigences et je lui en fus finalement reconnaisant. J’ai alors pris conscience que je n’étais pas encore parvenu au degré de maturité artistique que je pensais pourtant avoir atteint ! Au début, j’étais tenté, je l’avoue, de me concentrer en priorité sur la beauté du son ou sur une attitude particulière, puis j’ai réalisé qu’il serait nécessaire de se conformer à l’exigence de la perfection !

 

Pourrions-nous évoquer ici une notion de … barrière linguistique ?

 

A mes yeux – et je risque d’en surprendre plus d’un ! – Carmen peut être chanté plus facilement dans un pays tel que l’Italie, un pays latin. En effet, je suis plus vite à même de comprendre et de me m’identifier à la spontanéité latine et extrovertie. Il y a davantage de générosité dans l’approche :je ne parlerai donc pas de barrière linguistique, mais peut-être d’un état d’esprit différent ?

 

Quelle est selon vous la véritable vocalité de Don José ?

 

Une certaine tradition a imposé des ténors lyriques, parfois incapables de rendre justice à l’aspect plus dramatique du rôle ! Comment donner un véritable impact aux 3ème et 4ème actes avec la voix d’un Nemorino dans L’Elisir d’amore ou de Gérald dans Lakmé ? A moins de réduire l’orchestre et de le transformer en quatuor de chambre ! Il est impossible – et il ne serait pas opportun – de chanter le dernier acte de Carmen comme un lyrique. Je sais que ma prestation parisienne a pu étonner, car j’ai apporté une voix et une couleur plus sombre, racée, virile et compacte, alors que la tendance actuelle tend vers un Don José plus léger. Ecoutez Georges Thill, Raoul Jobin, Franco Corelli … Werther et Don José offrent, selon moi, un spectre dramatique sans parallèle :l’évolution du personnage, sa transformation. Il m’arrive parfois de pleurer oui ! Un exemple concret me vient à l’esprit :lors d’une représentation de Rodolfo dans La Bohème, mes dernières notes peu avant le tomber du rideau, après la mort de Mimi, furent réellement étouffées par mes sanglots. Lorsque le chef d’orchestre vint me saluer, je lui présentai mes excuses, mais à ma grande surprise, il me répondit, la voix chargée d’émotion  :“Ne présentez pas vos excuses, bien au contraire et ne changez rien à votre interprétation, ce fut parfait :notre pacte est ainsi scellé !”

 

Votre voix évolue vers le ténor spinto et vous venez de remporter un franc succès à Munich dans Pollione, aux côtés d’Edita Gruberová, qui faisait ses adieux au rôle-titre de Norma en Allemagne. Quels autres rôles héroïques envisagez-vous d’aborder ?

 

Je viens de chanter Samson, au Teatro Comunale Bologne, un rôle que j’adore, mais je ne compte pas m’aventurer trop au-delà :mon objectif est de pouvoir continuer à chanter des emplois de lyrique ou de lirico-spinto, sans devoir altérer ma voix et me cantonner à un seul répertoire. Il y aura Parsifal, d’abord à Stuttgart, puis à Monnaie, puis l’on vient de me proposer Lohengrin, Des Grieux (Manon) et Luigi (Il Tabarro.) Cela dépendra en grande partie du chef d’orchestre :idéalement, il devrait m’encourager à chanter de manière lyrique, en privilégiant la rondeur et la beauté du son. Je suis vigileant, je ne dois pas outrepasser les limites naturelles de ma voix et je tiens à aborder Roméo ou Jean (Hérodiade.) Couleur, timbre, ainsi qu’une certaine forme physique doivent être préservées au mieux pour incarner ces rôles ou d’autres, à l’instar de Dick Johnson (Fanciulla del West), que beaucoup de ténors ont des scrupules à chanter ! Dans dix ans peut-être, car je suis prudent et je ne tiens absolument pas à forcer.

  


 

Quelques mots au sujet de votre collaboration avec les metteurs en scène et leur position dominante dans le monde de l’opéra …

 

Avouons qu’à notre époque, la mise en scène prime avant toute autre considération. Mon prochain défi sera le rôle-titre de Parsifal dans une mise en scène de Calixto Bieito ; je sais que d’aucuns seront choqués par sa vision de l’oeuvre wagnérienne, elle ne manquera pas de susciter de la controverse, mais aujourd’hui c’est courant et cela vous montre l’importance des metteurs en scène. L’aspect visuel est l’élément le plus important de nos jours. C’est tout à fait symptomatique. Cependant, des collègues rassurants m’ont confié combien il est respectueux des chanteurs :il réalise un travail fantastique avec eux, donc je me réjouis de pouvoir travailler avec lui. Je ferai alors de mon mieux pour atteindre les objectifs qui seront fixés, tout en disant “non” quand cela sera nécessaire ; mais mon souci principal sera de préserver ma voix et mon équilibre artistique. Souvent, les metteurs en scène veulent susciter, brasser des émotions contradictoires, des conflits dans le for intérieur des chanteurs, tout le contraire de la paix intérieure qui est nécessaire pour chanter en donnant le meilleur de soi-même :ce constat est parfois préoccupant. C’est la raison pour laquelle je recherche avant tout l’harmonie, cette paix intérieure, d’où la nécessité absolue de dégager une bonne collaboration entre le metteur en scène et les solistes. Dans cet état d’esprit, j’ai pu bénéficier des précieux conseils de Renata Scotto, qui m’a préparé au rôle de Pinkerton (Madama Butterfly.) L’idéal est d’évoluer dans le respect mutuel et souvent, heureusement, cela fonctionne. Il y a des exceptions, certes, à l’instar d’une production de Don Carlos, où l’intransigeance du metteur en scène fut intrusive et totale. Un exemple ? Alors que Rodrigo, marquis de Posa, rendait son dernier soupir, à l’acte IV, on voulut me contraindre à vomir sur scène ! Selon moi, cela n’a aucun sens dramaturgique.

 

Quel est l’archétype du jeune artiste lyrique aujourd’hui ?

 

Une personne capable de faire abstraction du bruit environnant qui perturbe notre attention. Pouvoir déconnecter – j’oserais dire en pouvant se passer d’une forme trop exacerbée de confort – pour se consacrer à l’essentiel :la poursuite, la réalisation de son art. Notre culture actuelle exerce de plus en plus de pressions et pourtant, il devient manifestement difficile de se passer de ce confort. Dans mon cas, je suis issu d’une famille américaine modeste et comme mes parents me l’ont enseigné, nous devions faire abstraction de cette notion même de confort. Nous devions nous concentrer sur le seul labeur et nous lever quotidiennement à 4h30 du matin pour traire les chèvres ! (rires). L’effet pervers est justement de ne pas savoir quand se relaxer pour se détendre. Etre un artiste de nos jours exige une souplesse, déjà en tant qu’interprète, mais aussi, en tant qu’être humain, en vue de créer un équilibre. J’ai abandonné certains sports lourds telle l’halthérophilie car justement, je me concentrais trop sur mon aspect physique, alors que dans mon for intérieur, j’étais pleinement en quête de spiritualité. Sur le plan essentiellement vocal, je ne crois pas que cela fut bénéfique pour ma voix, l’émission devant rester souple, flexible et tout à fait libre. Etre trop figé ou rigide, le résultat d’une pratique sportive trop intense, ne peut convenir à un chanteur lyrique.

 

Ce cliché ou cette perception vous correspond-t-elle ?

 

Tout à fait et ma réalisation la plus importante aura été de passer de l’autre côté de la barrière, d’évoluer en passant du chanteur débutant au ténor en carrière, partenaire d’Edita Gruberová, ce qui revient à prendre mieux conscience de mon évolution et mesurer la chance que j’ai aujourd’hui. Je peux mieux apprécier le résultat, tant sur le plan vocal, que sous la seule perspective artistique ; je ne me repose certainement pas sur mes lauriers, mais je suis désormais en mesure de me dire que j’ai accompli quelque chose de concret.

 

Un exemple de journée traditionnelle pour Andrew Richards …

 

Je passe trop de temps devant mon ordinateur et justement, j’invite mes admirateurs à consulter mon site Internet – http://www.tenorrichards.com – vous y trouverez toute mon actualité ! Vous voyez que je suis un ténor moderne ! Je donne beaucoup d’énergie dans cette tâche et je réalise combien cela doit changer. Après le réveil et le petit déjeuner, je fais mes vocalises, que je limite généralement à deux ou trois heures quotidiennement. En général, ma journée est consacrée à l’étude des rôles et je m’attache, autant souvent que possible, à passer du temps calmement à la maison. Lors des répétitions, j’ai pris pour habitude de marquer mon rôle et de ne plus chanter à pleine voix :je me concentre ainsi également sur la mise en scène. Je lis régulièrement :des biographies de chanteurs ou des ouvrages philosophiques. J’aime suivre certains programmes télévisés et j’adore le cinéma, mais de plus en plus, je réalise qu’il est nécessaire pour moi de rechercher et de vivre dans une forme de tranquillité et surtout, d’harmonie.

 

Quels conseils prodigueriez-vous à de jeunes chanteurs ?

 

Apprendre autant que possible à puiser au fond de leur ténacité, cela ne peut être que bénéfique pour eux. Je les encourage à se motiver pour tout entreprendre afin de parvenir au sommet. De plus en plus, particulièrement aux Etats-Unis, des artistes lyriques déclarent être des “chanteurs travailleurs” ! Quel est l’intérêt sur le plan artistique ? Bien que nous soyons tous en quelque sorte des “chanteurs travailleurs”, je leur préconise plutôt de croire fermement à la source de leur talent et de la considérer comme un don exceptionnel. Nous sommes tous uniques :ce n’est pas manquer d’humilité que de vouloir aspirer à être le meilleur. Mon expérience m’a démontré que je devais, que je dois, atteindre et réaliser mes rêves les plus fous. Cependant, mon éducation et la rigueur de ma foi auront quelque peu muselé cet objetif, mais au final, mon constat est favorable.

 

Pour conclure, quel est votre maxime préférée ?

 

Opera Rocks !

 

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Claude-Pascal Perna

Bruxelles, le 18 septembre 2009

 

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