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Massenet mélodiste

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Actualité
16 janvier 2012

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On doit à Massenet pas moins de 258 mélodies, c’est-à-dire plus qu’aucun autre grand compositeur français de son époque. Parmi quelque 120 poètes, aux côtés de trop rares Hugo, Verlaine, Musset ou Gautier, on trouve hélas pléthore de textes d’Armand Silvestre ou de Paul Collin, parnassiens de seconde zone : serait-ce la raison pour laquelle cet aspect de sa production semble avoir largement sombré dans l’oubli ? Les deux concerts donnés à la BNF et à l’Opéra-Bastille les 19 et 20 janvier, ainsi que la parution d’un disque chez Timpani le 7 février, nous invitent à nous pencher sur ce versant de l’œuvre massenétien.

 

Dès le tout début de sa carrière, Massenet composa des mélodies. Les premières esquisses retrouvées datent d’août 1862 (pour contralto, déjà, sur des poèmes de Victor Hugo et de Lamartine). En 1869, alors qu’il n’a que 27 ans, il dédie Trois Chants intimes « à Georges Hartmann, l’éditeur de la jeune France ». Dans la foulée, il se lance dans la composition de son premier cycle, Poème d’avril. Dédié à Ernest Reyer, créé en 1871-72 par Madame Ernest Bertrand, c’est le plus long et le plus original de ses recueils, en lequel les musicologues voient le premier véritable cycle de mélodies de la musique française, le premier à avoir été véritablement conçu sur une idée cyclique, avec des thèmes récurrents. Poème d’avril évoque le dialogue de deux amants, sur des textes d’Armand Silvestre (1837-1901), qui excellait aussi dans « les histoires les plus drôlatiquement inconvenantes », selon Massenet. Déjà le compositeur s’y essaye à diverses expériences : la huitième et dernière mélodie commence par quelques vers parlés, d’abord sans musique, puis en mélodrame.

C’est également à Armand Silvestre qu’il emprunte les textes qui forment le Poème du souvenir (1868). Ces cinq mélodies sont précédées d’un « Epigraphe » parlé, sans accompagnement pianistique, et suivies d’une « Epitaphe » chantée qui reprend les deux derniers vers de l’épigraphe. Poèmes d’Armand Silvestre encore et toujours pour le Poème pastoral (1872), mais aussi du fabuliste Florian, seul poète antérieur au XIXe siècle que Massenet ait mis en musique. Contrairement aux autres cycles, chaque mélodie y porte un titre qui lui est propre ; la première, « Pastorale », et la dernière, « Adieu », sont confiées à un chœur pour trois voix de femmes, et les quatre autres évoquent les amours d’un berger et d’une bergère. La musique se veut simple, presque naïve.

Paul Collin (1843-1915) inspire à Massenet son Poème d’octobre (1876), cycle automnal dédié au peintre Ernest Hébert, directeur de la Villa Médicis. Cet auteur médiocre sut également retenir l’attention de Fauré et de César Franck ; curieusement, l’un des textes choisis par Massenet fut également mis en musique par Tchaïkovski, sous le même titre de « Poème d’Octobre », quatrième de ses Six mélodies françaises pour Désirée Artôt de Padilla en 1888.

De la même décennie datent quelques-unes des mélodies les plus connues de Massenet, qui se trouvent être des arrangements de pièces pour piano ou pour orchestre. « Nuit d’Espagne » (1874), qui reprend l’Air de ballet des Scènes pittoresques, est présenté comme une « Prose rythmée sur une chanson serbe par Louis Gallet ». C’est au même Louis Gallet, librettiste de Marie-Magdeleine et d’Eve, que s’adresse Massenet pour concevoir un texte destiné à accompagner un morceau qui ne cesse de revenir dans sa carrière sous des formes variées : la cinquième des Dix Pièces de genre pour piano (1866) fut ainsi d’abord transformée en Invocation d’Elektra pour violoncelle et orchestre dans la musique de scène composée pour Les Erynnies en 1873, avant de devenir en 1875 la célébrissime « Elégie ».

L’historien Paul Robiquet est l’auteur des textes du cycle Poème d’amour, composé entre 1878 et 1880. Six poèmes mélancoliques qui exigent un baryton et une mezzo : la première, la deuxième, la quatrième et la cinquième mélodies sont chantées par « Lui », la troisième est un dialogue avec « Elle », la dernière étant un duo.

En 1882, Massenet revient à Armand Silvestre pour son Poème d’hiver, cinq mélodies précédées d’un Prélude pour piano seul, dont la musique est reprise pour la dernière mélodie du cycle. Ce principe de composition l’apparente à de grands cycles romantiques allemands comme A la bien-aimée lointaine ou L’Amour et la vie d’une femme. Poème d’hiver se compose en fait de deux grands blocs de trois pièces enchaînées sans solution de continuité.

Malgré une musique assez peu inspirée, la mélodie Les Enfants (1881) vaudra à Massenet un grand succès, sur un lamentable poème de Georges Boyer, librettiste de la cantate Biblis et du Portrait de Manon. Au tournant du siècle, le compositeur revient à la forme du triptyque, déjà pratiquée à ses débuts : Poème d’un soir (1895) s’appuie sur des textes de Georges Vanor, pour une forme quasi opératique (récitatif, arioso, aria). Quant aux Quelques chansons mauves (1902), Massenet y met en musique trois poèmes d’André Lebey, en s’orientant vers une grande liberté dans la déclamation. Loin de s’épuiser, l’inspiration de Massenet mélodiste s’épanouit au contraire dans sa dernière décennie créative. En 1907, sur un poème de Jane Boussac, l’épouse de Catulle Mendès – alors librettiste d’Ariane et de Bacchus –, le compositeur crée ce que beaucoup considèrent comme sa plus belle mélodie, La Lettre.

Dans son dernier ensemble de mélodies, Massenet décide de combiner tous les types de prosodie possibles : style lyrique, récitatif, mélodrame ou déclamation rythmée qui semble anticiper le Sprechstimme de Schoenberg. Le rôle du parlé – libre ou rythmé, avec ou sans fond musical – constitue évidemment un obstacle supplémentaire au rayonnement international des mélodies de Massenet, puisque ces passages supposent une impeccable maîtrise du français. Voici comment il présente cet ultime cycle dans Mes souvenirs : « Une idée d’un réel intérêt me fut soumise, entre temps, par l’artiste à qui devait échoir la mission de la faire triompher plus tard [il s’agit bien entendu de sa dernière égérie, la contralto Lucy Arbell]. Ayant mis cette idée à profit, j’écrivis une suite de compositions et leur donnai le nom proposé par l’interprète : les Expressions lyriques. Cette réunion des deux forces expressives, le chant et la parole, je m’intéressai grandement à la faire vibrer dans une même voix ». Publiées à titre posthume en 1913, dédiées à Lucy Arbell, les Expressions lyriques, avec déclamation rythmée ne sont pas un cycle mais un recueil de dix mélodies sans liens entre elles. Les textes sont d’auteurs variés ; on prétend parfois que « Mélancolie », poème anonyme, serait de Lucy Arbell elle-même.

De fait, ennui et mélancolie sont les humeurs qui dominent cet ultime recueil. La première mélodie, « Dialogue », est un échange de questions et de réponses entre deux amants, alternance de style lyrique et de déclamation rythmée. Toute l’habileté de l’interprète consiste précisément à passer sans heurts d’un mode à l’autre, en respectant la volonté du compositeur de distinguer ainsi les personnages du poème. Clin d’œil à l’un des titres les plus célèbres de Massenet, « La dernière lettre de Werther à Charlotte » permet de balayer tout un spectre d’émotions, la déclamation rythmée correspondant à un moment de relative sérénité. A mesure que Werther se trouble, il passé du parlé au chanté, le moment le plus lyrique coïncidant aux sentiments les plus intenses ; le retour au parlé reflète son apaisement.

Dans la mélodie française, entre Bizet et Gounod d’une part, Fauré, Debussy et Duparc d’autre part, Massenet incarne une transition d’un style à un autre, vers une plus forte association entre voix et piano. L’oubli dans lequel ont néanmoins sombré la plupart de ses mélodies s’explique en partie par la regrettable faiblesse des poèmes qu’il mit en musique, mais aussi par le fait qu’on n’y retrouve pas la force mélodique de ses opéras. Lorsqu’on tente aujourd’hui de redonner vie à ces chansons salonnardes qui connurent un grand succès du vivant du compositeur, il est difficile d’échapper à la monotonie. Certes, Massenet a surtout utilisé des poèmes où le « je » qui s’exprime est en général celui d’un homme s’adressant à sa bien-aimée. Après avoir été longtemps l’apanage des voix graves, principalement des barytons (François Le Roux, Bernard Kruysen, etc.), les mélodies de Massenet reviennent pourtant en force, portées par des voix féminines, peut-être plus à même d’en rendre sensible la séduction.

 

  

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