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Luca Pisaroni : « Je ne suis pas un artiste angoissé »

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Interview
11 novembre 2008

Infos sur l’œuvre

Détails

Luca Pisaroni est à 33 ans l’une des basses italiennes les plus accomplies de sa génération. Figaro endiablé pour Martinoty, Leporello servile et ambigu chez Haneke, il retrouve ce mois-ci le personnage de Guglielmo dans un Cosi fan tutte de Mozart confié à Eric Génovèse au Théâtre des Champs-Elysées.Rencontre avec un artiste réfléchi et enthousiaste à qui tout semble réussir.

 

Le Châtelet, Garnier, Bastille, Nanterre, le Théâtre des Champs-Elysées, vous êtes très souvent invité à Paris et l’on vous retrouve ce mois-ci dans une nouvelle production de Cosi fan tutte de Mozart au TCE. Comment voyez-vous ce personnage de Guglielmo que vous avez interprété à de nombreuses reprises?

J’aime tout particulièrement développer le côté sombre de Guglielmo, que beaucoup trouvent superficiel, alors que je le considère comme Don Alfonso en devenir, dans le sens où ce qui lui arrive pendant cette journée, va le changer radicalement, jusqu’à la perception qu’il pouvait avoir de la vie. Je suis également très intéressé par le dilemne intérieur qu’il cherche à résoudre et qui le force à passer de l’état d’adolescent à celui d’adulte. Pour moi qui suis encore jeune, j’ai le sentiment que ce personnage est contraint de suivre un parcours quasi initiatique, au cours duquel il va découvrir des choses essentielles sur la vie et notamment sur les relations entre les autres, qu’il ne connaissait pas et qui vont transformer son regard sur l’existence. J’éprouve beaucoup de plaisir à jouer son double jeu, pour faire comprendre au public qu’il ne croit pas à cette mascarade ; on ne peut pas se comporter comme il le fait, sans avoir d’une côté de la tendresse et de l’autre un certain cynisme. Je ne sais pas si j’aborderai Don Alfonso, rôle intéressant d’un point de vue dramaturgique, mais auquel il manque à mon avis, des explications : il est difficile de savoir pourquoi il agit comme il agit et pousse ces jeunes hommes à ce comporter de cette manière. Aucun élément ne nous renseigne sur les raisons de sa motivation, ce qui reste pour moi une énigme.

Votre nom est associé à Mozart dont vous chantez Figaro, Leporello, Guglielmo, mais aussi Masetto, Publio et Papageno. Comment êtes-vous parvenu à ce répertoire. Etait-ce voulu au départ ou un hasard ?

Par choix, parce qu’à l’institut déjà, j’aimais les drames, les dilemmes intérieurs des personnages et la manière dont chaque caractère réagit face aux difficultés. La musique de Mozart est d’un point de vue théâtrale exceptionnelle, les livrets de Da Ponte étant pour moi proches de la perfection. Le répertoire mozartien s’est très vite avéré conforme à mon type de voix, ce qui explique pourquoi je le chante si souvent, à l’exception de Don Giovanni, qui, sur le plan vocal n’est pas impossible, bien que je me définisse comme baryton-basse et non le contraire, mais dont l’interprétation est diablement complexe. Ce rôle ne supporte pas la demi mesure : où l’on y est fantastique, où l’on y est horrible. La médiocrité ne lui va pas. J’ai adoré la production de Mickaël Haneke et les rapports troublants qui étaient instaurés entre Don Giovanni et Leporello.

Vous chantez Mozart, Rossini, Haendel et le répertoire baroque avec Harnoncourt, Bolton, Jacobs, Haïm ou Spinosi, garants d’une certaine authenticité, sur instruments anciens, aussi facilement qu’en compagnie de Harding ou de Cambreling, sur instruments modernes. Cela a-t-il des conséquences sur votre manière de chanter et d’interpréter la musique?

Je ne peux pas dire que ma façon de chanter soit identique, car chaque directeur musical apporte avec lui ses propres idées et je ne pense pas qu’il y ait une approche unique. Quand je me retrouve sur une production, je suis
toujours très ouvert à toutes les propositions et plus un chef a des idées étranges, plus cela me convient. Il faut bien avouer que si je dois participer à une nouvelle production des Noces de Figaro qui resemble à celle que je viens de quitter, cela finit par être lassant. J’ai besoin des autres pour trouver de nouveaux angles d’attaques et poursuivre mes recherches. Je suis particulièrement heureux lorsqu’un chef, ou un metteur en scène, m’entraîne dans de nouvelles directions, m’aide à poser un regard neuf sur une oeuvre que je pensais connaître. Puis je fais attention à laisser parler la musique, celle de Mozart étant incroyablement précise. Bien sur j’aime changer les tempi, essayer de chanter certains airs plus vite et d’autres plus lentement. En Amérique, je dois chanter les récitatifs plus forts en fonction de la grandeur des théâtres, alors qu’ici au Théâtre des Champs-Elysées je n’ai pas besoin de forcer, l’acoustique est parfaite et je peux quasiment parler les récitatifs, ce qui me plait énormément.

Vous avez participé à de nombreuses mises en scène très controversées signées Marthaler, Haneke, Guth, ou Kusej, des personnalités qui ne font pas l’unanimité, tout en travaillant avec des artistes plus classiques comme Martinoty, Carsen ou Wilson. Comment faites-vous pour passer d’un univers à l’autre tout en conservant votre personnalité?

Lorsque je participe à un spectacle traditionnel, dans des décors et des costumes d’époque, j’essaie toujours de jouer de manière moderne, sans essayer de reproduire un comportement qui pourrait être celui du XVIIIe siècle, parce que je crois que le public apprécie davantage les personnages dont il se sent proche. Dans une production classique comme en réalise Jonathan Miller, ma façon de bouger est la même que dans la vie quotidienne, sans pose, ni fioriture, afin que les références, les codes, certains enjeux, parlent avec plus de pertinence aux spectateurs. Avec Martinoty j’adopte également le comportement d’un homme moderne, mon approche étant plus mentale pour faire passer les intentions du metteur en scène d’un point de vue psychologique. Chez Haneke par exemple, même si les différences de classes sociales persistent, il ne m’a pas demandé de les souligner. Il voulait que j’en fasse le moins possible, que je joue de façon minimaliste, avec très peu de mouvement, comme au cinéma.

Waltraud Meier confiait récemment dans la presse* qu’elle en avait assez  » de ces visions destructrices ou réductrices et que le problème n’était pas d’être moderne ou pas, mais d’être tout simplement intelligent ». Qu’en pensez-vous?

Je suis totalement d’accord, aujourd’hui être moderne ne suffit pas. J’ai vu beaucoup de productions modernes, très belles et très intelligentes comme La clemenza di Tito par Martin Kusej et un Don Giovanni donné à Salzbourg. Mais certains spectacles manquent cruellement d’idées. Pour ma part, j’apprécie qu’un metteur en scène m’aide à résoudre les conflits auxquels certains rôles me confrontent.

Peut-on savoir comment vous préparez vos rôles dans votre laboratoire intime, avant d’arriver aux répétitions et de vous fondre dans la vision du metteur en scène?

Hum, je crois beaucoup à la connaissance et quand je prépare un rôle, j’essaie d’écouter ceux qui m’ont devancés. J’ai écouté presque toutes les versions de Don Giovanni pour éduquer mon oreille : Siepi, Hampson, Allen, qui
ont pu travailler avec les plus grands chefs, m’apportent beaucoup, leurs interpréations sont riches d’enseignement et me sont très utiles pour comprendre la partition. Après tout les peintres ont toujours procédé de la même façon, en se tournant vers le passé et en apprenant l’histoire de l’art ; on ne peint pas sans avoir de références. En second, j’essaie de lire ce qui est écrit et cherche à insérer les sentiments qui me semblent adaptés aux situations. Je ne suis pas quelqu’un qui reste la tête dans les mains et qui attend chez lui en réfléchissant. Quand je fais un tour avec mon chien, cela m’est plus utile. Riccardo Muti m’a dit un jour une chose très intéressante : il a vu beaucoup de chefs qui attendaient dans leur loge, se concentraient en répétant jusqu’à la dernière minute, puis qui arrivaient sans énergie au moment du concert. Lui au contraire arrive détendu dans la fosse et si l’eau bout dans son ventre, toute son énergie se libère pendant le concert. Pour moi c’est pareil, je mange, je vais me promener et arrive en scène très en forme. Je pense, mais je ne suis pas un artiste angoissé.

Contrairement à certains de vos confrères, votre carrière est essentiellement scénique. Peut-on savoir pourquoi vous ne pratiquez pas le récital ?

Je vais justement faire une tournée en Amérique ; c’est un aspect de ma carrière qui ne me satisfait pas, car je voudrais faire plus de récitals et de concerts, mais les italiens ont toujours des difficultés à convaincre qu’ils sont capables de chanter dans une autre langue que la leur. Cela coûte beaucoup d’énergie, mais je suis obstiné : j’ai conçu un programme où je chanterai Meyerbeer en allemand, Rossini en italien, Liszt en italien et allemand. J’y
tiens beaucoup, car un chanteur ne peut être complet que s’il développe aussi cette activité. Je ne veux pas arriver à 45 ans sans avoir une expérience de récitaliste, car les intentions musicales et tout ce qui s’apprend dans les lieder peut nourrir l’opéra et vis versa. La mélodie est un opéra miniature dont nous devons parvenir à transmettre tous les secrets en deux minutes. Mon premier récital a été difficile, j’avais peur, je me sentais seul, démuni, nu face au public, mais j’ai éprouvé pourtant une grande satisfacifaction, car j’avais pu entrer en communication avec le public, de manière très intime.

Vous êtes né à Busseto près de Parme sur les terres de Verdi, avez fait vos études au Conservatoire Verdi de Milan, avez reçu les conseils du grand ténor verdien et parmesan, Carlo Bergonzi, mais vous ne chantez pas la musique de ce compositeur. Pour quelles raisons ?

Pour être tout à fait exact, j’ai grandi à Bussetto mais je suis né au Venezuela. Parce qu’il est encore trop tôt et je veux chanter longtemps. C’est surtout une question de maturité, car je suis convaincu qu’à trente ans il est impossible de chanter des rôles d’homme de cinquante : voyez Philippe II, il faut avoir vécu un vie pour être crédible et à mon âge je ne possède que les notes. L’amour, la désillusion, je n’en ai pas encore fait l’expérience. Piano, piano, j’y arriverais et puis à quoi sert d’aborder tout, tout de suite, quel ennui. Il faut patienter, tout se mérite.

Vous chantez pour le moment la musique de Bach jusqu’à celle de Puccini ; quel regard portez-vous sur la création contemporaine et seriez-vous prêt comme Simon Keenlyside à tenter l’aventure avec des auteurs de votre temps ?

Le directeur du Met m’a proposé de participer à un projet très important pour moi, puisqu’il s’agit de chanter Figaro dans The ghosts of Versailles de John Corigliano, une oeuvre qui date de 1991, ce qui me fait très plaisir, car il s’agit d’un rôle en anglais qui va me sortir de mon répertoire habituel.

Connaissez-vous l’opéra de Conrad Susa d’après Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos ?

Oui, il a d’ailleurs été créé à San Franciso par mon beau père, Thomas Hampson, et par Frederica von Stade en 1994. J’aime ce rôle de Valmont qui convient tout de même davantage à un baryton (rires).

Le fait de ne pas être sous contrat avec une maison de disque constitue-t-il une difficulté pour mener une carrière aujourd’hui ?

Avoir un contrat aide certainement pour la publicité et la notoriété : c’est évident! Mais je dois dire que je suis heureux comme je suis. Je ne crois pas que la marché ait encore besoin d’un nouvel album d’extraits de Mozart, d’autres l’ont fait tellement mieux. Selon moi la signature d’un contrat devrait couronner une carrière et en aucun cas la lancer et puis les choses ont changé : avant on chantait un opéra sur scène puis on l’enregistrait, aujourd’hui c’est terminé, il y a internet, le public veut voir et entendre, c’est pourquoi le DVD a encore de beaux jours devant lui.

Quels sont vos prochains projets à Paris ?

Je reviendrais chanter les Noces de Figaro à la Bastille avec Philippe Jordan, un chef que j’admire énormément parmi la jeune génération. J’ai assisté à sa lecture de Docteur Faust de Busoni, qui m’a laissé pantois. C’est tout pour le moment, malheureusement.

Propos recueillis et traduits de l’italien par François Lesueur

 

* Revue Ligne 8 de l’ONP

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