Après Claudio Desderi en octobre dernier1, c’est au tour de Leontina Vaduva de donner du 8 au 11 décembre une master class publique. A l’origine du projet, le Centre Harmonique, une association dont la singularité se trouve dans son enseignement principalement centré sur le chant. Rencontre avec une maîtresse de musique.
Pourquoi donner des master classes ?
L’expérience est à chaque fois différente. Parfois cela dure 3 ou 4 jours, parfois une semaine ou plus. Le plus confortable étant de se rencontrer quelques jours seulement. Il faut expliquer aux chanteurs l’importance du phrasé, de la respiration, du personnage qu’ils incarnent… Il faut que ces exercices restent dans le corps et dans l’esprit. L’objectif étant aussi de ne pas leur donner trop de conseils au risque de les noyer sous un flot d’information .Concernant le répertoire abordé, généralement je choisis en premier lieu les rôles que j’ai déjà interprétés. Mais cela dépend des voix que l’on a en face de soi. Plusieurs jeunes filles viennent me voir en me disant qu’elles veulent chanter en soprano alors qu’elles ont une voix de mezzo. Il est très délicat de leur expliquer qu’il vaut mieux aller dans l’autre sens. J’aurai bien voulu être baryton de mon côté mais ce n’était pas possible ! (rires) On doit faire avec ce que l’on a. Il m’arrive aussi d’enseigner à des ténors, basses et barytons. Je les guide en leur expliquant où le son doit paraître plus rond, plus chaleureux, avec d’avantage d’expression… Mon travail s’appuie aussi sur des exercices corporels. J’ai récemment remarqué que les jeunes chanteurs sont très cérébraux et que la connexion entre le corps et la voix ne se fait pas toujours.
Existe-il une méthode Leontina Vaduva ?
Je ne dirai pas qu’il s’agit d’une méthode. Je me suis inspirée de ce que j’ai lu, ce que j’ai vu et ce que j’ai fait moi-même. C’est peut-être une méthode mais qui se recoupe avec ce que les autres ont pu enseigner. Je ne fais pas des miracles non plus, on prend l’art du chant à sa manière et on adapte en fonction de la sensibilité de chacun. On est tous unique après tout. Des exercices marchent sur certains, d’autres non. L’aspect psychologique est essentiel. On a chacun nos pudeurs. La voix est très intime. Chanter, c’est comme se déshabiller. Face à un autre chanteur, on se dévoile et on devient vulnérable. Il faut prendre beaucoup de précautions et de douceur en n’agressant pas la personne en face de soi. Il faut suggérer. Le temps passe très vite en plus lors de ces master classes et il faut partager le maximum d’informations. A partir de la technique, on donne vie à une partition. La gestuelle a aussi sa part d’importance, surtout aujourd’hui. Il faut savoir porter une phrase avec sa voix mais aussi avec son corps et son visage.
Evoquez-vous aussi vos expériences personnelles ?
Bien entendu. Je leur explique d’ailleurs qu’il ne faut surtout pas suivre mes propres erreurs. Il ne faut pas s’engager dans un répertoire alors que vous n’êtes pas prêts pour y rentrer. J’ai dû chanter très jeune Antonia dans Les Contes d’Hoffman car j’ai été forcé de le faire par le conservatoire. Je n’étais pourtant absolument pas prête pour chanter ce rôle. J’aurai préféré attendre quelques années pour cela. C’est un rôle qui demande davantage d’expérience. Il faut avoir un mental très fort. J’enseigne aux jeunes comment refuser certaines partitions. Les chanteurs de la nouvelle génération sont souvent d‘anciens instrumentistes. Parce qu’ils savent lire la musique, ils pensent avoir plus d’atouts mais ce n’est pas vrai. Le chant demande beaucoup plus de travail.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui ne peuvent assister à vos master classes ?
Bien choisir son répertoire pour les novices et, pour ceux qui sont déjà lancés dans la carrière, faire très attention à l’enchainement des ouvrages qu’ils interprètent. Alfredo Kraus m’avait conseillé de ne pas trop chanter La Bohème mais, au contraire, varier les rôles en chantant des personnages plus légers comme Suzanna afin de préserver sa voix. Il ne faut pas non plus courir à l’autre bout du monde sans prévoir des plages de repos, deux jours avant une représentation. On vit dans un monde où l’argent prime parfois sur la qualité. Il faut qu’ils se protègent et fassent attention à leur agenda s’ils veulent rester en forme. J’ai pu faire des erreurs dans ma vie. Michel Plasson m’avait demandé d’enregistrer Marguerite dans Faust alors que je ne me sentais pas prête. Chacun a sa façon de percevoir ce qu’il peut faire. Il faut prendre des risques mais les mesurer tout comme l’on varie les plaisirs.
Avez-vous participé dans votre jeunesse à des master classes ?
Très peu. Je me souviens en revanche avoir travaillé avec Renata Scotto pour La Traviata par exemple. J’ai demandé des conseils à droite à gauche. J’ai commencé très tôt sur scène avec des chanteurs exceptionnels comme Alfredo Kraus, James Morris, Placido Domingo… Ce fut ma vraie école et c’est la meilleure qui existe. C’est ce savoir, cette science, ce vécu que je souhaite transmettre aux jeunes. Les vibrations et les décharges émotionnelles interviennent avant tout sur scène. Avec l’expérience, on apprend à gérer tout cela. Je pleure encore quand je chante « Adieu à notre petite table » de Manon de Massenet par exemple. Il faut savoir gérer ces émotions et savoir jusqu’à quel point elles peuvent nous saisir. Les émotions doivent avant tout être au service de la musique.
Votre apprentissage du chant à Bucarest sous le communisme fut une période difficile.
Très difficile. On était obligé de chanter des chants patriotiques et de participer à des fêtes nationales mais la musique a toujours été au delà des problèmes politiques. Les politiciens l’ont bien sûr utilisé à leur propre compte mais nous étions assez préservés à ce niveau. Ma mère était déjà une grande chanteuse donc je n’ai pas eu le même régime que les autres. Je n’étais pourtant pas libre de mener une carrière internationale. J’avais des contrats dans le monde entier, en particulier aux Etats-Unis mais on me l’a refusé. J’ai donc demandé l’asile politique à la France. Ce fut des années de cauchemars où je ne pouvais pas voir mes parents. Ma mère a d’ailleurs été interdite de radio et de télévision jusqu’à la chute du communisme en 1989. Quelque part, cela m’a donné plus de forces car la censure vous empêche de vous exprimer véritablement. Je ne parle cependant pas de cela lors de mes master classes. Ce qu’il y a d’important est ce qu’il se passe sur scène même si nos expériences personnelles servent à la construction de nos personnages. Il faut savoir tout analyser. Le conservatoire de musique de Bucarest a aujourd’hui une renommée internationale avec un enseignement d’un excellent niveau.
Vous avez parlé d’Antonia mais votre carrière a véritablement commencé grâce au personnage de Manon dans l’opéra de Massenet
Manon marque le début de ma carrière internationale. A la fin de mes études en Roumanie en 86, j’ai chanté Antonia des Contes d’Hoffmann ainsi que Lauretta dans Gianni Schicchi. J’ai ensuite quitté le pays pour m’installer en France et c’est là qu‘a débuté ma carrière grâce au rôle de Manon. C’est d’ailleurs la providence qui l’a mise sur mon chemin car le jour de l’audition je me souviens avoir acheté l’enregistrement de Michel Plasson avec Alfredo Kraus ! J’ai même eu le prix Lawrence Olivier pour ce rôle à Covent Garden. C’est à Michel Plasson que je dois ma réussite dans le répertoire français. Il m’a appris son exigence et ses particularités, à faire ressortir les vraies couleurs, celles que l’on peut retrouver dans une toile de Monet par exemple. Manon me tient encore aujourd’hui très à cœur même si j’ai adoré chanter Mireille, Faust et Roméo et Juliette. Ce sont des personnages très intenses et complexes. Puis, il y a bien sur tout Verdi dont La Traviata. Depuis la naissance de mon fils, je me suis pourtant éloigné de la scène. J’ai voulu avant tout m’occuper de lui. Après ce break, les théâtres m’ont rapidement sorti de leurs esprits à l’inverse du public ! Je continue les concerts et me dédie donc à l’enseignement.
Quels sont vos projets ?
Je chante ce soir un concert en direct sur la radio roumaine accompagné de l’orchestre philarmonique. Au programme : l’air de la lettre de Tatiana dans Eugène Onéguine, un air roumain et un duo tiré de Manon. Ce concert est organisé à l’occasion de mon anniversaire que je viens de célébrer avant-hier ! Je le fêterai à Paris en même temps que cette master classe organisée par Le Centre Harmonique. Ecouter une jeune chanteuse me met parfois les larmes aux yeux. Je sais combien cela est difficile et si je peux aider, alors je suis comblée. Il faut que l’on se donne la main, que l’on se regarde dans les yeux pour partager nos passions.
Propos recueillis par Edouard Brane le 3 décembre 2010
Master-classe de Leontina Vaduva, accompagnée au piano par Anne Marie Fontaine, du 8 au 11 décembre, 15h à 18h et 20h à 22h (concert lyrique le samedi 11 décembre à 20h)
Théâtre de l’Alliance Française 101 boulevard Raspail PARIS 6e.
Plus d’informations sur www.centre-harmonique.com.
1 Lire l’article de Marcel Quillévéré, A quoi bon une master class ?