La Réunion des Opéras de France lance la 13e édition de la manifestation « Tous à l’Opéra ! ». Vingt-six maisons d’opéra ouvriront leurs portes les 3, 4 et 5 mai prochains et proposeront des répétitions publiques, des concerts, des rencontres, et des visites des ateliers. Cette édition intitulée, « L’opéra : la grande fabrique du spectacle », est parrainée par le metteur en scène et créateur de costumes Laurent Pelly. L’ancien co-directeur du Centre Dramatique National de Toulouse souhaite que cette initiative puisse réellement faire connaître le genre de l’opéra, mais surtout, les métiers et les talents spécifiquement attachés à son processus de création.
Etait-il important, pour vous, d’accepter cette proposition de parrainage ?
Oui, d’autant que cette édition met l’accent sur les métiers de la fabrique de l’opéra, qui finalement est une fabrique de rêves. On y retrouve une multitude de métiers autres que ceux des chanteurs et des musiciens de l’orchestre, et dont le grand public n’a pas absolument pas connaissance. D’ailleurs, j’étais même assez surpris de remarquer, lors d’échanges avec certaines personnes dans le cadre de la promotion de cette manifestation, que même celles d’entre elles qui étaient susceptibles d’être sensibilisées ne savaient pas ce que la fabrication d’un opéra pouvait impliquer. C’est notamment pour ces raisons que j’ai accepté d’être parrain car aujourd’hui, il me semble important de défendre ces métiers d’art, qu’il s’agisse de la conception, la création de décors, de costumes. Grâce à cela, et aux talents des personnes qui exercent ces métiers, les choses les plus folles et les plus incroyables peuvent être réalisées. Dans le spectacle vivant, l’opéra est le seul genre où l’on peut faire appel à ce niveau de compétences.
Les métiers de l’artisanat propre à l’opéra seraient-ils trop dans l’ombre ?
Je trouve en effet qu’il est important de les mettre plus en lumière, d’autant que cela pourrait susciter des vocations. Quand j’ai fait Platée à l’Opéra National de Paris, moi le premier, je ne savais pas de quelles manières, ce que j’avais mis sur mes différents dessins allait concrètement pouvoir être réalisé. Puis, j’ai découvert les ateliers de Bastille et j’ai pris connaissance des compétences de toutes ces personnes qui sont absolument inouïes. Et finalement, il n’y avait pas de limites puisque ceux et celles qui exercent ces métiers dans les ateliers, que cela soit pour la scénographie, pour les décors, pour les costumes ou les accessoires, acceptaient chaque proposition et idée, mêmes les plus folles, et ont tout mis en œuvre pour les réaliser. L’année dernière, j’ai monté le Roi Carotte à l’Opéra National de Lyon. Pour inventer une Cour de légumes et dessiner ces derniers sans forcément se projeter dans la réalisation, cela pose quelques questions : « Comment cette carotte peut être vivante ? » « Comment peut-elle être menaçante ? » « Comment peut-elle se faner ? », etc. Une fois encore, on découvre par la suite qu’il y a de nombreuses personnes derrière, qui mettent tout leur savoir-faire pour réaliser des choses qui sont primordiales à la mise en scène et au spectacle. Et en effet, même si le fond de l’opéra c’est la musique, je trouve qu’il est important de rappeler de temps en temps, qu’un spectacle se monte également grâce à tous ces talents.
Retrouve-t-on ces métiers et ces talents au théâtre ?
Non, du moins, on les a un peu perdus au théâtre. Il n’y a que la Comédie Française qui a un atelier du niveau de l’Opéra National de Paris. Certains Centres Dramatiques Nationaux ont encore des ateliers, mais il y en a beaucoup moins.
Pour quelles raisons ?
Il faut dire que le costume a un peu perdu de son intérêt au théâtre. D’ailleurs, aujourd’hui dans la plupart des productions, ce sont des costumes contemporains. S’il fallait trouver une autre raison probable, ce serait celle de l’économie peu favorable du théâtre…
… qu’on peut retrouver aussi à l’opéra.
Oui les budgets se rétrécissent aussi à l’opéra. Mais au théâtre, c’est plus important, et les ateliers ont pu en pâtir. Souvent, dans le cadre du théâtre public, de nombreuses structures préfèrent aujourd’hui, faire appel à des ateliers privés de façon ponctuelle, plutôt que d’assumer la charge d’un atelier permanent, et cela peut se comprendre. Cela permet d’avoir plus de productions, mais néanmoins, c’est une perte de ces métiers. Heureusement, nous les retrouvons encore à l’opéra !
En vingt-cinq ans d’expérience, avez-vous remarqué une évolution quant à l’accessibilité de l’opéra ?
Beaucoup de travaux ont été réalisés pour susciter l’envie aux personnes qui ne connaissaient absolument pas l’opéra de le découvrir. C’est le cas notamment des retransmissions à l’écran qui permettent elles aussi de démocratiser le genre. Néanmoins, on trouve encore des personnes qui ont peur de s’y rendre et qui ne comprennent pas pourquoi c’est quelque chose de merveilleux d’assister à une représentation. Donc je pense qu’il faut toujours, et surtout vis à vis du jeune public, prendre la main des gens, les amener à passer les portes de ces lieux, même si cela peut être impressionnant, et leur montrer ce qui est beau, ce qui est touchant, et ce qui peut plaire. Et justement, c’est bien ça l’objectif de « Tous à l’opéra ! ». Au théâtre, on retrouve moins ce type d’opportunité.
Vous parliez précédemment du « processus de création » de l’opéra. Selon vous, quelle est l’étape la plus impressionnante de ce processus ?
Pour ma part, c’est le premier jour de répétition. Le montage d’une production se fait toujours, deux, trois à cinq ans à l’avance. Pendant ce temps, il y a eu tout un travail de réflexion et de recherche avec le scénographe, le costumier, le dramaturge, etc. Et puis très rapidement, on se retrouve avec les chanteurs, les musiciens, avec qui le travail est réalisé en un temps beaucoup plus réduit. C’est souvent sur un maximum de 6 semaines, ce qui est toujours très court par rapport à la difficulté, et à la dimension d’un ouvrage. C’est une autre chose impressionnante de ce processus, puisque, finalement, on met beaucoup de temps à aboutir à un projet, et tout d’un coup, arrive la première répétition. Ensuite, tout va très vite ! J’aime beaucoup parler de ce « processus de création », parce que personne n’a véritablement connaissance ces étapes de production, et personne n’imagine la pression que cela peut constituer. A l’opéra, il y a une notion d’urgence qui est assez marquée.
Notion qui se retrouve dans la création théâtrale ?
Plus ou moins. Je dis souvent : « Au théâtre on peut chercher, à l’opéra il faut trouver ». Au théâtre, jusqu’à la veille de la première représentation, on peut changer beaucoup de choses, ce qui n’est pas le cas à l’opéra. A l’opéra, une scène répétée en salle de répétition est une scène « dans la boite ». Elle ne bougera presque plus, parce qu’on n’a pas le temps d’y apporter des changements. Quand on a des scènes de chœur avec 80 personnes sur le plateau, on ne peut pas se permettre de donner des informations puis changer soudainement celles-ci, car cela va créer nécessairement des confusions. L’aspect théâtral n’est pas unique à l’opéra. Il faut travailler avec la musique et tout cela peut être compliqué.
Lorsque vous envisagez une mise en scène, vous mettez-vous dans la position d’un auditeur qui ne connaît ni l’œuvre, ni les compositeurs et ni les références sous-jacentes ?
Oui c’est une de mes préoccupations et un fil conducteur de mon travail. Je me pose souvent la question de « Comment un individu qui n’est jamais allé à l’opéra peut percevoir, aujourd’hui en 2019, tel ouvrage, et être ému, choqué, interloqué, etc. ?». Il y a des ouvrages qui nécessitent peu de dépoussiérage. D’autres nécessitent, par l’évolution du temps, une lecture différente.
A titre d’exemple ?
Je viens de monter le chef d’œuvre absolu qu’est Falstaff, à l’opéra de Madrid. Je pense que pour ce genre d’ouvrage, peu importe le type de mise en scène, cela fonctionnera quoiqu’il arrive. Ici ce qui m’intéressait, c’était le miroir que la pièce tend au spectateur d’aujourd’hui. Il y a un aspect social très intéressant dans cette œuvre qui réside dans le rapport entre la bourgeoisie et la marginalité. Cet aspect permet à la pièce de fonctionner toute seule. D’une manière générale, lorsque j’approche un ouvrage lyrique, je fais toujours un travail très proche de la musique, je suis très soucieux que les interprètes l’intègrent physiquement, car de toute évidence, je pense toujours que l’opéra ce n’est pas la réalité. C’est la convention absolue à partir du moment où les personnages chantent leurs histoires sur scène, donc je ne joue jamais la réalité.
Ceci pour tous les genres de l’opéra, le comique comme le seria ?
Oui absolument, pour tous les genres. La réalité est toujours rêvée ou transformée. On ne peut pas jouer un opéra de manière réaliste. A partir du moment où un chanteur chante et est obligé de regarder le chef d’orchestre et dès lors qu’on accepte cette contrainte là, la réalité est déjà déformée. Cela m’intéresse d’utiliser cette contrainte et de la pousser un peu plus loin. L’opéra ce n’est pas la réalité. En revanche, il la transcende !
Platée, que vous aviez mis en scène à l’Opéra National de Paris, est-il,selon-vous le type d’ouvrage que l’on doit « dépoussiérer » ?
Oui, car c’est un opéra très codé par Rameau. Justement, quand je travaillais avec Marc Minkowski, je gardais bien en tête que tout le monde n’avait pas forcément les codes de la tragédie lyrique. De fait, je devais jouer sur plusieurs plans pour pouvoir rendre émotionnellement, l’ouvrage vivant.
Vous arrive-t-il d’avoir des regrets sur vos propositions de lecture ?
Oui, parfois je constate que je peux me tromper. Il y a certaines productions où il m’arrive de regretter tel ou tel choix. Initialement, je pensais que cet ouvrage n’avait pas besoin d’une lecture radicale, mais une fois la production passée, je réalise que j’aurais dû aller plus loin ou que j’ai été trop sage.
La présentation de maquette est quelque chose que vous pouvez parfois appréhender ?
Cela dépend. Sur une cinquantaine de productions d’opéra, cela ne m’est arrivé qu’une seule fois de devoir revoir ma copie. C’était tout à fait justifié et je m’étais trompé sur le plan technique. Mais sinon, à partir du moment où un directeur d’opéra fait appel à vous pour monter tel ou tel ouvrage, il y a quand même un respect artistique qui est posé. Maintenant, si challenge il y a, je dirais qu’il est plutôt d’ordre économique. Quand vous lisez les livrets d’opéra et que vous portez votre attention sur les didascalies, vous trouvez beaucoup d’informations que cela soit sur les décors, sur les costumes, sur les accessoires. Donc l’invention peut être sans fin. Aujourd’hui, dans les rendus de maquette, on est plutôt sur ce type de problématique économique. Mais pour répondre à votre précédente question sur les étapes importantes du processus de création, je dirai aussi que la présentation de maquette est quelque chose d’impressionnant. Vous livrez à une équipe la manière dont vous allez raconter une histoire, histoire qui, par ailleurs, est connu des équipes de direction des opéras. Et en effet, cela peut être intimidant.
Faites-vous évoluer votre projet de mise en scène entre le rendu de maquette et la première ?
C’est très rare ! Après cela peut arriver puisqu’encore une fois, il y a toujours la question de la moulinette de l’économie. Il arrive très fréquemment qu’avec les scénographes avec qui je travaille, nous devons revoir à la baisse notre projet d’environ 20% de la conception pour des raisons budgétaires. Ensuite, l’évolution du travail est très difficile sur le plan scénographique, parce que si on rend la maquette un an à l’avance, c’est justement parce que le processus est très long : la mesure de faisabilité technique, la réalisation, etc. Nécessairement, quand on arrive aux répétitions, les décors sont déjà faits. Alors moi il m’arrive de me battre avec cette convention, car j’aime bien que les choses puissent encore bouger lors des répétitions. Mais en règle générale, on nous demande de concrétiser une chose avant le début des répétitions et c’est ça aussi notre métier. A titre anecdotique, il y a toujours une chose qui m’amuse beaucoup : entre la maquette que je livre et le décor réalisé qu’on retrouve dans les retours vidéos sur le plateau, à chaque fois, j’ai l’impression que c’est la maquette qui est projetée et non le décor. Les deux scénographes avec qui je travaille sont extrêmement précis et font des maquettes très pointilleuses. Les maquettes de décors, c’est la référence pour tout : pour la dimension, les éléments techniques, la couleur, la patine, etc. Plus c’est précis et plus le travail peut être abouti ensuite.
On vous retrouve à la rentrée prochaine à l’Opéra National de Paris pour Les Puritains. Vous êtes souvent remarqué dans l’opéra italien ou l’opéra français, mais peu dans l’opéra allemand.
Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir choisir ce que j’ai envie de faire et personnellement, j’aime spécialement le comique. Les Puritains, c’est un peu un écart dans le type de répertoire. Je fais très peu de bel canto. Il y a Offenbach bien sûr, et les italiens. Encore une fois, Falstaff a été un grand choc car c’est une œuvre éblouissante, un réel chef d’œuvre. Dans les prochains projets j’ai aussi Barbe Bleue à l’Opéra National de Lyon. Et la prochaine nouvelle production c’est Cenerentola à l’Opéra d’Amsterdam à la fin de la saison. Quant à l’allemand, je ne le parle pas du tout, et j’ai du mal à travailler dans des langues que je ne maîtrise pas. Et puis comme vous le soulignez, j’ai une prédilection pour l’opéra français. Je viens de remonter la Cendrillon de Massenet au Metropolitan. J’aime beaucoup faire ce genre d’ouvrage, surtout à l’étranger, parce que j’ai vraiment l’impression d’être utile et d’apprendre des éléments que des interprètes qui ne sont pas francophones, ne connaissent pas.
Comment définiriez-vous votre métier ?
Quand j’étais co-directeur du Centre Dramatique National de Toulouse, je disais toujours que mon métier, c’était être le passeur entre les œuvres et le public… ce qui rejoint un peu la volonté et l’ambition de « Tous à l’Opéra ! ».