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Laurence Equilbey : « On perçoit à travers l’histoire du dictateur Lucio Silla tous les émois que le jeune Mozart vivait lui-même. »

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Actualité
19 septembre 2022
Laurence Equilbey : « On perçoit à travers l’histoire du dictateur Lucio Silla tous les émois que le jeune Mozart vivait lui-même. »

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Seize ans, c’est l’âge qu’a Mozart quand il compose Lucio Silla. Il est à Milan et il entend révolutionner les codes de l’opera seria. Laurence Equilbey grave avec l’Insula Orchestra, pour Wagner, sa lecture du chef d’oeuvre de jeunesse, venant compléter une discographie intéressante mais plutôt lacunaire. 


Pourrait-on situer l’œuvre dans sa chronologie mozartienne ?

Lucio Silla est un opéra de jeunesse. Quand Mozart le compose pour le Teatro Regio Ducale de Milan, il a seize ans. C’est son troisième opéra milanais, après Mitridate et Ascanio in Alba, après quoi il quitte l’Italie pour toujours faute d’y avoir trouvé un engagement pérenne. On perçoit à travers l’histoire du dictateur romain Lucio Silla tous les émois que le jeune compositeur vivait lui-même. Il traite les caractères de manière magistrale et notamment l’ambiguïté du rôle-titre qui intensifie sciemment les situations dramatiques pour, à la fin, mieux apporter sa clémence, qui l’élèvera au rang de Dieu. Donc dans la chronologie, c’est vraiment un opéra très important, pour l’intérêt du sujet et aussi par sa position à l’intérieur même d’un genre qui va évoluer. Après, il faudra attendre deux ans pour que Mozart compose La Finta Giardiniera et Il Rè Pastore. 

Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce Lucio Silla ?

J’aime les ouvrages rares et j’aime les trajets qu’un compositeur fait à l’intérieur de son œuvre, quand une œuvre de jeunesse permet de mieux comprendre ce qui va suivre. Nous avons donné ce Lucio Silla une première fois lorsque l’Insula Orchestra était encore très jeune, dans une tournée à travers l’Europe qui nous a conduit à Vienne, à Aix-en-Provence et à l’Opéra Royal de Versailles. Et puis, en créant le festival Mozart Maximum à la Seine Musicale, il a été évident de reprendre ce spectacle qui avait eu beaucoup de succès en 2016. Par ailleurs, les enregistrements sur instruments d’époque ne sont pas tellement nombreux sur cette œuvre, outre celle de Nikolaus Harnoncourt. Comme nous avions réussi à réunir avec Josquin Maquarez une formidable équipe de cinq solistes autour de la metteuse-en-scène argentine Rita Constentino, il a nous a semblé opportun d’enregistrer une reproduction, au disque, de ce spectacle.

Est-ce que vous aviez eu l’occasion de voir la mise-en-scène de Chéreau ?

Je l’ai vu en DVD mais pas sur scène hélas. On m’a raconté des anecdotes sur cette production mémorable. Chéreau, par exemple, travaillait pendant une semaine uniquement sur les récitatifs et le texte, ce qui avait décontenancé les chanteurs à l’époque. Il en avait fait un point d’honneur dans sa manière de concevoir le drame lyrique, notamment au Théâtre des Amandiers. C’est effectivement dans les récitatifs que se situent tous les enjeux de la fidélité, de la confiance dans l’amitié et, en définitive, de la clémence de l’Empereur. 

Selon vous, est-ce que Lucio Silla est un opéra seria à la mode de grand papa ou déjà une vraie pièce mozartienne ?

C’est un opéra qui fait évoluer le genre, c’est même un opéra qui fait exploser le genre de l’opera seria. Il est manifeste que Mozart le respecte, mais qu’il entend déjà en bouleverser les codes et imposer sa patte. Par exemple, la scène du cimetière est un moment très personnel, notamment par l’utilisation d’un récitatif accompagné très ouvragé à la place du récitatif sec. Le continuum musical en est magnifié. Il y a aussi de grandes trouvailles orchestrales, comme l’utilisation des trombones associés à l’image des enfers ; des audaces harmoniques ou une virtuosité qui se construit sur l’économie des lignes. Le personnage de Giunia en est emblématique. La profondeur psychologique des personnages me semble poussée à t’extrême, sans même évoquer l’emploi profus des chœurs, ce qui restait rare dans l’opera seria. Certains passages font penser à Don Giovanni, notamment cette scène du cimetière.

Quels chanteurs désiriez-vous ?

C’est un opéra qui est particulièrement exigeant et qui nécessite de grands chanteurs. Le rôle de Cecilio a été composé pour le castrat Venanzio Rauzzini dont la tessiture est vraiment redoutable, même pour un contre-ténor, ce qui fait qu’on le confie presque systématiquement à une mezzo-soprano de nos jours. Avec Franco Fagioli, nous avons la chance d’avoir non seulement un caractère masculin mais de pouvoir bénéficier d’une vocalité fantastique et vengeresse (son personnage a maille à partir avec Lucio Silla). Par ailleurs, il y a trois rôles de sopranos, toutes très agiles, mais très différentes avec un ambitus très large et une capacité respiratoire sans limite. Olga Pudova, Chiara Skerath et Ilse Eerens ont trois voix différentes ce qui favorise la caractérisation de chaque rôle. Et nous avons eu la chance de travailler avec le ténor Alessandro Liberatore qui a une voix très ferme et dont la couleur me semble convenir parfaitement à ce dictateur dont on sait que Mozart, par les défaillances du créateur du rôle, a dû simplifier la partition, mais qui appelle néanmoins une sorte d’autorité vocale.

Vous avez opéré des coupures ?

Oui, c’est un ouvrage qui est très long. J’ai coupé un rôle – ce qu’on fait souvent – et enlevé un air par chanteur, pour ne léser personne. et on a aussi tenté de resserrer les récits – les maisons de disques n’imprimant plus de livrets multilingues – pour s’assurer que l’œuvre reste compréhensible. En l’état, notre enregistrement dure pourtant trois heures !  

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