A quelques jours de Carmen, les 8, 11 et 14 juillet aux Chorégies d’Orange*, Roselyne Bachelot nous dresse un portrait, forcément amoureux, de Jonas Kaufmann.
Décembre 2009, sur la scène de la Scala, Jonas Kaufmann entonne « La fleur que tu m’avais jetée ». Et se produit alors un phénomène étrange partagé par tous les spectateurs – hommes et femmes – : nous avons l’impression que du chocolat chaud coule dans nos veines… Il y a près d’un demi-siècle que je hante toutes les grandes salles d’opéra, j’ai vibré avec les meilleur(e)s mais jamais je n’ai rencontré ce pur mélange de beauté, de sensualité et de maitrise vocale.
Définir ce qui fait du ténor munichois un astre étincelant au firmament de l’art lyrique relève du panégyrique, mais tant pis. Le réduire à son physique avantageux serait injuste, cependant ce charme latin donne du « corps » à ces rôles de séducteurs servis trop souvent par des rondouillards à belle voix qui vous donnent juste envie de fermer les yeux. Pour autant, notre ténor n’arrive jamais sur scène en jouant les bellâtres guettant les pamoisons des admiratrices. Toute sa démarche est marquée par l’intériorité et il résout parfaitement le paradoxe de Diderot : il est le personnage mais il reste Jonas. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer son approche de Lohengrin dans la mise en scène de Neuenfels à Bayreuth et de Guth à Milan. Le premier en fait un héros ombrageux, le second un gamin immature et Kaufmann met son charisme au service de deux interprétations antagonistes qu’il crédibilise également. Quand il parle de son idole Fritz Wunderlich, il assure que « son cœur parlait à travers sa voix ». On ne peut mieux définir ce qui fait l’émotion transmise par notre divo assoluto.
Allons à l’essentiel, car je n’ai que trop attendu ! Comment définir cette voix incomparable qu’on reconnaît dès les premières mesures d’un enregistrement ? Les habituels grincheux boudent leur plaisir en claironnant « trop barytonnant » ou « pas assez clair ». Peu importe, cette voix profonde et sombre envoie une couleur servie par une maîtrise technique peu commune qui assure des graves enveloppants et une projection parfaite des aigus. Jonas Kaufmann est dans la tradition des chanteurs allemands qui ont débuté dans des chorales d’enfants, suivi une solide formation de théâtre et de musique à l’Ecole de l’Opéra de Munich et frotté leur apprentissage dans une troupe, en l’occurrence celle du Théâtre de la Sarre, là où il faut affronter tous les rôles sans jouer les capricieux. Qui, actuellement peut assurer un Parsifal de légende au Met, triompher dans le Dick Johnson de Fanciulla del West à Vienne et nous servir des Winterreise bouleversants au Théâtre des Champs-Elysées ? Le public, où siégeaient bien des réticents dont certains étaient venus pour le voir se casser la figure, fut littéralement hypnotisé par le souffle infini, la subtilité des nuances, la technique d’airain, le contrôle des moindres inflexions.
Le torrent d’émotion et le trouble brûlant que suscite Jonas Kaufmann seront sans doute sa signature pour l’éternité lyrique… En cet été 2010, dans le Festspielhaus de Bayreuth où l’on donnait Lohengrin, j’étais assise aux côtés d’Angela Merkel. Quand Jonas Kaufmann a débuté, dos au public In fernem Land, j’ai pensé que nous étions dans ce pays de la beauté pure et sensuelle que seuls donnent la musique et des interprètes de légende. La chancelière pleurait à chaudes larmes et sa main a serré la mienne…
P.S. : Non, non, vous vous trompez, j’ai gardé tout mon esprit critique quand je parle de Jonas… Seuls les mauvais esprits trouveront que je manque de mesure !
* Georges Bizet, Carmen, dirigé par Mikko Franck et mis en scène par Louis Désiré avec Kate Aldrich (Carmen) et Jonas Kaufmann (Don José), les 8, 11 et 14 juillet aux Chorégies d’Orange (plus d’informations), retransmis sur France 3 le 11 juillet à 22h20 (plus d’informations).