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John Nelson : « J’aimerais beaucoup diriger Carmen ! »

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Actualité
19 décembre 2019
John Nelson : « J’aimerais beaucoup diriger Carmen ! »

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Détails

Après une version des Troyens encensée par la critique, John Nelson revient, toujours chez Erato, avec un enregistrement de La Damnation de Faust où l’on retrouve notamment Michael Spyres et Joyce DiDonato. Par bonheur, il semble que le chef américain ne soit pas près de s’arrêter en si bon chemin.


On pourrait dire que vous êtes depuis longtemps « marié » à Berlioz : où en est votre relation avec lui ? Vous êtes un vieux couple, maintenant…

La relation est devenue de plus en plus forte avec les années, et je peux dire que Berlioz et un peu comme un frère. Je comprends sa musique mieux que jamais : j’ai fait neuf productions des Troyens, donc je connais bien la partition. Je pense que personne au monde n’en a fait autant, même Colin Davis.

Pouvez-vous nous rappeler comment vous avez rencontré Berlioz ?

On ne m’a jamais parlé de lui pendant mes années études. A la Juilliard School, j’avais pourtant un professeur français, Jean Morel, qui était venu de Paris pour diriger l’orchestre du Met. En quatre ans, il n’a pas mentionné Berlioz une seule fois pendant ses cours. J’ignorais de qui il s’agissait. Il faut dire qu’à l’époque, les Français n’aimaient pas Berlioz ; aujourd’hui, leur attitude reste ambivalente, mais ils l’acceptent davantage.

Alors quand a eu lieu le coup de foudre ?

Matthew Epstein, de la Columbia Artists Management, qui était l’agent de grands chanteurs comme Marilyn Horne ou Kathleen Battle, m’a dit un jour : « John, si tu veux te faire remarquer, il faut que tu fasses quelque chose d’énorme. Va en bibliothèque et regarde la nouvelle édition Bärenreiter des Troyens ». Je ne savais rien de cet opéra, mais j’ai emprunté les gros volumes, l’intégrale dirigée par Colin Davis, et je suis resté ébloui. Je n’avais jamais rien entendu de semblable, un compositeur doté d’une personnalité tellement à part. Je suis immédiatement tombé amoureux.

Et ensuite ?

Matthew m’a dit : « Faisons Les Troyens ensemble, je te trouverai les chanteurs ». Je dirigeais déjà un orchestre et quelques chœurs, nous avons uni nos forces, et le concert a eu lieu en mars 1972 à Carnegie Hall. Nous avons donné, à guichets fermés, la première interprétation complète des Troyens aux Etats-Unis. Ce fut un énorme succès, et le concert a été diffusé à la radio. Dix ans après, j’en ai écouté un enregistrement, et j’ai été horrifié. J’avais eu droit à un compte rendu parfait dans le New York Times, mais le concert était tout sauf parfait…

Ces Troyens vous ont ouvert les portes des maisons d’opéra ?

Quand Rafael Kubelik est devenu directeur musical du Met, il a ouvert son mandat avec Les Troyens, et j’étais son assistant. Le soir de la première, il est tombé malade, donc j’ai dirigé la deuxième représentation. Christa Ludwig, Shirley Verrett, Jon Vickers, Judith Blegen… une distribution extraordinaire !

Et après ?

J’ai fait mes débuts en Europe avec Les Troyens au Grand Théâtre de Genève. Serge Baudo m’a invité au festival Berlioz et je suis devenu un Berliozien, à force d’être engagé un peu partout pour diriger sa musique.

On vous a pourtant peu vu à la Côte Saint André ?

J’y suis allé une seule fois. On m’a proposé d’y faire Les Troyens, en version de concert, mais j’ai refusé, car on ne me laissait pas assez de temps, et parce que je ne pourrais pas choisir les chanteurs. Et puis j’ai déjà enregistré cette œuvre avec la meilleure équipe imaginable.

Quelles œuvres de Berlioz n’avez-vous jamais dirigées ?

En ce qui concerne la musique vocale, je n’ai jamais dirigé la Messe solennelle, qu’il a composée à 20 ans, pas plus que les morceaux écrits pour La Nonne Sanglante. Mais j’ai fait à peu près toutes les œuvres pour orchestre.

Berlioz était-il vraiment fait pour la scène ? La Damnation de Faust  passe généralement mieux en concert, Béatrice et Bénédict pose des difficultés à mettre en scène…

Quand il est venu poursuivre ses études à Paris, Berlioz allait voir tous les spectacles, il allait en bibliothèque lire les partitions, et il connaissait le répertoire lyrique sur le bout des doigts. Benvenuto Cellini est difficile à monter parce que, bien qu’extrêmement théâtrale, c’est l’œuvre d’un compositeur encore inexpérimenté. Alors que Les Troyens sont le fruit de l’expérience d’une vie, et je n’y vois que perfection du début à la fin, quoi qu’en dissent certains musicologues !

Par rapport à Wagner, qui écrivait aussi ses livrets, Berlioz n’a pas très bonne presse.

Berlioz était un dingue, un fou merveilleux. Je m’apprête à diriger pour la première fois l’ouverture de Rienzi, où le jeune Wagner sonne encore un peu comme du Meyerbeer. C’est une partition très théâtrale, il savait y faire..

Vous avez peu dirigé Wagner ?

J’ai fait tous les grands extraits symphoniques, mais le seul opéra que j’ai dirigé en entier, c’était un Tristan en concert, avec René Kollo. J’adore Tristan , et cette expérience fut une vraie révélation pour moi. Personne ne pense pas à me le proposer, et pourtant j’aurais pris plaisir à faire certains Wagner : certainement pas le Ring, ni Parsifal (6 heures, c’est trop long pour moi, Les Troyens ne durent que 4h30), mais peut-être Le Vaisseau Fantôme et Tannhäuser.

Dirigez-vous encore des opéras en version scénique ? Il semble que vous ayez eu quelques expériences malheureuses…

J’ai connu quelques catastrophes, la pire ayant eu lieu à Stuttgart. Dans cette production, il y avait du sexe partout ! Didon tenait un phallus qu’elle masturbait longuement, vous imaginez un peu ? Et ils lui avaient fait la tête d’Angela Merkel. Quand j’ai vu ça, j’ai eu envie de prendre mes jambes à mon cou, mais j’avais été invité par un chef pour qui j’ai beaucoup d’amitié. Je ne voulais pas le décevoir, alors j’ai dirigé en évitant de trop regarder la scène. Je ne fais plus d’opéras, sauf en version de concert. Je n’ai aucun contrôle sur les productions scéniques : le metteur en scène passe avant tout, puis le directeur casting, et tout en bas de l’échelle arrive le chef. C’est le monde à l’envers. Pour les Berlioz que j’ai donnés en concert et enregistrés pour EMI, j’ai choisi tous les chanteurs, avec les précieux conseils d’Alain Lanceron.

Connaissiez-vous Michael Spyres avant d’enregistrer Les Troyens ?

C’était la première fois que nous travaillions ensemble, mais je l’avais déjà entendu, et je l’avais rencontré à l’issue d’un concert qu’il donnait avec John Eliot Gardiner. Michael est un homme extraordinaire, d’une intelligence prodigieuse et doté d’une mémoire quasi photographique. Je crois que nous avons enregistré son Enée juste à temps, parce que sa voix est en train de chanter : il aborde des rôles de plus en plus lourds, et il perd un peu de sa facilité dans l’aigu. C’était son premier Enée et je ne crois pas qu’il l’ait refait depuis. Je ne suis pas sûr qu’il puisse encore, car Enée exige un beau contre-ut, qu’il n’a peut-être déjà plus.

Les Troyens et Faust auront-ils une suite chez EMI ?

Pour le Roméo et Juliette que je vais diriger en avril, ce sera sans Michael Spyres ! Mais pour l’air de la reine Mab, nous aurons le meilleur chanteur possible : l’excellent Cyrille Dubois, qui sera parfait dans cette œuvre.  

Pour le reste, vous continuez avec la même équipe ?

Absolument, avec Joyce DiDonato pour « Premiers émois que nul n’oublie », et Nicolas Courjal en Frère Laurent : après lui avoir confié le rôle du diable, nous lui faisons chanter un moine ! Et le Philharmonique de  Strasbourg est mon orchestre français préféré. D’autres disques Berlioz sont prévus, dont je ne peux pas encore vous parler. Joyce tient beaucoup à faire Béatrice et Bénédict, mais je l’ai déjà enregistré et je n’ai pas envie de le refaire.

Que pensez-vous des instruments anciens de manière générale, et pour Berlioz en particulier ?

J’admire le travail de ces ensembles, et ce que John Eliot Gariner a fait est formidable, par exemple. J’ai dirigé quelques orchestres d’instruments anciens, mais ce n’est pas un univers qui m’est familier, je n’y ai aucune autorité. Dans ce domaine. François-Xavier Roth est aussi un chef très talentueux, qui a été mon élève il y a des années.

Vous avez dirigé des créations contemporaines : quelle différence par rapport à Berlioz ?

La différence est énorme ! On peut bavarder avec les compositeurs vivants, discuter avec eux, écouter leurs suggestions, et ils peuvent vous critiquer, vous aider. Je connais bien John Adams, j’ai dirigé plusieurs de ses œuvres orchestrales : quand vous connaissez une personne, votre rapport à sa musique est bien sûr différent. Berlioz, je ne le connais qu’à travers son autobiographie et son traité d’orchestration.

Si vous pouviez rencontrer avec Berlioz, que lui demanderiez-vous ?

Je commencerais par m’évanouir ! Après, j’aurais un tas de questions à lui poser, pourquoi il a fait ceci, cela, et ses idées m’aideraient à interpréter sa musique.

Pour quelle œuvre en particulier voudriez-vous obtenir son aide ?

Je n’ai pas fait souvent le Requiem, seulement trois fois avant l’enregistrement qui a paru en juin. Je pense que je poserais à Berlioz quelques questions sur son sentiment religieux. Je voudrais savoir comment, lui qui ne l’était pas, il a pu écrire une partition si riche, si réelle pour un croyant. Mais je sais en partie ce qu’il répondrait ! Né dans une famille pieuse, enfin, fils d’une mère était très pieuse, il avait gardé un souvenir très fort de cette enfance où elle l’emmenait à l’église, sa  première messe, sa première communion, le premier chœur qu’il avait entendu chanter… Les œuvres qu’il a composées alors qu’il ne croyait plus s’enracinent dans cette expérience enfantine, et j’aimerais qu’il m’en dise plus là-dessus. Dans L’Enfance du Christ, le dernier morceau a cappella relève du sublime absolu. Où a-t-il pu en trouver l’inspiration ?

On sait ce que Berlioz pensait de ses contemporains et de ses prédécesseurs. Ne voudriez-vous pas diriger certaines de leurs œuvres qu’il admirait ?

J’aimerais beaucoup diriger du Gluck, je n’en ai jamais fait. Berlioz aimait aussi La Vestale. C’est un répertoire que je ne connais pas, que je n’ai jamais étudié.

Diriger sa version d’Orphée et Eurydice vous permettrait d’aborder Gluck sans quitter Berlioz.

Ah, c’est une idée très intéressante, et je pourrais l’inclure dans mon cycle Berlioz. Je suis sûr que Joyce DiDonato pourrait chanter Orphée…

Si on vous permettait de réaliser un rêve, quelle œuvre aimeriez-vous iriger ?

Je ne me suis jamais autorisé à penser ainsi. Au point où j’en suis, ma carrière touche à sa fin, et je me concentre sur la musique que j’aime vraiment, que je connais bien, pour la faire de mon mieux. C’est mon principal objectif. Cela dit, j’aimerais beaucoup diriger Carmen. Je l’ai fait il y a longtemps, au City Opera o New York. J’étais encore un chef débutant, j’avais 29 ou 30 ans. Je ne l’ai pas dirigé très bien, et je ne l’ai jamais refait. J’ai dirigé beaucoup de Bizet mais pas ça. C’est un opéra formidable. Ça j’espère le faire, et c’est en discussion…

Et qui chanterait le rôle-titre ?

Vous devriez pouvoir deviner, non ?  

Propos recueillis le 28 novembre 2019

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