Soprano australienne connue et appréciée des amateurs de bel canto romantique, Jessica Pratt fait ses débuts à Paris le 12 septembre prochain en ouverture de saison des Grandes Voix dans une version de concert de Lucia di Lammermoor (plus d’informations).
Lucia di Lammermoor en version de concert le 12 septembre au Théâtre des Champs-Elysées se veut un hommage à Maria Callas. Quelle est selon vous sa contribution au monde de l’opéra ?
Enorme, en particulier dans le répertoire belcantiste. Elle a notamment remis en lumière certains opéras oubliés. Elle avait non seulement la capacité technique de rendre justice à ces rôles difficiles, mais aussi de leur donner vie scéniquement. Interprétés par elles, ils ne sont plus seulement prétextes à prouesses vocales, mais également vecteurs d’émotion brute.
Et quelle est sa contribution à votre art de chanter et de jouer ?
Elle m’inspire dans le sens où elle me pousse à dépasser ma formation technique pour, sur scène, me concentrer sur l’interprétation du personnage. La colorature doit toujours être un vecteur d’expression, Elle doit toujours être parée d’une signification. Maria Callas n’a jamais chanté une seule note au hasard, si insignifiante puisse-t-elle paraître.
Avez-vous d’autres modèles?
Beaucoup de chanteurs d’opéra m’inspirent. En particulier, j’adore Joan Sutherland. Callas elle-même admirait beaucoup l’interprétation de Lucia di Lammermoor par Joan Sutherland.
Quelle place occupe le rôle de Lucia dans votre répertoire?
C’est un rôle très important dans ma carrière. Mon répertoire compte environ 30 opéras belcantistes, mais Lucia est le rôle que j’ai chanté le plus avec plus de 25 productions ces dix dernières années. C’est le rôle dans lequel j’ai débuté en 2007 et il revient généralement deux à trois fois par an dans mon programme. Quand je chante Lucia, c’est comme si je rentrais à la maison ! Je le reprendrai d’ailleurs à New York au Met d’ici la fin de cette année.
Vous êtes considérée comme une chanteuse belcantiste. Qu’est-ce que cela signifie selon vous ?
Cela signifie exprimer des émotions à travers la musique sans briser le charme du beau son. Callas y parvenait génialement… Vous n’entendez pas la moindre trace de vérisme quand elle interprète des opéras belcantistes tels que Lucia et Sonnambula. Elle est capable d’exprimer pleinement les émotions du rôle à l’aide de la musique et de la voix sans tomber dans des trucs bon marché comme crier dans une scène de folie : elle exprime tout avec une élégance et une beauté déchirante.
Pourquoi avez-vous décidé de vous spécialiser dans bel canto ?
C’est un style auquel ma vocalité est adaptée. J’aime aussi cette musique et le défi technique qu’elle représente. Se spécialiser dans le belcanto signifie beaucoup de travail et d’études pour des opéras très difficiles que parfois vous ne chantez qu’une seule fois. Généralement la soprano et le ténor sont en scène toute la soirée et le poids de la production repose sur leurs épaules. La ligne vocale est également très exposée, vous ne pouvez pas facilement cacher les failles vocales ou la fatigue quand vous chantez cette musique. Vous devez être en pleine forme tout le temps. Cela peut être stressant, donc je pense qu’il faut vraiment aimer ce type de musique pour s’y consacrer. Plus qu’une carrière, c’est un choix de style de vie.
Comment avez-vous développé un style belcantiste ?
J’écoute autant de chanteurs belcantistes que je le peux. J’ai lu tous les traités vocaux que j’ai pu trouver et j’ai étudié avec de grands chanteurs belcantistes comme mon professeur actuel Lella Cuberli. J’ai également beaucoup appris en chantant cette musique car beaucoup de compositeurs étaient également des professeurs de chant – Nicolai Vaccai par exemple – et quand on chante et qu’on étudie principalement cette musique, je pense que cela contribue également à la formation et à la création de votre instrument.
Écrivez-vous vos propres variations?
J’aime jouer avec des variations, j’aime qu’elles reflètent ce qui se passe sur scène et j’aime aussi les changer parfois pendant une série de représentations pour garder les choses vivantes et fraîches. Parfois, je les écris moi-même et parfois avec mes pianistes et chefs d’orchestre, cela dépend de la situation. Il est également important que la façon dont on varie la musique soit cohérente avec la production et avec l’interprétation musicale globale du directeur musical. Je commence souvent les répétitions avec quelques options à offrir au chef d’orchestre après avoir pris connaissance de la mise en scène et ensuite, nous choisissons ensemble celles qui correspondent le mieux. Bien sûr, pour les différents duo, il est généralement préférable de les écrire avec des collègues lors des répétitions.
Quelle différence faites-vous entre chanter Donizetti, Bellini et Rossini ?
Dans Rossini, pratiquement tous les effets techniques sont requis pour interpréter pleinement un rôle, par exemple, la coloratura di forza alors que dans Bellini il est très important de développer une bonne coloratura legata. De Bellini, la particularité qui vient à l’esprit est le défi des grandes lignes legato qui créent mélancolie et pathos. Il aimait aussi beaucoup la contraposition des rythmes, utilisant souvent le soupir dans la ligne vocale contre le triolet dans l’accompagnement à l’orchestre pour souligner les perturbations émotionnelles. Donizetti a tendance à être plus dramatique et ardent.
Qu’est-ce que chanter pour la première fois à Paris signifie pour vous?
C’est incroyablement excitant pour moi de faire finalement mes débuts à Paris qui est un épicentre pour l’art et la musique depuis des siècles et bien sûr, un endroit où l’on aspire à donner le meilleur de soi-même. Et je suis ravie que ces débuts puissent avoir lieu dans ce beau Théâtre des Champs Elysées avec mon rôle préféré : Lucia di Lammermoor.