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J’ai une histoire à raconter, je la raconte, conversation avec Laurent Naouri

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Interview
28 octobre 2020
J’ai une histoire à raconter, je la raconte, conversation avec Laurent Naouri

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Détails

Conversation avec Laurent Naouri.
A l’occasion de la sortie de son CD En Sourdine, en duo avec le guitariste Frédéric Loiseau, le chanteur s’est confié sur les motivations qui l’ont animé.

J’aime bien votre formule dans le livret du CD : vous parlez d’un « traitement d’alcôve »…

Oui, ça m’est venu pendant le mixage du disque, j’ai prononcé ces mots sans y réfléchir davantage, et ils me semblent finalement être bien dans l’esprit de ce que nous avons voulu, Frédéric Loiseau et moi. Et si on veut filer la métaphore, la formule convient parfaitement aux propos sur l’oreiller qu’on entend dans Le Jet d’eau, de Baudelaire et Debussy, « Tes beaux yeux sont las, pauvre amante ! / Reste longtemps, sans les rouvrir, / Dans cette pose nonchalante / Où t’a surprise le plaisir »…

…que vous commencez a cappella…

 

En fait, ça se passait comme ça : Frédéric arrivait avec une analyse harmonique des mélodies, avec des propositions, il commençait à jouer, et puis on inventait à deux une dramaturgie pour chaque chanson, complètement vierge de ce qui existait auparavant. Par exemple, pour Le Jet d’eau, je lui ai dit « Laisse-moi commencer a cappella, et puis tu vas me rejoindre sur plaisir, ou plutôt juste après plaisir »… et on a procédé un peu comme ça pour chaque chanson. C’est une musique, qui, du point de vue du guitariste, est complètement improvisée, mais avec beaucoup de passages obligés !

 

Vous venez d’employer à deux reprises le mot chanson, je vous signale…

Ah, mais absolument ! La chanson est une forme plus ancienne que la mélodie, déjà ! Il est vrai que faire du Jet d’eau une chanson, c’est un peu une gageure, mais vous remarquerez que Debussy a créé une sorte de refrain qui revient tout le temps à partir d’une des strophes, celle de « la gerbe d’eau qui berce ses mille fleurs, que la lune traverse de ses pâleurs »…, et puis il y a chez Fauré des phrases qui n’ont pas cette structure de chanson, mais qui sont suffisamment évidentes pour rappeler le caractère à la fois simple et complet de la forme-chanson, qui est un monde en soi, un monde clos, où l’effet de répétition fait que la mémoire retient les mots et la mélodie. Ce n’est pas par hasard qu’à l’origine les poèmes étaient scandés et chantés, c’était aussi pour qu’on les retienne, et l’une des fonctions de la chanson, c’est d’imprimer le poème dans la tête de l’auditeur…

Pour préciser votre démarche, il faut dire que vous vous tenez strictement à la ligne mélodique de Fauré, Debussy ou Poulenc, mais pour ce qui de l’harmonie et du rythme, vous vous accordez toute liberté..

Voilà, la ligne mélodique est respectée, je dirais à 95 %…

… et Dieu sait que cette ligne, surtout chez Debussy, est tortueuse, errante, et d’une modernité incroyable…

 

… En même temps, le piano est très wagnérien, c’est ce qui très rigolo chez Debussy, il est complètement fasciné par Wagner. Dans ce cycle des Baudelaire, il y a je ne sais combien d’accords de Tristan, on en rirait presque ! Et pour en rester encore au Jet d’eau, il y a des moments où j’ai dit à Frédéric que je voulais ces enharmonies, qu’on ne peut pas s’en passer. Par exemple, quand le texte dit que la gerbe d’eau s’épanche « En un flot de triste langueur / Qui par une invisible pente / Descend jusqu’au fond de mon cœur », il y a trois fois le même motif mélodique en contre-chant qui change d’harmonie à chaque fois, et c’est sublime…. Voilà, il y a des choses auxquelles je ne pouvais pas renoncer ! Ce qui est amusant quand on dépouille ces mélodies, c’est que le caractère imprévisible de la ligne mélodique apparaît encore plus.

 

J’écoutais la version de Gérard Souzay de ce Jet d’eau, version à mon sens un peu datée, en tout cas illustrant la façon dont on prononçait alors le français, et puis celle de Dietrich Fischer-Dieskau, un enregistrement tardif pour lui, et curieusement il est très proche de votre manière intimiste.

Je dois dire que, davantage que par Souzay, j’ai été influencé par la manière de Camille Maurane, sa sobriété, sa discrétion. Je ne connais pas la version de Fischer-Dieskau, qui ne m’a jamais trop convaincu dans le répertoire français, mais cela démontrerait ce que je vous disais, que la fonction de la mélodie est de porter les mots de la poésie jusqu’à l’esprit de l’auditeur.

 

J’imagine que, pour beaucoup d’entre elles, vous les avez chantées dans leur version originelle, et sur scène, c’est-à-dire en portant la voix… Je me disais en écoutant le disque que peut-être que si Fauré et Debussy avaient connu le microphone, ils auraient écrit différemment…

C’est un peu ce que j’essaie d’explorer. Je pense, par exemple à Soupir, cette mélodie de Duparc sur un poème de Sully-Prud’homme, vous vous souvenez « Ne jamais la voir, ni l’entendre, / ne jamais tout haut la nommer, / mais, fidèle, toujours l’attendre, / toujours l’aimer… » Je l’ai chantée très souvent et je la chante le plus piano que je peux, mais je pense que le fait de pouvoir murmurer à l’oreille de l’auditeur ouvre un monde nouveau. On ne murmure jamais à l’oreille de l’auditeur quand on est sans micro dans une salle, fût-elle de vingt personnes, on est obligé de fabriquer une amplification qui va permettre d’atteindre celui qui écoute, et c’est d’ailleurs irremplaçable : bien évidemment, elles ne sont pas myriade, les mélodies qui se prêtent à ce traitement d’alcôve. Je n’envisagerais jamais de traiter La Vague et la Cloche de cette façon-là !

 

Alors, pour être traitées de cette façon, retenue, presque chuchotée, quelles particularités doivent-elles avoir, ces mélodies ?

 

Il faut que j’y sente un rapport à l’intime. Il faut qu’il y ait un rapport à la confidence, il faut qu’il y ait le secret, une sensualité du murmure, à laquelle je ne pourrais pas accéder en voix projetée. Si je repense à l’ensemble de ces mélodies, certaines ont des structures clairement chanson, je pense aux Berceaux, que l’on a envie de la chanter comme une chanson d’aujourd’hui, d’ailleurs d’autres l’ont fait, je pense à Yves Montand. Il y a aussi celles qui relèvent du très intime, comme Le Jet d’eau ou Le Secret. Et il peut y avoir aussi des mélodies qui relèveraient d’un esprit un peu plus chansonnier, je pense aux Fêtes galantes, de Poulenc et Aragon, et c’est encore une autre dimension.

 

…et l’avantage de votre version de ces Fêtes galantes, c’est qu’on comprend tous les mots du texte assez drolatique d’Aragon, alors que souvent, quand ce sont des sopranos qui la chantent, beaucoup de mots se perdent…

…et c’est dommage, parce que c’est un portrait extrêmement désabusé de la France de 1940, c’est l’antithèse des Ponts de Cé. On devrait toujours les chanter ensemble toutes les deux. Peut-être bien que je vais m’en occuper… Ou de Bleuet, de Poulenc et Aragon, qui évoque la Première guerre. On va continuer à explorer ce répertoire, ce n’est pas fini ! Je pense à quelques Eluard aussi, notamment dans Tel jour telle nuit. De façon à pouvoir donner différents récitals. On va d’ailleurs donner bientôt ces mélodies neuf fois à la Salle Cortot.

 

Toute la difficulté est dans la délicate balance entre les mots et les notes…

En fait, la notation musicale n’est pas la réalité de l’œuvre, elle est un projet. Entre ce qui est écrit sur la page et la façon dont tel ou tel l’interprète, même en respectant à cent pour cent ce qui est écrit, et certes ce n’est pas mon cas, il y a une infinité de possibilités. Il y a des choses qui ne se notent pas, mais c’est là que le talent du diseur réside, c’est-à-dire dans l’infinitésimal accent mis sur telle syllabe de tel mot, l’arrêt non pas de la respiration, mais de la ligne de la phrase, qui fait que ça repart… Tout cela n’est pas marqué, mais c’est là que l’interprétation se passe. Alors dans notre travail, Frédéric et moi, nous avons encore plus dépouillé ce qui était noté, mais le centre, c’est quand même le poème.

 

On en a le sentiment en écoutant ce que vous faites, Frédéric Loiseau et vous, de deux discours qui cheminent côte à côte et qui se croisent et se décroisent…

On a essayé de trouver une caractérisation différente pour chaque mélodie. Si vous prenez Le Secret de Fauré et Armand Sylvestre, vous verrez que c’est un contrepoint. Il a une ligne mélodique, il n’y a pas un seul accord… et moi je chante. Les deux lignes se déroulent… Mais parfois on crée un paysage, par exemple dans Prison, de Fauré et Verlaine, ça commence par une espèce de motif d’Alberti, très monotone, et pour moi c’est le temps qui passe. C’est pour ça qu’après, quand le poète dit « Le ciel est par-dessus le toit… », on ne met plus rien. C’est une autre façon de rendre la monotonie que les accords très réguliers de l’accompagnement original.

 

Mais ce qui est frappant, c’est que la guitare donne sa propre ligne mélodique, capricieuse, comme improvisée, mais que les harmonies sont implicites, l’auditeur les reconstruit intérieurement.

Bien sûr ! Parfois, il suffit de trouver les deux bonnes notes à jouer et à chanter, et toute la densité harmonique est là !

Du point de vue de la voix, j’imagine que c’est un placement tout différent, pour le chanteur ?

C’est un placement comme on parle ! Quand je vous parle au téléphone, c’est lui qui amplifie ma voix, je n’ai pas besoin de fabriquer un amplificateur. S’il n’y en avait pas, il faudrait que je projette ma voix [ici, démonstration sonore !], en soulevant le voile du palais, et ça changerait la sonorité. Le micro a permis aux chanteurs de chanter comme ils parlent, ce qui était impossible auparavant. Entendons-nous : ça ne remplace pas, ça ajoute une possibilité.

Quand Jean Sablon a commencé à chanter avec un micro dans les années trente, il s’est fait huer par les spectateurs du promenoir…

 

Oui, il essayait de ne pas du tout projeter la voix. Si vous écoutez les premiers enregistrements de Bing Crosby, au même moment, vous verrez qu’il se souvenait de sa formation de chanteur quasi lyrique, et qu’il ne maitrisait pas encore bien le micro, il enveloppait beaucoup. Pareil pour Sinatra à ses débuts, c’était encore « enrobé », si je puis dire, il avait encore une partie de l’amplificateur à l’intérieur de lui, il fabriquait un son amplifié [ici, exemple sonore… All or nothing at all] et quinze ans plus tard il abandonne complètement l’amplificateur intégré [ici, la même chanson, avec le velouté de Sinatra…] 

Vous avez eu peur de faire hurler ?

Ça m’est largement indifférent ! Je pense qu’on vit une époque intéressante. Les gens commencent à moins antagoniser tout ça. Et puis je vous dirai que je ne pourrais pas me passer de la musique non amplifiée, de cette sensation incroyable qu’on a, en tant que spectateur et en tant que performer, de quelque chose de transcendant. Mais pour certains spectacles, j’ai besoin de l’amplification. Ce sont vraiment des formes complémentaires. Je n’ai jamais compris qu’on dise à de jeunes chanteurs « Attention, si tu fais de la chanson, tu vas te casser la voix… » Et je n’ai jamais non plus compris pourquoi beaucoup de mes collègues chanteurs d’opéra sont incapables de fredonner…

 

Il y en a qui y arrivent quand même… Juan Diego Flores chantant Besame mucho en s’accompagnant à la guitare, c’est drôlement bien…

Oui, mais non ! Je reconnais encore sa voix ! Mais Juan Diego, c’est un cas à part… Même quand il chante l’opéra, il n’a pas une voix de chanteur d’opéra… C’est tellement une voix unique. Et d’abord, ce n’est pas une voix immense, il n’a pas un amplificateur intérieur très puissant, donc pour lui la différence entre la voix amplifiée et la voix non-amplifiée et d’autant moindre. Juan Diego, c’est un cas à part… Et c’est une merveille !

 

Il y a une minute, vous vous êtes qualifié de performer…

De toutes façons, il y a un côté performatif de l’opéra. C’est un défi. Et de plus en plus. Les salles sont plus grandes, les orchestres jouent de plus en plus fort, les fosses sont de plus en plus hautes. Moi, j’ai de la chance que ça passe. Mais c’est dommage parce que ça pénalise des gens qui auraient vraiment des choses à dire, mais qu’on n’engagera pas dans des grands endroits, parce qu’ils n’ont pas un certain volume. Songez qu’on jouait avec des cordes en boyaux jusque très tard dans le dix-neuvième siècle. Et puis je réfléchis toujours au fait que l’opéra était un spectacle extrêmement populaire en Italie et que jusqu’en 1902 il n’y avait pas de fosse à la Scala, l’orchestre était au même niveau que le premier rang. Donc ça veut dire que, comme c’était un spectacle populaire, les gens y allaient pour l’histoire, pour entendre ce qu’on disait. Tout devait passer clairement ! Alors je m’interroge sur la façon dont jouaient les orchestres et sur le nombre de musiciens. Parce que si ç’avait été avec un orchestre de maintenant, avec les cent bonshommes de Butterfly, je peux vous dire qu’il n’y aurait pas eu un seul chanteur qu’on aurait entendu, et dont on aurait compris les mots… Le public ne venait pas pour la sophistication de la musique, il venait pour être diverti. Ensuite c’est le cinéma qui a joué ce rôle. Donc l’orchestre ne devait pas couvrir les mots. Comme preuve historique et architecturale de cela, on a Bayreuth, bien sûr.

 

Votre album m’a fait aller rechercher le livre de votre collègue et ami François Le Roux autour de la mélodie française intitulé justement Le Chant intime. Il y parle longuement de la musicalité de la langue française et notamment de sa richesse en voyelles, les cinq qu’on connaît, auxquelles s’ajoutent les diphtongues, des nuances impalpables qui peuvent colorer chacune, pour battre en brèche ce vieux cliché que le français serait plus difficile à chanter que d’autres langues.

Je n’ai jamais pensé ça. Mais il est vrai que certains compositeurs sont plus habiles que d’autres. Je n’ai jamais trouvé que Poulenc par exemple écrivait bien pour la voix. Je l’adore, mais il y a chez lui des choses mal fichues par rapport à la langue, des problèmes de prosodie, etc. Mais je n’ai jamais trouvé que la langue française posait des problèmes en elle-même. Cela dit, il y a quand même une différence,  – et ce n’est pas par hasard que l’italien est la langue de l’opéra, et donc de la projection – c’est que si je vous parlais avec un accent italien, ma voix sonnerait comme ça [ici exemple sonore]… c’est-à-dire que le voile du palais serait beaucoup plus soulevé, et donc la projection naturelle beaucoup plus affirmée. Tandis que le français est beaucoup plus paresseux du palais. Le palais chez nous autres francophones est très très bas. Sauf dans le sud-ouest ! Et je repense à notre cher Gabriel (Bacquier)  évidemment [ici imitation du cher Gabriel] et vous sentez qu’il y a là tout de suite une projection naturelle acquise dès l’enfance. Pour moi qui suis né à Paris, il en va tout autrement ! En même temps, pour chanter certains poèmes, mon palais très bas me convient très bien !… Mais cet effort de devoir se mettre dans une position projetée par rapport à une langue qu’on ne pratique pas comme ça quand on la parle est peut-être ce que j’appellerai la difficulté de la langue française.

 

D’où une perte de certaines couleurs, par exemple pour les nasales, qui sont si belles dans la voix parlée ?

On ne les perd pas nécessairement, sauf pour les voix de femmes : à partir d’une certaine hauteur, elles peuvent faire ce qu’elles veulent, au-dessus du sol, on n’entendra plus la différence entre un A et un EN, c’est un problème d’acoustique. Mais pour les voix masculines, il n’y a pas trop de difficultés. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que tout ce qui différencie les sons, tout ce qui en fait la qualité s’élabore bien après, bien au-dessus de l’endroit où le son se fabrique : le matériau, le son, naît dans la gorge, dans le pharynx, par la vibration des cordes vocales et l’ouverture des résonateurs pharyngés, mais ensuite les voyelles et les consonnes se créent à un autre étage ! Le boulot du chanteur, c’est de rendre ces deux étages indépendants. J’ai toujours tendance à dire qu’il y a une boîte à sons et une boîte à sens qui doivent fonctionner indépendamment l’une de l’autre. La bouche, le palais, les dents, la langue étant la boîte à sens, et tout ce qui est du côté de gorge et de la soufflerie étant la boîte à sons ! Par exemple, je vois des jeunes chanteurs qui ont des difficultés à faire des OU, comme dans amour… Alors pour donner l’impression que leur voix sonne quand ils font un OU, ils font une espèce de O mal fichu, mais c’est juste parce que la production du son n’est pas faite correctement. Si elle est bien faite, vous pouvez chanter le OU le plus fermé qui soit, la voix sonnera tout autant.

 

Justement, François Le Roux prend l’exemple de ce mot amour, avec son A assez en avant et ce OU plus en arrière…

D’accord, mais l’un et l’autre sont éloignés de l’endroit où le son se produit ! Et pour moi c’est capital [il chante a-mour, avec un OU en effet bien sonore] : je ne change que ce qui se passe au-delà de l’endroit où se produit le son. C’est d’ailleurs miraculeux que ce soit la même vibration qui produise des choses aussi différentes.

 

Vous avez énormément chanté le répertoire français, je pense à Golaud, aux quatre diables des Contes d’Hoffmann…

Ah, oui, ils m’ont payé ma maison ceux-là !

 

Mais vous les avez chantés avec bonheur, j’imagine…

Bien sûr, mais j’ai autant de plaisir à chanter en italien… Don Giovanni, le Comte, Iago, Germont, Falstaff… Et en russe… Le russe est une langue particulièrement favorable aux voix graves, parce qu’elle évite de s’entasser, si on le fait bien. Il y a toutes ces consonnes très mouillées, qui vous ramènent constamment devant, et en même temps il faut produire ce son assez épais, donc c’est un bel équilibre.

 

En revanche, vous avez peu chanté en allemand ?

Beaucoup en récital de lieder, mais très très peu à l’opéra. Il y a eu des trucs qui ne m’ont pas plu… Les Fées, de Wagner, qu’est-ce que c’était moche… Fidelio, que j’ai fait deux fois, en me demandant pourquoi j’étais là.. Il y a eu Faninal où je me suis bien amusé parce que l’équipe était super, et que j’essayais de mettre un peu de viennois dans mon allemand, mais sinon rien… J’ai manqué deux ou trois fois le Hollandais parce que je n’étais pas libre, c’est curieux… Mais heureusement il y a eu les lieder et je suis ravi de faire bientôt les Lieder eines fahrenden Gesellen dans l’orchestration de Schönberg, qui sonne un peu cabaret, avec les musiciens du Centre de musique de chambre de Paris, qui jouent tout ça par cœur, c’est comme une pièce de théâtre chantée, c’est très enthousiasmant.

 

Et finalement pas très loin de l’esprit d’En Sourdine… C’est passionnant, ces différents niveaux de voix, de chant, qu’on va chercher, selon le contexte…

…selon la salle, l’acoustique, le moment… C’est infini. C’est pourquoi j’ai du mal à me figurer des zones que je ne pourrais pas explorer, il y a peut-être des zones où je serais moins bien, mais tout ça, c’est du chant, avec micro, sans micro… J’ai une histoire à raconter, je la raconte, avec ce que j’ai envie de m’imposer comme contraintes stylistiques, ou comme contexte, ou comme couleurs. Schönberg, en faisant ces réductions, propose une nouvelle façon de chanter ces lieder. Le fait que ça ne sonne pas pareil fait que vous, vous ne chantez pas pareil.

 

Et puis pour le performer que vous êtes, je reprends votre mot, j’imagine que c’est un défi à chaque fois…

C’est passionnant, absolument passionnant, je suis impatient de confronter en deux heures des choses si différentes, de faire dans la même soirée d’abord les mélodies avec Frédéric Loiseau, puis les Malher, et une œuvre que Jérôme Ducros a composée pour moi sur La Mort du poète, de Lamartine, et qui n’est pas commode, je vous prie de le croire ! C’est ça qui est intéressant, d’être tout autant présent dans un geste qui peut paraître plus facilement s’imposer que dans un exercice plus abrupt.

Moment d’autant plus attendu qu’il va se passer en novembre, alors que l’on est dans la deuxième vague de la pandémie. Vous deviez chanter Capulet dans Roméo et Juliette au Met en janvier…

… et puis je devais faire avec le New York Philharmonic Endgame de Kurtag, d’après Fin de partie de Beckett, et ç’aurait été chouette. Eh bien voilà, ça ne se fera pas. Après, j’espère qu’ils pourront ré-ouvrir sans trop de problèmes, ce qui ne sera pas évident après plus d’un an de fermeture. Je pense à tous ces musiciens, américains ou anglais, qui n’ont pas le même système de protection que nous. C’est absolument effrayant. Il faut se souvenir à quel point nous sommes privilégiés en France.

 

J’ai vu aussi un Falstaff, que vous feriez à Bordeaux en mars 2021, mais on est tenté d’en parler au conditionnel.

Exactement, je vous dirai que je le fais quand je l’aurai fait, on en est là. L’avantage de Falstaff, c’est qu’on peut se débrouiller avec les chœurs de la fin, pour les répartir sur la scène, mais il y a le problème de l’orchestre, qui est important.. Il y a beaucoup d’opéras qui seraient difficiles à faire dans le contexte actuel. A quel moment sortirons-nous de ce tunnel ? Et à quoi ressemblera la vie musicale ? Bien malin qui pourrait le dire. Ce qui me réconfortait, c’est qu’il y avait du monde dans les salles, juste avant qu’on ne décide le couvre-feu à 21 heures. Donc l’envie était là. J’espère qu’elle sera encore là, après.

 
 

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