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Ildar Abdrazakov : « Je suis heureux de chanter un opéra français à Paris »

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Interview
2 mars 2015

Infos sur l’œuvre

Détails

Né à Oufa, capitale de la Bachkirie, Ildar Abradzakov fait ses premiers pas à l’opéra local. Par la suite, il est remarqué par Valery Gergiev qui l’invite au Mariinsky mais c’est à la Scala que démarre sa carrière internationale qui le conduit sur les plus grandes scènes du monde : New-York, Vienne,  Londres, Salzbourg… Le voici aujourd’hui à Paris où il se prépare à interpréter Méphisto dans Faust à partir du lundi 2 mars.

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Êtes-vous heureux de chanter à Paris ?

Paris est une des plus belles villes du monde et avec le printemps qui approche elle est encore plus belle sous le soleil. Malheureusement, à cause des répétitions, je n’ai pas eu le temps de flâner dans les rues, mais je compte bien le faire après la première.

A l’automne dernier, vous avez interprété des extraits d’Attila de Verdi à l’Opéra Bastille, et vous y revenez pour y incarner Méphisto : pour vous la langue française est-elle plus difficile à chanter que l’italien ?

Bonne question ! Le français n’est pas très difficile à chanter si l’on sait exactement ce que l’on doit dire, je ne dis pas non plus que c’est facile mais c’est une langue qui aide bien la voix car elle place le son en avant, dans le masque. Bien sûr, elle est différente de l’italien en particulier concernant les voyelles : vous avez par exemples diverses sonorités de « o », non ? En pratique, je fais en sorte que ma prononciation ressemble autant que possible à celle d’un français.

Outre Méphisto, vous avez interprété d’autres rôles en français (Escamillo, Moïse..). Qu’est-ce qui vous attire dans ce répertoire ?

Les rôles français que j’ai interprétés ne sont pas des rôles « lourds ». Leur tessiture est un peu plus élevée que dans les rôles de basse italiens et je m’y sens à l’aise.

Y  a-t-il d’autres opéras français que vous aimeriez chanter ?

Oui, Don Quichotte. C’est un rôle qui me plaît beaucoup. Je l’ai entendu tant de fois par Chaliapine, Samuel Ramey, j’y ai vu mon frère (1), Ferruccio Furlanetto, et je voudrais tellement le chanter à mon tour.

En dehors de la musique française, vous chantez surtout en italien un vaste répertoire qui va de Mozart à Boito en passant par le bel canto et Verdi : est-ce un choix délibéré de votre part ?

Ce n’est pas moi qui choisis, c’est ma voix. C’est elle qui m’indique ce que je peux chanter. Après, c’est moi qui décide combien de fois je suis en mesure de chanter un rôle. Prenez Mefistofele de Boito par exemple, je ne peux pas le chanter plus d’une fois par saison parce que c’est un rôle très difficile tant sur le plan vocal que mental. Mozart, en revanche, je peux le chanter tous les jours. Faust de Gounod est entre les deux. Dans mon calendrier j’essaie de ne pas accumuler les rôles trop lourds. Pour reposer ma voix, je chante certains Rossini comme L’Italienne à Alger ou Le Barbier de Séville. Ces opéras sont un véritable massage pour les cordes vocales.

Vous avez enregistré un récital entièrement consacré au répertoire russe (voir compte rendu), pourtant vous le chantez peu, Hormis La Khovantchina et récemment Le Prince Igor, Pour quelle raison ?

Je ne sais pas. On ne me propose quasiment jamais d’opéra russe en dehors de la Russie. Dossifeï dans La Khovanchtchina est un beau rôle, mais comme me l’a dit Placido Domingo : « Tu es encore jeune, chante des rôles d’hommes jeunes. Tu as tout le temps de chanter des rôles de vieux. » Maintenant je sais qu’il faut que je chante des rôles comme Don Giovanni, dans lequel je me sens bien. Je me sens bien aussi quand je chante Philippe II, après tout ce n’est pas un vieillard, le vrai Philippe II était un peu plus jeune que moi lorsqu’il a épousé Elisabeth de Valois.

Le récital d’airs d’opéras russes que j’ai enregistré est essentiellement composé d’airs que j’avais étudiés au conservatoire, avec en complément de programme, d’autres que j’ai appris spécialement pour ce disque. Je pense que pour un chanteur russe ou comme moi originaire d’un pays sujet de la fédération de Russie, le premier récital se devait d’être consacré à la musique russe.

Y a-t-il un autre disque en préparation ?

Je pense enregistrer bientôt quelque chose en italien.

Parlons de vos débuts : à quel moment avez vous réalisé que vous aviez une voix ? Quand vous êtes-vous dit : « Je veux être chanteur d’opéra » ?

Quand j’ai commencé à étudier le chant, je ne pensais pas devenir chanteur d’opéra. Je voulais chanter des chansons connues mais avec une voix lyrique. Et puis on m’a fait travailler un air d’opéra, puis un autre, après quoi j’ai auditionné à l’opéra d’Oufa et j’ai été engagé. Là, on m’a confié des rôles et c’est ainsi que je suis devenu chanteur d’opéra. Bien sûr, je suis tombé amoureux de l’opéra car on ne fait pas que chanter : on bouge, on joue la comédie, on a des partenaires avec qui l’on fait des duos, des trios… et avec les chœurs, l’orchestre, c’est magnifique.

Après vos études musicales à Oufa, votre ville natale, vous avez remporté plusieurs concours en Russie qui vous ont amené à chanter en Italie..

Non, en Italie j’ai remporté le concours Maria Callas, le lendemain je suis allé auditionner à la Scala et j’a été pris. J’ai débuté quatre mois après le concours. Je ne parlais pas l’italien et j’ai fait La sonnambula. Ça a été mon premier pas dans la carrière internationale, et d’emblée à la Scala !

Êtes-vous satisfait de votre parcours ? Si c’était à refaire, changeriez-vous quelque chose ?

Non, je ne changerais rien. J’ai eu de la chance depuis le début. J’ai rencontré des gens qui m’ont aidé, d’autres qui sont devenus des amis. J’ai travaillé avec des chefs d’orchestre qui continuent de m’inviter, comme Riccardo Muti qui dit toujours beaucoup de bien de moi et m’appelle « son fils ». Je suis très fier de ça. Par la suite j’ai fait quelques auditions, notamment au Metropolitan, à Vienne, et ces grands théâtres m’ont engagé immédiatement.

A part Riccardo Muti, d’autres chefs vous ont marqué ?

En premier lieu, Valery Gergiev qui m’a invité au Mariinsky. C’est là que j’ai commencé à étudier les opéras en italiens. J’y ai débuté avec Le nozze di Figaro, puis Don Giovanni à l’époque je chantais Leporello ensuite, La sonnambula, Così fan tutte… J’ai travaillé avec Gianandrea Noseda qui à ce moment-là était chef invité au Mariinsky. Sa femme Lucia, qui est chanteuse, m’a fait travailler ma voix et ma prononciation. Cette période m’a préparé le terrain pour chanter ensuite en Italie et en Amérique.

Et comment se passe le travail avec Michel Plasson ?

Michel Plasson est un grand chef d’orchestre, j’avais déjà fait Carmen avec lui à la Scala voici dix ans. Je suis très content et très fier de travailler avec lui, c’est un de vos « génies ». Et puis je suis heureux parce que, n’étant pas français, chanter Faust en France est un honneur pour moi. Je suis reconnaissant envers ceux qui m’ont invité à chanter à Paris un opéra français.

Vous avez déjà chanté le rôle de Méphisto, La conception du personnage par Jean-Romain Vesperini est-elle différente de celles des autres productions auxquelles vous avez participé ?

Jean-Romain Vesperini est très doué et très sympathique. Je me suis tout de suite très bien entendu avec lui. Mon personnage est différent parce que l’action est située dans les années 30. J’ai fait une production qui se déroulait au XIXe siècle, une autre dans les années 2000. En fait, le personnage change mais la musique et les paroles sont les mêmes. Sur le plan musical, mon rôle pourrait être différent si un chef d’orchestre me proposait une idée, une conception nouvelle, mais sinon il n’y a que le maquillage et les costumes qui changent. D’autre part, la voix évolue et avec les années on se sent plus à l’aise. Je suis certain que dans dix ans je chanterai encore plus confortablement. J’ai interprété mon premier Figaro en 1998 et je l’ai repris au Met en début de saison : en comparant les vidéos, j’ai l’air très différent mais en fait la voix est plus ou moins la même.

Préférez-vous les mises en scène modernes ou traditionnelles ?

Lorsqu’une mise en scène, même moderne, est bonne et bien pensée, cela me va. Mais il y a ces productions en Allemagne qui sont « sales », elles ne me plaisent pas.

Vous voulez parler du Regietheater ?

Oui, je n’aime pas cela. Malheureusement, comme disait Riccardo Muti, autrefois lorsqu’on voulait monter un opéra, on choisissait d’abord les chanteurs, puis le chef et enfin le metteur en scène. Aujourd’hui, c‘est d’abord le metteur en scène, puis le chef et ensuite les chanteurs. Tout a changé. Maintenant quand les gens vont à l’opéra, ils n’entendent pas toujours ce qu’ils auraient aimé entendre. Auparavant, peu importait que les chanteurs soient gros ou minces, c’était leur voix qui comptait. Bien sûr c’est mieux quand un chanteur est beau et mince, et qu’en plus il joue bien, mais ils sont peu nombreux dans ce cas. La vie change, tout change et cela aussi a changé. Mais je suis persuadé qu’un jour prochain, on reviendra en arrière.

Y a-t-il des chanteurs du passé que vous admirez, qui vous inspirent ?

Cesare Siepi, Nicolaï Ghiaurov, Feodor Chaliapine, ce sont des chanteurs que j’écoute volontiers. 

La saison prochaine vous revenez à l’Opéra Bastille pour y chanter Basilio…

Oui, un rôle qui, comme je l’ai dit, repose ma voix.

Est-ce le début d’une collaboration avec l’Opéra de Paris ? Avez-vous d’autres projets en vue ?

Il est encore trop tôt pour en parler, mais oui, je reviendrai…

 

 

(1) Askar Abdrazakov, qui est également une basse.

 

 

Propos recueillis et traduits de l’italien le samedi 28 février

 

 

 

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