Image minuscule, tremblotante, saccadée, sujette à disparition et réapparition… Son hoquetant, redoublant en écho… Inécoutable ! Étions-nous revenus au temps de la télévision balbutiante des années 1950, voire avant ?
Non. Il s’agissait de la « Première événement » annoncée par tous les médias dédiés à la musique. La radio, la presse et, au premier chef, les sites spécialisés : tous avaient averti de la diffusion en direct d’un opéra entier sur Internet ! Et quelle œuvre ! Une rareté : Il Sant’Alessio de Stefano Landi (1587-1639).
Monté par le Théâtre de Caen, en coproduction avec Genève, Nancy, Paris (Théâtre des Champs Elysées) et Luxembourg, ce drame religieux créé en 1632 serait, nous disait-on, dirigé par William Christie et reconstitué dans son jus d’époque par Benjamin Lazar qui avait fait ses preuves en 2006 dans un exercice de style semblable avec Le bourgeois gentilhomme de Lully. Selon la tradition du temps, on y entendrait que des voix masculines, dont celles de neuf contre-ténors et de trente garçonnets de la Maîtrise de la bonne ville de Caen pour les parties de sopranos. Dans le rôle – titre, on attendait le plus glamour de nos chanteurs en voix de fausset, le très aimé Philippe Jaroussky. Depuis plusieurs jours, les mélomanes — baroqueux surtout — avaient donc amoureusement bloqué leur soirée sur leurs agendas. Car bien que cette captation ait été annoncée disponible sur la toile pendant vingt-quatre heures supplémentaires, l’émotion du direct est irremplaçable, n’est-ce-pas ?
Hélas, toute médaille a son revers. À l’heure du concert, l’internaute (sous-équipé, insuffisamment expérimenté, qui sait ?) se retrouvait devant une fenêtre minuscule qu’il cherchait en vain à élargir pour recouvrir une page web truffée de pubs sautillantes impossibles à éliminer. Un son déformé et intermittent le décourageait même d’écouter la musique. Après avoir lutté un certain temps, avec des yeux et des oreilles avides, beaucoup finirent sans doute par renoncer à se faire la moindre opinion sur la qualité de ce spectacle attendu avec tant d’impatience et de curiosité.
Le lendemain – 19 octobre – en diffusion différée, les persévérants et les retardataires trouvèrent une image certes moins petite, mais une fonction « plein écran » toujours rebelle au recouvrement de messages publicitaires prometteurs de gains inespérés. Nonobstant, ils eurent la chance de découvrir, telle une succession de toiles de maîtres du Grand siècle, de véritables tableaux vivants où des hommes bien chantants, en toute tessiture, évoluaient dans de magnifiques costumes et utilisaient une gestuelle savamment décomposée mais lisible. Et, mis à part les quelques trous intempestifs dus à la transmission par satellite, ces internautes parvinrent à entendre une musique riche, souvent exaltante, non moins savamment composée et exécutée. Gageons qu’il doit être fascinant d’assister à ce Il Sant’Alessio, sans ordinateur interposé !
Brigitte CORMIER