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Françoise Pollet : « J’ai souvent dit tout haut ce que les autres pensaient tout bas »

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Interview
10 novembre 2014

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On a beaucoup critiqué Françoise Pollet. Pourquoi, d’ailleurs ? Voilà une artiste qui n’a jamais rien fait que d’aimable. Si elle est une Diva totalement en paix avec son statut lunaire, le personnage qu’elle a incarné – et qu’elle incarne toujours – est tranquillement fellinien ; tout en couleurs, en brouhaha, en démesure, en tendresse. Dans ce portrait, elle dit ce qu’elle pense. Sur ses rondeurs, sur ses fins de mois, sur le solfège, sur le coït. 


Il y a quelques semaines, vous partagiez sur un réseau social un article qui décrétait que les personnes dotées d’un large postérieur étaient généralement plus intelligentes. Avez-vous eu à souffrir de vos délicieuses rotondités au cours de votre carrière ?

C’est un article qui m’a consolée. C’est encore une fois l’intelligence qui est punie quand certains directeurs de théâtres abusent de leur pouvoir et décident que les chanteuses doivent toutes être de taille mannequin. Parfois, j’ai été pénalisée dans ma carrière pour mon large derrière et j’ai été ravie de publier cet article pour prouver qu’ils avaient eu tort. Maintenant, on est au-delà du bien et du mal – je m’en fiche – mais je me souviens que Gérard Mortier m’avait glissé la partition de Der ferne Klang de Franz Schreker dans les mains en me disant « c’est pour toi, travaille-le, on sait jamais » et il s’est passé ce qu’il s’est passé : le chef Christoph von Dohnányi a quitté la production, suivi de son épouse du moment, la soprano Anna Silja et Mortier m’a appelé en toute urgence en me demandant si j’avais eu l’occasion de travailler la partition. Je lui ai dit non, il m’a dit qu’il avait besoin de moi, j’ai donc appris l’oeuvre en cinq jours, je suis arrivée à la Monnaie où le metteur en scène Johannes Schaaf m’a très gentiment dit « vous chantez tellement bien, pourquoi êtes-vous si grosse ? ». C’était très poétique et très gentil de sa part. Tout au début de ma carrière, la même mésaventure m’était arrivée à Marseille dans Der Freischütz mis en scène par Jacques Carpeaux qui s’était désolé à voix haute que je sois si grosse. Même Gérard Mortier, devant une grande assemblée – choeur, solistes, public – s’écrie en me voyant « mais tu as encore grossi, toi ! » Je ne crois pas qu’on soit gros par choix ; j’ai été un bébé malingre, une petite fille très maigre et autour de mes vingt ans j’ai commencé à m’arrondir, principalement à cause de la pilule, et à chaque fois qu’on m’a attaquée sur ce plan là, ça m’a fait beaucoup, beaucoup souffrir. Entendre Hugues Gall, qui ne me l’a pas dit en face, s’écrier que je ne pourrai pas être La Maréchale à l’Opéra de Paris parce que je ne suis pas assez « glamoureuse », traduisez « son derrière est trop gros », j’ai trouvé ça terrible. 

Comment expliquer cette nouvelle phobie du gros à l’opéra, alors qu’au théâtre et au cinéma, le public s’attache facilement à des personnages ronds ?

Franchement, je n’en sais rien. Je me suis souvent posé la question et j’ai souvent attaqué de front les décideurs en disant que dans la vie je n’ai jamais eu de problème à trouver des partenaires sentimentaux et même sexuels, les hommes – visiblement – n’ont pas de problèmes avec les femmes enrobées mais sur scène si vous dépassez la taille 42-44, vous êtes obèse. Soyons très vulgaire : « les grosses sont baisables dans la vie mais pas sur scène ». 

Revenons un instant au début : comment se découvre-t-on chanteur d’opéra ?

Franchement c’est quelque chose que je n’envisageais même pas. Ma mère avait une très belle voix dont elle n’a rien fait professionnellement, mais on lui demandait parfois de se produire dans un petit cercle d’amis. Sa sœur avait épousé un ténor – Eric Audouin – qui a d’ailleurs longtemps chanté à La Monnaie au début du vingtième siècle et qui donnait des cours à ma mère. Donc le chant, a priori, n’était pas quelque chose d’incongru dans mon cadre familial, mais personnellement mon rêve de petite fille était d’être danseuse. Malheureusement je ne pouvais pas car j’étais trop maigre. Après, mon père et ma mère, issus de milieux modestes, estimaient qu’il était important que leurs enfants bénéficient d’une excellente éducation artistique, donc mes frères et moi avons été mis au piano, puis à neuf ans je me suis mise au violon – le chant ne me faisait pas fantasmer, jusqu’à ce qu’un jour un prof de déchiffrage me dise que j’avais une belle voix. C’était incongru mais le message est passé, à la rentrée j’ai passé le concours d’entrée dans la classe de chant au Conservatoire Régional de Versailles, la prof qui m’a entendue n’a jamais voulu croire que je n’avais jamais fait de chant, j’ai donc été admise directement en élémentaires, avec les élèves de deuxième et de troisième année. J’ai suivi le cursus complet en seulement trois ans alors qu’il faut généralement cinq ou six ans et là, au lieu d’intégrer une école parisienne, ce qui aurait été le cheminement normal, j’ai pris la décision d’aller en Allemagne. J’avais déjà un intérêt tout particulier pour l’oratorio et le lied et quand j’ai appris qu’Ernst Haeffliger avait une classe depuis 1970 à Munich, j’ai fait mes bagages, soumis ma candidature et j’ai été admise en 1972. 

Justement, Haeffliger – grand évangéliste, immense Mozartien – avait, quand on l’observait un petit côté austère, presque calviniste. Quel prof a-t-il été ?
    
Austère je n’irais pas jusque là, mais certainement exigeant, avec un sens aigu de la discipline, du travail et de l’intégrité face à la musique. Quand j’ai moi-même commencé à enseigner j’ai eu un peu de mal, parce qu’Haeffliger était quelqu’un qui parlait peu et ne touchait jamais les étudiants. Et parfois, quand vous souhaitez vous faire comprendre de vos élèves, il faut adopter un vocabulaire très concret et ne pas hésiter à les toucher. Finalement, j’ai plus appris en l’observant chanter qu’en essayant de mettre en application ses consignes un peu restreintes du point de vue corporel. 

Rapidement, votre carrière prend de l’importance au point de dépasser la simple notoriété opératique, on vous voit à la télé, par exemple, chanter « La Monde est stone » chez Jean-Pierre Foucault.

C’est le hasard des rencontres qui fait ça. Je n’ai jamais aimé être mise dans un tiroir, or dans le monde de l’art lyrique, on adore les tiroirs : si vous êtes mozartienne, vous n’êtes pas wagnérienne, si vous êtes wagnérienne, vous n’êtes pas verdienne, si vous faites de la musique baroque, vous ne faites rien d’autre. Si vous chantez de la musique contemporaine, on pense que vous êtes incapable de chanter autre chose. Et c’était pareil avec la variété. Moi – simplement – j’avais envie de me faire plaisir, et à partir du moment où j’ai atteint une certaine notoriété, je me suis offert ce plaisir. En 1995 quand mon album « Quand on n’a que l’amour » est sorti, il n’y avait guère que Domingo et Pavarotti qui s’autorisaient ce genre d’excursions en terre inconnue. On m’a tapé sur les doigts, je me souviens d’un article dans Le Parisien qui disait « qu’elle laisse ça à d’autres qui font ça mieux qu’elle », ça me fait doucement rigoler maintenant que je vois que les barrières ont complètement sauté et qu’une Natalie Dessay termine sa carrière en chantant du Michel Legrand. J’ai toujours pensé qu’il était plus facile à un chanteur lyrique de s’essayer – avec sa technique – à la variété qu’à un chanteur de variété de s’essayer à l’opéra. Il n’y a qu’à entendre les essais d’un Florent Pagny pour s’en convaincre. J’ai chanté « Le Monde est stone » parce que Luc Plamondon, parolier de Starmania, caressait l’espoir de mettre sur pied une version lyrique de son oeuvre, un peu comme Bernstein l’avait fait pour West Side Story. C’est comme ça que je me suis retrouvé sur TF1 à chanter « Le Monde est stone » et j’ai pris beaucoup, beaucoup de plaisir à le faire.

Y a-t-il eu une forme de relation « amour-haine » entre une certaine presse, les directeurs d’opéra et vous ?

J’ai souvent dit tout haut ce que les autres pensaient tout bas, ce que je continue à faire avec vous aujourd’hui (rires), je ne peux pas cacher le fait que j’ai une forte personnalité, ni que je parle haut et fort et les gens de cette espèce, on leur tape sur les doigts, c’est tout. Il serait temps aussi de reconnaître que sans les chanteurs, il n’y aurait pas d’art lyrique. Il faut que le règne des metteurs en scène et des directeurs d’opéra laisse place à une république où l’échange égalitaire serait la règle. Aujourd’hui, les chanteurs sont descendus de leur piédestal et c’est bien comme ça – il n’y a pas de raison lorsqu’on est une diva d’être capricieuse et d’embêter tout le monde, d’arriver en retard à la répétition, sans connaître son texte. Heureusement, cette époque est révolue. Mais il est temps que les metteurs en scène se mettent à comprendre que les chanteurs sont des êtres doués de raison, sensibles, qu’il ne faut pas traiter comme s’ils étaient des numéros interchangeables. 

Nombreux sont ceux qui ont parlé, à votre endroit, de génie solfégique. Une prédisposition qui vous a permis d’étudier des rôles dans les taxis qui vous conduisaient – impromptu – au concert.

C’était Jeanne au Bûcher d’Honegger. On m’a donné la partition à la Maison de la Radio, une voiture m’a conduit chez moi pour que je me change, puis m’a conduit à Saint-Denis où je devais remplacer une collègue. Entre temps j’avais appris le rôle, je rencontrais le chef – Seiji Ozawa – pour ce concert qui devait être enregistré en direct et sortir chez Deutsche Grammophon. En sortant de scène, le maestro a lancé à l’équipe du label « cette Pollet est fantastique » et il n’a jamais retravaillé avec moi… c’est la vie (rires). Pour ce qui est de savoir déchiffrer, il y a d’une part l’oreille absolue, qui est une disposition de la nature, puis le travail. Pour mon prix de solfège, par exemple, j’ai dû transcrire à l’oreille une sonate pour cor directement sur mon violon. C’est de la gymnastique. 

On a parlé de mécanique, parlons d’émotion : qu’est ce que ça fait d’éteindre la dernière note d’un air et d’entendre la foule en délire ? 

Une émotion très intense, un bonheur invraisemblable. Mais je n’ai jamais perdu de vue que le matin et le soir, le premier et le dernier regard dans mon miroir, c’était Françoise Pollet que je voyais et pas la diva. Je pense que j’ai toujours essayé de garder les pieds sur terre pour éviter de prendre la grosse tête.

Puis vient le temps d’arrêter sa carrière et l’un des paramètres de cette décision est l’aspect financier, car quel que soit la suite, le changement sera rude.

La question financière est plus que rude, car aujourd’hui en enseignant je gagne mensuellement la moitié ou le tiers de ce que je gagnais par soirée. La décision, je ne l’ai pas vraiment prise toute seule. Disons qu’à un moment je me suis dit « je ne veux pas, en aucun cas, faire moins bien des choses que j’ai très bien faites ». J’ai donc appelé mon agent et je lui ai dit qu’il fallait faire le tri dans mon répertoire et enlever tel et tel rôle, comme la Maréchale et même la Neuvième Symphonie de Beethoven. Car, finalement, la soprane dans la Neuvième de Beethoven est payée pour chanter la dernière note, et si la dernière note est ratée, ça ne vaut vraiment pas la peine. Et mon agent de l’époque a traduit ça par « elle ne chante plus ». Les dernières années de ma carrière, j’aurais aimé m’appeler Felicity Lott, avoir des agents qui se disent qu’ils ont dans leur écurie une grande chanteuse et qui se débrouillent pour lui ménager une sortie de scène digne de sa carrière. L’agence dans laquelle j’étais ne l’a pas fait, elle a simplement cessé de prospecter, la demande s’est étiolée – à cette époque j’ai divorcé, mes deux parents sont décédés à quelques mois d’intervalle, c’était très intense émotionnellement – et puis j’ai été nommée au CNSM de Lyon. Or dans ce pays, quand quelqu’un enseigne, on se dit que sa carrière et terminée. Ce fut une fin graduelle, en demi-teintes et même si j’aurais pu encore chanter quelques années sans problème, cela aura au moins eu l’énorme avantage de m’éviter de grands adieux à répétition. 

 

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