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Entretien avec Marie-Ange Todorovitch

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Interview
21 septembre 2009

Infos sur l’œuvre

Détails

Votre parcours ? vos parents étaient musiciens ? Enfant, avez-vous baigné dans le milieu artistique ?

Mes parents étaient des musiciens amateurs. À 6 ans, j’ai commencé le piano. Ensuite j’ai fait mes études de piano et d’orgue au Conservatoire de région de Montpellier et j’ai étudié le chant parce que mes parents chantaient… J’ai baigné dans Luis Mariano et l’opérette ce qui fait que j’ai une affection particulière pour ce répertoire. Mes parents chantaient à tous les repas, ils faisaient des concerts amateurs quand ils étaient jeunes. J’ai baigné dans ce milieu, résultat je ne pouvais pas y échapper, tout comme aujourd’hui, mes enfants n’y échappent pas…

 

Le chant était le chemin tout tracé ?

À 16 ans, j’ai obtenu un premier prix de piano à Montpellier. Mais à l’époque, j’étais déjà trop âgée pour envisager une carrière de pianiste. Difficile de faire face à des surdoués de 12 ans. Je voulais devenir organiste, domaine dans lequel j’avais plus de chance. Mais finalement j’ai opté pour le chant, une « voix » qui semblait toute tracée… A 16 ans j’ai découvert que je savais chanter, à 20 ans que je voulais en faire mon métier.

 

Est-ce que la voix de mezzo-soprano a toujours été la vôtre ?

Au départ on m’a fait chanter soprano alors que j’étais un mezzo léger. A vingt ans il est difficile de mettre une étiquette. C’est d’ailleurs l’erreur que font certains professeurs de chant. Je crois qu’il faut s’adapter sur l’instant au rôle qu’on est capable de chanter. On ne peut pas dire à une de fille de vingt qu’elle est Traviata ou Azucena… D’abord elle n’a pas l’âge du rôle et c’est donc beaucoup trop tôt. Je crois que la sagesse veut que l’on commence par de petits rôles avant de s’attaquer au grand répertoire, sauf si à titre exceptionnel. L’erreur est de ne penser qu’en termes de grands rôles. C’est ce qui m’est arrivé. On rentre au conservatoire et l’on vous fait travailler Marguerite de Faust. C’est terrible ! On ne chante pas à 20 ans Marguerite de Faust.

 

Le passage de soprano à mezzo-soprano s’est-il fait rapidement ?

Non. À 30 ans seulement, je me suis rendue compte que j’avais des difficultés à tenir la tessiture de soprano et qu’en chantant 1 tierce en dessous j’étais plus à l’aise. C’est là que j’ai commencé à chanter le mezzo léger, Siebel d’abord, les jeunes pages… Ensuite j’ai osé des rôles un peu plus lourds. À 35 ans, j’ai abordé Carmen.

 

C’est un beau rôle ?

Ah oui ! C’est le rôle mythique que tout mezzo rêve de chanter. Il y a aussi tous les rôles de mezzo rossinien. À l’époque comme je vous le disais, j’avais plutôt une voix de mezzo léger… Je n’avais aucun problème avec les vocalises. Etant de plus musicienne cela était facile pour moi. La colorature n’a jamais été un problème donc je vocalisais très bien. Aujourd’hui je l’ai toujours et c’est un plus. En revanche, les rôles de mezzo lourds type mezzo verdien, wagnérien, ne sont pas pour moi. Même si j’entame un gros virage en ce moment vers des rôles de composition, je garde toujours mes classiques : Giulietta, Carmen, Charlotte. Mais je commence aussi la Mère dans Hamlet, Gertrude, Taven dans Mireille. Des rôles qui normalement s’abordent à 60 ans. Je les interprète avec 15 ans d’avance. D’une part ça me plaît et d’autres part, je suis actrice. Je ne suis pas frustrée de me voir seulement 15 minutes en scène. Et puis il y a tout le répertoire Offenbach, la Grande Duchesse de Gerolstein, la Périchole, toutes ces grandes opérettes classiques que je continue de jouer si on me les propose. Je n’hésite pas non plus à aller vers des rôles plus secondaires, type Magdalena dans Rigoletto

 

En fait peu importe le rôle, l’important c’est de prendre du plaisir ?

Lorsqu’on me propose un rôle, s’il n’est vraiment pas important, je dis quand même non car je ne veux pas non plus perdre mon énergie. Je préfère la canaliser sur des choses qui me font vraiment vibrer. En règle générale, mon agent qui me connaît me propose ce qui me convient.

 

Y a-t-il une place importante pour la création ?

On ne m’en propose pas assez. En tant que musicienne, j’ai plus de facilité à apprendre vite un opéra. Le dernier en date était le Welcome to the Voice avec Sting en novembre 2008. C’était très sympa et peu ordinaire. Je ne ferais pas ça tout le temps, mais le mélange des genres est intéressant. J’avais juste un duo et trois phrases dans ce spectacle. J’étais bien, même si j’aurais aimé chanter plus.

 

Aimeriez-vous aller vers une mise en scène plus contemporaine et sortir du classique ?

La mise en scène est une chose. La musique en est une autre. Dans le classique, on trouve des gens de théâtre, qui font des mises en scène très modernes, très épurées. Ce qui est intéressant dans un opéra moderne c’est qu’on a l’impression de vivre son époque et cela c’est intéressant. Je trouve que chaque univers a des choses à offrir.

 

Qu’est ce qui vous attire dans les rôles que l’on vous propose, le jeu, le chant ?

Les deux. J’aime savoir qui dirige, qui fait la mise en scène… Il existe des projets plus excitants que d’autres. Je suis une actrice qui chante et non une chanteuse qui joue la comédie… C’est une chose que j’ai dans la peau. Évidemment j’apprends beaucoup au contact des grands metteurs en scène qui vous aiguillent, vous canalisent. Mais j’ai aussi mon tempérament et j’apporte à la base quelque chose de fort… Dans la Grande Duchesse par exemple la mise en scène de mon personnage c’est moi. J’ai beaucoup de liberté. On me fait confiance.

 


Marie-Ange Todorovitch dans La Grande Duchesse de Gerolstein (juillet 2009)
© R. Duroselle

  

Trouvez vous que le métier de cantatrice a changé ? A t-on toujours le temps de faire du bon travail ?

Oui nous avons toujours ce temps-là. Une production d’opéra c’est en moyenne 3 semaines de préparation, puis ensuite il y a les spectacles… On a donc vraiment le temps de faire du bon travail. Depuis que je fais ce métier, rien n’a changé, c’est toujours le même temps de répétition…

 

Est-ce difficile de travailler avec un metteur en scène de théâtre qui n’est pas issu du monde de la musique?

La plupart du temps, je ne dis pas que tous sont musiciens, loin de là, mais ils ont bien travaillé leur partition, ils connaissent, ils ont écouté différentes versions, ils arrivent avec une réelle maîtrise de l’ouvrage, même s’ils ne sont pas musiciens ou pianistes. Certains le sont comme François de Carpentrie et c’est très agréable, ça se sent. Nadine Duffaut est pianiste ça se sent aussi. Autrement ce qu’il y a d’agréable c’est la symbiose entre le metteur en scène et le chef. Quand elle est là c’est le rêve. Quand elle n’y est pas et que les gens luttent à coup de pouvoir et d’ego, c’est insupportable. Au gré des productions, on trouve des gens intelligents qui sont dans la musique et puis ceux qui tirent la couverture à eux… Et là, la qualité du spectacle s’en ressent.

 

Avez-vous l’impression que dans la société actuelle qui prône la rentabilité, l’opéra et le milieu culturel souffrent ?

La culture est toujours la première touchée. Avec la crise, nos cachets ont baissé, des théâtres menacent de fermer et des orchestres risquent de disparaître… On le ressent déjà depuis deux ans. Aujourd’hui si nous n’acceptons pas de baisser nos cachets ce sont les autres qui travailleront à notre place. L’intérêt est de rester à l’affiche et nous n’avons pas vraiment le choix… Moi je ne me plains pas car je suis de ceux qui ont un calendrier bien rempli…

 

Est-ce que dans votre carrière il y a des personnes qui vous ont soutenu depuis le début ?

Oui. Par exemple je dois beaucoup à Renée Auphan qui était d’abord à Lausanne, ensuite à Genève puis à Marseille. Je dois aussi beaucoup à Maurice Xiberras qui était un ami chanteur et qui est devenu Directeur Artistique de l’Opéra de Marseille. Jean-Louis Grinda à l’Opéra de Monte-Carlo, Raymond Duffaut ancien Directeur d’Avignon et des Chorégies d’Orange… Voilà des gens qui me proposent de façon régulière un engagement… Des gens, que j’ai connu très tôt et qui me sont restés fidèles… Après il y a évidemment l’agent artistique, un rôle clef. Depuis quelques années je travaille avec Dominique Riber. C’est elle qui gère ma carrière. Nous faisons un vrai chemin ensemble… Je lui dois beaucoup.

 

Peut-on dire qu’il y a une écriture vocale commune chez les compositeurs contemporains que vous interprétez ?

Ça reste assez tonal. Je n’ai jamais chanté de choses difficiles… L’Amour de Loin de Kaija Saariaho, Verlaine Paul de Georges Bœuf… Pour moi ça ne change rien. Un opéra contemporain ou une Louise de Charpentier, je ne fais pas de différence. Il y a des rôles qui sont délicats et difficiles à placer. Musicalement il faut être très précis… Ça ne me pose pas de problème. Je m’adapte. Évidemment ce n’est pas la même écriture vocale. Il y a des artistes qui refuseraient et qui diraient « quel travail ». Les musiciens abordent ces créations, les non musiciens ne l’abordent pas. En général on ne les leur propose pas.

 

Comment vous abordez un rôle ? À la manière « Actor Studio » ?

Je ne me masturbe pas le cerveau. Je ne suis pas très « Actor Studio »… Je lis simplement le livret, la partition. Je la joue au piano. S’il y a des choses sur l’instant qui ne me parlent pas, j’y repense. Qu’a t-il voulu dire… Il est certain que cela est plus facile avec un opéra classique qu’avec un opéra contemporain.

 

Que représente pour vous le bonheur de chanter ?

Chanter c’est déjà faire don de soi, de sa voix… Je suis consciente que lorsque je rentre sur le plateau, quelque chose se passe. Les gens sont à l’écoute. En attente d’une performance parfois, lorsqu’ils sont musiciens. Mais c’est aussi pour moi une thérapie. J’ai fait une vraie thérapie mais là c’est la thérapie qui continue. On se dévoile, on montre sa personnalité. On sait si quelqu’un est généreux, gourmand, méchant, acariâtre, drôle. On arrive à tout faire passer. Les gens le sentent. Alors évidemment lorsqu’on joue un rôle de méchante on ne peut pas faire passer la bonté qui est en soi mais je crois que dans la qualité de la voix, on le ressent. Dans la couleur de la voix, on entend si quelqu’un est généreux ou acide…

 

Avez-vous des souffrances liées à votre métier ? C’est un métier qui demande des sacrifices.

Ma plus grosse souffrance est de ne pas voir mes enfants. Évidemment elle s’estompe lorsque j’arrive aux répétitions et lorsque le spectacle commence parce qu’il nous prend. Mais quand vous rentrez le soir et que vous avez au téléphone vos enfants que vous n’avez pas vus depuis 3 semaines, ce n’est pas suffisant…

 

C’était un choix de faire ce métier considérant qu’il n’est pas facile d’avoir une vie de famille stable ?

Non. Ce choix s’est imposé de lui-même. Ce n’est pas que je préfère ce métier à mes enfants loin de là mais je pense que pour être heureuse j’avais besoin de chanter et j’avais aussi besoin d’être maman. Et puis surtout j’inclus mes deux fils dans ce que je fais. Ils me rejoignent toutes les 2 ou 3 semaines. Ils viennent aux répétitions, assistent aux spectacles, sont en coulisses… Au moins ils savent pourquoi je suis une maman absente… Il est très important qu’ils comprennent que je vis une vraie passion.

 

La vie d’artiste sur les routes, ce n’est pas fatigant ? À l’avenir encore et toujours le chant ?

Oui mais différemment. Je compte m’orienter vers le professorat. Il arrivera un moment ou il faudra passer le relais . Tout ce que je sais, tout ce que je continue d’apprendre, j’aimerais bien en faire profiter les autres, les jeunes chanteurs… Alors c’est vrai qu’en tant que mezzo soprano, la carrière est plus longue. Tous les rôles de composition dont nous avons parlé, n’existent pas pour les sopranos. Une fille ne peut pas interpréter Juliette jusqu’à 60 ans. Ce n’est pas possible. Et puis aujourd’hui on veut des jeunes. Il y a un excès de jeunisme un peu partout. On veut des filles bien faîte, on veut y croire… Moi à 50 ans je ne peux pas jouer Chérubin. À 55 ans, je ne chanterai plus Carmen… Enfin tout dépend si la voix tient. Après c’est chacun par rapport à soi. Aujourd’hui je n’ai plus envie de jouer Stefano… Comme la voix évolue et qu’elle devient plus grave, je vais vers autre chose. Nous les mezzos nous pouvons chanter jusqu’à 65 ans. Les sopranos c’est plus difficile… Jouer l’alternance entre le chant et le professorat ça ne me déplairait pas…

 

Vous excellez et adorez les rôles d’Offenbach ? Pourquoi ?

Offenbach, c’est du champagne, une bulle d’air qui emporte l’âme et l’esprit. C’est fabuleux. J’adore vraiment et je me sens bien. D’ailleurs Je me serais bien vue taper à la porte d’Offenbach en lui disant « Maître », je serais ravie de jouer votre Périchole ou votre Grande Duchesse !

 

En ce moment vous jouez à Strasbourg La Mère dans Louise de Charpentier.

Voilà un exemple typique de l’évolution de ma voix. En plus le rôle est très intéressant. C’est un vrai rôle de composition celui d’un personnage méchant que je ne suis pas dans la vie. Je vais m’amuser. C’est un rôle, que je ne connais pas et j’aime cela. Ce n’est pas un personnage sympathique alors il va falloir imaginer… Je trouve que l’opéra Louise est très beau. Un peu désuet aujourd’hui mais ça reste un grand opéra français classique et il y a un beau plateau. Vincent Boussard fait la mise en scène. On m’en a dit beaucoup de bien. Je suis ravie de travailler avec ce Monsieur.

 

Des projets parisiens ?

L’année prochaine à la Bastille. Le rôle de Mary dans le Vaisseau Fantôme.

 

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