Une récente étude qui a fait le tour des réseaux sociaux indique qu’en Grande-Bretagne un tiers des musiciens professionnels serait prêt à renoncer à la pratique d’un instrument. Voilà qui ne fait que mettre en exergue ce sentiment qui nous oppresse tous, désormais : le monde de la musique est en train de sombrer corps et âme. L’annulation du Tannhäuser de l’Opéra de Rouen, celle du Bourgeois Gentilhomme à l’Opéra-Comique et bien entendu l’annulation tout entière de la saison 2020-21 du Met sont autant de déflagrations terribles qui abrutissent le moral de l’industrie.
Car un temps, tout le monde aura voulu y croire. Avec détermination, opiniâtreté, avec cette envie d’en découdre : le spectacle vivant survivrait à l’épidémie. Oh bien sûr, il perdrait quelques plumes, il laisserait un nombre impressionnant de laissés-pour-compte sur le bas-côté : artistes, techniciens emportés par cette première vague d’annulations. Mais d’autres pourraient être sauvés.
En réalité il n’en est rien. Les spectacles s’organisent autour de consignes de sécurité qui – pour vertueuses qu’elles soient – finissent par se retourner contre ceux qui les ont imaginées. Le cas de l’Opéra de Rouen est particulièrement cruel car c’est sa grande détermination à protéger ses équipes qui aura sonné le glas de Tannhäuser et renvoyé tout le monde à la maison.
L’épidémie se saisit des professionnels de la musique en une double dynamique d’étranglement : d’une part elle tue par son action directe, en visant premièrement les démographies les plus friandes d’opéra ; d’autre part elle suscite un tel climat de prudence et de défiance que les producteurs de spectacles même les plus résilients finissent eux-mêmes par douter de la viabilité d’une production.
C’est pourtant une posture de combat qu’il convient d’adopter. Car tout en respectant les consignes de sécurité, tout en ayant à cœur la protection de chaque segment démographique de notre société, il faut que la musique vivante… vive. Aujourd’hui, chaque spectateur dans une salle qui aura financé sa place, chaque fauteuil occupé dans un théâtre qui tournera, fût-ce aux deux-tiers vide, représentera une victoire. Une victoire minuscule, sans doute, mais une victoire tout de même sur la déconfiture généralisée qui nous menace. Comme dans une guerre, il faudra regagner la moindre parcelle de territoire, prairie par prairie, colline par colline. Il est aujourd’hui inimaginable qu’on permettre à l’épidémie de nous décourager entièrement, car il en va de la survie des artistes et, partant, de l’art lui-même.