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L’opéra… La musique ?

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Edito
1 juillet 2009

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Les voix. Leur timbre, leur couleur, leur étendue. Leurs défauts. Leurs limites. Leurs déboires, leurs triomphes. Les corps. Leur souplesse, leur adéquation au personnage, leur blondeur, leur noirceur, leur embonpoint, leur charme, leur prestance. Le théâtre. Son inspiration, ses provocations. Ses trouvailles, ses impasses. Ses séductions, ses laideurs. Les stars. Leurs engagements, leurs caprices, leur grandeur, leur carrière, leurs désirs, notre désir, leur corps encore, monstrueux, sensuel, leurs failles, leur technique, leur surhumanité, notre adoration. Les œuvres. Leurs emportements, leurs extases, leurs escarpements, leurs moments sacrés, leurs secrets.

 

Est-ce, en quelques mots, assez résumer l’opéra ? N’y manque-t-il rien ? Ah, si, mais c’est accessoire : la musique. Qu’est-ce à dire ? Les flonflons qui tant bien que mal soutiennent la partie vocale ? Les rudimentaires accords qui scandent le chant ? La lave brûlante qui coule sous l’arche des mots ? Ces sonorités secondaires étayant la Voix en sa primauté sans partage ?

 

J’écoute ces orchestres accueillant au creux de leur sonorité la Voix sainte. Je regarde ces chefs diriger depuis la fosse, ou sur le podium, vaguement penchés vers leurs solistes en tenue de soirée. Et je me dis que, les pauvres, ce n’est plus leur temps. Leur pouvoir s’est délité. Qui viendrait à l’opéra pour un chef d’orchestre ? Ou même pour un orchestre seulement ? Récemment, ce fut Riccardo Muti, dans un Demofoonte de Jommelli dont la presse stigmatisa les longueurs, et regretta que le chef ne se fût pas rompu aux nouvelles lois de la musique baroque. Qui d’autre ? Que sont devenus ces chefs dont on savait qu’ils nous cimenteraient comme nul autre un ensemble ? qu’ils nous trouveraient au cœur de l’orchestre de quoi enflammer les voix ? Barenboim ? Trop symphonique. Thielemann ? Trop bruyant. Abbado ? Rangé des voitures. Welser-Möst ? Eléphantesque. Philippe Jordan ? Peut-être, doit faire ses preuves. Cambreling ? Laissez-nous rire. Pappano ? Mouais. Gardiner ? Etique. Jacobs ? En apnée. Harnoncourt ? Momifié. Rousset ? En syncope. Rattle ? Ha ha ! Minkowski ? Hi hi ! Haïm ? Ho ho !

 

Je ne sais plus guère de chef capable de s’asseoir au piano et de jouer à ses chanteurs ce qu’ils doivent écouter à l’orchestre pour trouver non seulement l’intonation, mais la couleur, non seulement la couleur, mais le caractère. Je n’en sais qu’un seul vraiment, c’est James Levine. Les Américains le monopolisent, ils ont raison, il n’y en a guère d’autres.

 

Et pourtant. Comment sérieusement nier que, dans l’opéra moderne (après Jommelli – pauvre Muti), tout vient de la fosse ? Que le maître d’œuvre, le commandant du vaisseau, c’est le chef d’orchestre ? A lui la palette, la dynamique, les relances, à lui le choix suprême des tempi et des accents. A lui seul le geste qui guide, arrête, galvanise. A lui les arcanes de la partition, le maintien de la tradition, les secrets des répétitions. Est-ce un hasard si tant de compositeurs voulurent aussi, quoi qu’ils en eussent (car ce n’était pas leur métier), diriger leurs œuvres ?

Désormais, le metteur en scène décide de l’espace et du temps. Les chanteurs décident des timbres et des accents, qu’ils trimballent identiques d’une scène à l’autre, d’un bout du monde à l’autre. Les phrasés, le modelé, les respirations, le rythme, l’entente parfaite avec l’étagement orchestral : un raz de marée d’indifférence recouvre tout cela. Recouvre quoi ? Hé bien, la musique, simplement.

 

L’opéra tend à devenir ce barnum dont les metteurs en scène sont les pathétiques Monsieur Loyal et les chanteurs les ours savants. Réjouis-toi, public, tu en auras plein les yeux ! Tape dans tes mains, tu as le rythme dans la peau ! Comme ces robes brillent, comme tout cela est signifiant. L’expression ! L’art ! La vérité ! Et la musique ? Bouillie de temps forts noyés dans des déluges d’harmonies glucosées. Peu importe. Les strass et les sunlights éclairent la chevelure peroxydée de la star du jour. Le contre-ut est en place ! La basse résonne, le ténor claironne, tout va bien, Patrick Sébastien met en scène, euh non, Francis Perrin, euh non, Steven Spielberg, euh non, Woody Allen, euh non, Walikowski, euh non, Coline Serrault, Jean-Marie Poiré, Christian Clavier, Jacques Balutin, Benny Hill… N’importe ! Plaudite cives ! Et dansez ! Boum ! Boum ! Oui ! Dansez sur le cadavre tiède de la Musique !

 

Sylvain Fort

 

 

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