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Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres

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Edito
26 avril 2018
Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres

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Le monde de l’opéra a toujours été d’une implacable cruauté mais  la barre de la bienveillance est placée aujourd’hui de plus en plus haut. Derrière les paillettes de la scène et de la célébrité, les chanteurs lyriques sont soumis à des injonctions de plus en plus contradictoires. Certains chefs d’orchestre revisitent les partitions, des metteurs en scène martyrisent les artistes par des contorsions et des accoutrements grotesques, les directeurs de théâtre, étranglés par les contingences économiques, sont de plus en plus exigeants, les agents poussent leurs protégés à des cadences infernales, des blogs tenus par des commentateurs douteux les insultent, les spectateurs qui ont payé leur place parfois plusieurs centaines d’euros ne pardonnent plus la moindre défaillance. Il ne suffit plus d’avoir une belle voix, il faut être beau, mince, intelligent, bon acteur, danseur et même acrobate. Money, money…

Dans ce monde de brutes, les chanteuses paient un lourd tribut et c’est dans ce contexte qu’il faut aller plus loin pour analyser la mésaventure de Julie Fuchs, évincée de l’Opéra de Hambourg et de son rôle de Pamina pour cause de grossesse. On reste pantois devant les explications alambiquées de la metteuse en scène Jette Steckle et du directeur Tillman Wiegand. Selon eux, des scènes de voltige aérienne auraient mis le bébé en danger ! Si le bébé était en danger, sa mère l’était aussi et l’on annonce tranquillement que l’on expose de façon ultime des chanteurs au nom d’une conception dévoyée de la création ? N’y avait-il aucun moyen de ramener tout ce joli monde les pieds sur terre au propre et au figuré ? Laurent Bury dans sa brève du 24 avril ouvrait le débat en écrivant : « Y aurait-il dans cette affaire des éléments manquants qui empêchent de bien en saisir les tenants et les aboutissants ? ».

J’ai bien entendu et lu tous ceux qui ont salué les innombrables divas qui ont charmé un public attendri devant leur ventre arrondi alors qu’elles tenaient un rôle de vierge chaste et pure. Entre Lisbeth Balslev, la Senta de Bayreuth en 1978 et Sabine Devieilhe, la Bellezza d’Aix-en-Provence en 2016, je retiendrai Anna Netrebko, Giulietta bellinienne en 2008 à l’Opera de Paris, enceinte jusqu’aux yeux et suscitant l’éclat de rire de l’auditoire en entonnant l’air fameux du duo final « Ah, crudel, che mai facesti… ». On imagine ce que le spectacle aurait donné si Joyce Di Donato qui tenait le rôle travesti de Romeo avait été visiblement enceinte elle aussi !

J’ai bien lu et entendu tous ceux qui ont posé le principe que la grossesse n’est pas une maladie. Certes. Mais ne nous payons pas de mots et ne racontons pas des carabistouilles aux artistes et à leur public. Si la grossesse n’est pas un état pathologique, elle entraîne de profonds changements hormonaux et cardio-respiratoires qui impactent les caractéristiques et les performances vocales. Sous l’effet d’une véritable inondation hormonale, les cordes vocales gonflent et perdent de leur flexibilité. Les notes aigües sont moins facilement atteintes mais la tessiture gagne dans le grave. Le forçage peut avoir des conséquences dramatiques, telle une hémorragie des vaisseaux dilatés des cordes. La muqueuse nasale est elle aussi gonflée diminuant la capacité à inspirer par le nez et la performance des résonateurs faciaux est altérée. Ces transformations peuvent apparaître dès le début de la grossesse et un peu plus tard, vers le 5e mois, on note un débit cardiaque augmenté, une capacité respiratoire diminuée de 20 à 30% avec hyperventilation et essoufflement. Le changement de position du diaphragme contraint la chanteuse à revisiter de fond en comble le fonctionnement de sa colonne d’air, élément princeps de son excellence vocale.

Au nom du principe sacré de l’égalité, des militants et des militantes de la parité tentent de faire croire qu’il faudrait que les femmes enceintes fassent comme si de rien n’était. Pire, des femmes, ministres ou princesses, tiennent un discours implicite culpabilisant en travaillant jusqu’à leur entrée en maternité et gambadant quelques heures après leur accouchement. Il faut dire la vérité aux cantatrices pour qu’elles puissent prendre leur risque en toute connaissance de cause, prendre les précautions indispensables, aménager  avec leur agent un agenda allégé, un répertoire adapté et des mises en scène qui ne les mettent pas en danger et étudier avec leur professeur les moyens – ils existent – de pallier au moins partiellement ces modifications

Même la période des grossesses révolue, les chanteuses n’en auront pas fini avec ces fichues hormones et leur paieront  un lourd tribut par la perte parfois irrémédiable de l’organe qui faisaient se pâmer leurs adorateurs. Christa Ludwig perdit ainsi sa voix d’un coup au Festival de Salzbourg en attaquant – sous la baguette de Karajan – la fin du fameux air d’Eboli dans Don Carlo « O don fatale, o don crudele », aria qui n’avait jamais mieux porté son nom qu’en ces circonstances. Elle s’enfuit alors littéralement de Salzbourg sans même assurer les représentations qui lui restaient. Les commentaires furent d’une méchanceté inouïe. L’ennemie jurée des chanteuses, la ménopause, avait frappé. Christa Ludwig l’appelait d’ailleurs avec verdeur « la merde ». Cette caractéristique biologique vient s’ajouter à l’injustice que constitue la spécificité des rôles féminins. Point de vrais personnages à l’opéra pour les femmes de plus de 50 ans à part quelques seconds rôles de rombières, duègnes ou servantes. Il est évident qu’une chanteuse peut surmonter ce bouleversement qui voit les hormones mâles prendre le dessus sur le mix progestérone/œstrogène. Il leur faut alors réapprendre le chant en oubliant tout ce qui fit leur succès. Réapprendre donc, mais pourquoi, disent certaines, puisqu’il n’y aura plus de rôles à ma mesure.

D’autant que d’autres mécanismes sont à l’œuvre, diminution de l’ouïe, de la mémoire, fatigue, perturbations de l’humeur et que la plupart arrêtent les traitements hormonaux de substitution, tant la voix supporte mal ce véritable canonnage médicamenteux. Le surpoids était  un vrai moyen de pallier – du moins pendant quelques années – ce cataclysme puisque les adipocytes stockant les œstrogènes, les dondons pouvaient jouer les prolongations. Caramba, encore raté, nos metteurs en scène veulent des sylphides. La ménopause précoce a tué la voix de Callas mais son amaigrissement brutal en fut aussi responsable car son surpoids assurait son souffle et elle n’avait pas travaillé de musculature de rechange.

Encore plus que celui des chanteurs,  le corps des chanteuses lyriques, est un corps-instrument qu’il faut traiter avec la plus grande vénération, de la même façon qu’on prend des précautions avec un Stradivarius. Hé oui, c’est comme ça, il faut l’accepter, à l’opéra et ailleurs, les femmes sont les égales des hommes mais elles ne sont pas des hommes comme les autres !

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