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L’ère des sales gosses

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Edito
1 décembre 2014

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Il suffit de mettre les pieds de temps à autre au musée pour tomber sur des groupes scolaires venus admirer les chefs-d’œuvre du passé sous la conduite diligente d’un ou deux professeurs.

En fait d’admiration, l’exercice tourne plus souvent qu’à son tour au monôme improvisé, au gré d’une effervescence d’hormones que la déterritorialisation semble échauffer. Garçons et filles procèdent autour des piédestaux de marbre à d’étranges danses amoureuses sur fond de SMS et d’obscénités pouffantes.

Evidemment, au cœur de tout cela réside le désintérêt presque intégral pour les œuvres qu’on entend leur faire apprécier et dont les professeurs opiniâtres mais las s’obstinent à défendre l’importance et la beauté. Le musée lui-même n’est-il pas considéré par l’écrasante majorité de la jeunesse comme un lieu mort réservé à quelques vieillards arides ? Interroger un jeune sur ce qu’il pense des musées, c’est faire jaillir en gerbes les plus fétides critiques contre ce format dépassé oeuvrant à la gloire d’un patrimoine périmé.

Assurément, le concert classique est à la musique ce que le musée est aux arts visuels. Cérémoniel dépassé et contraignant, peuplé d’ancêtres, au service de prétendus chefs-d’œuvre dont aucun ne tient la comparaison avec les One Direction. Et que dire du théâtre ? La torpeur saisit le jeune à la seule idée d’entendre des femmes en toge pleurer dans un français enflé sur les malices de dieux incongrus ; que l’imperméable en cuir du SS ou la blouse du stalinien parfois remplacent la toge ne dissipe pas les bâillements.

De tout temps on considéra qu’il fallait tenir bon devant le goût exclusif de la jeunesse pour ce qui naît avec elle, ne l’a point précédée, et ainsi tend un miroir idéalement vierge à cet âge d’un narcissisme totalitaire. Qu’il valait la peine de semer dans ces esprits encore plastiques un grain de ce que les temps révolus avaient pu inventé de grand et de beau. Qu’il relevait de la responsabilité d’adultes formés d’injecter en intraveineuse le sérum à retardement de l’art et de la pensée.

Il semble qu’aujourd’hui les sales gosses qui éclaboussent de leurs glauques glapissements et de leurs senteurs animales les quelques minutes que parfois l’on tente de passer devant un Chardin ou un Tintoret aient grandi et soient arrivés aux responsabilités politiques. Problème : leur idée de la culture canonique n’a pas changé. Le musée, le concert, le théâtre sont toujours considérés comme aussi barbants.

On prendra immédiatement pour exemple les propos et initiatives de maint responsable vitupérant l’élitisme pour justifier les coupes budgétaires. On mentionnera le goût forcené de hauts dirigeants politiques ou culturels pour l’ « éclectisme » : entendez, non pas un intérêt aussi vif pour l’art médiéval et l’art du XXIe siècle (par exemple) mais une volonté de brouiller tout repère entre culture populaire et culture canonique, entre art exigeant et art tout-venant. Ainsi des programmateurs de salle se vantent d’accueillir tout art et son contraire sans distinction, de peur que la sélection n’apparaisse comme une atroce exclusion, trahissant un esprit bassement élitaire.  Mais qui ne sent derrière cet éclectisme une méfiance vive à l’égard de la culture canonique ?

Ces exemples sont légion, et ils sont de plus en plus nombreux. Le discours qui les sous-tend est en train de devenir majoritaire et justifie tous les déportements dans les choix culturels. La démagogie politique a pris les traits d’un adolescent que décérèbrent un désir conformiste et une culture incomplète.  Que des adultes élus par le peuple voient dans ce modèle humain de quoi guider leur action inquiète.

Il y a cependant plus inquiétant. C’est la pratique culturelle des responsables politiques eux-mêmes. Voilà beau temps que plus personne ne s’inquiète que les hauts représentants de l’Etat ne mettent pas les pieds dans les théâtres que pourtant ils subventionnent. Ils en ont le sens (censément) mais n’en ont pas le goût. Le grand scandale provoqué par le maladroit aveu de Fleur Pellerin à propos de Modiano n’aurait pas été si vif s’il avait concerné la musique – dont on la dit connaisseuse. Les journalistes de la gauche cultivée la pourchassent depuis de leur vindicte, lui reprochant – tel Frodon dans L’Obs ou Guerrin dans Le Monde – d’être la ministre du commerce culturel.  Rien que ça !

Mais plus que des lectures apparemment obligatoires de Fleur Pellerin, si ces journalistes se préoccupaient des lectures réelles de ses collègues du gouvernement, du Parlement, des collectivités territoriales ? Plus que connaître à la virgule près le patrimoine financier de ces élus, j’aimerais savoir ce qui se trouve sur l’étagère de leur bibliothèque ou de leur discothèque. Quels auteurs aiment-ils ?  Quelle musique écoutent-ils ? Nul n’en parle jamais, et eux-mêmes les premiers – et pourtant combien cela révélerait la vision du monde de ceux qui nous gouvernent ! Comme on serait éclairé sur le prisme qui leur sert à analyser les situations qu’ils rencontrent ! Comme on verrait enfin à quoi ils tiennent vraiment et pour quoi en réalité ils se battent.

Dans cette curiosité, il entre sans doute une part d’idéalisme ; mais elle n’est certes pas dans la conviction que la culture d’un individu est le plus sûr miroir de son être. Non, il tient, je le crains, plutôt dans la croyance probablement absurde que la littérature, la musique, la peinture importent plus à ceux qui nous gouvernent qu’elles n’importent aux adolescents en meute croisés hier au Louvre.  

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