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Et les barytons dans tout ça ?

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Edito
23 janvier 2017
Et les barytons dans tout ça ?

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Le suspense aura tenu en haleine une bonne part de la lyricosphère : viendra ou viendra pas ? Malade ou guéri ? Pas un jour ne s’est passé ces derniers temps sans que le bulletin de santé de Jonas Kauffmann ne soit scruté, et ne soit posée la question de sa présence dans le cast de Lohengrin à l’Opéra de Paris. Sans doute y avait-il quelque chauvinisme à désirer si fort que le ténor-star reprenne son chemin sous nos cieux, quand d’autres publics, plus lointains, avaient guetté sa venue, espéré sa guérison, avant de s’en retourner, penauds, noyer leur déception dans les rades de Munich, Milan ou Amsterdam. La France étant un grand pays, l’Opéra de Paris le premier opéra du monde (comme on sait), il était naturel que le ténor nous réservât le privilège de sa résurrection. Toute autre solution fût apparue comme un camouflet intolérable, et Ramon Vargas serait devenu en une nuit le mètre-étalon de la ténorie, Jonas étant frappé d’indignité et relégué pour toujours parmi les mauvais coucheurs, les faux frères, les renégats. Il l’a échappée belle, dites donc. Forum Opéra put célébrer avec exultation et cotillons le retour du « chevalier phénix »  sous la plume aussi turgescente que savante de notre ami Clément.

A dire vrai, je ne me suis jamais inquiété de la santé d’un ténor. Je sais que ce sont là bêtes fragiles. Commencer à se préoccuper de leurs affres, c’est s’assurer bien des peines et d’incessants tourments. Avez-vous remarqué que les ténors souffrent de maladies dont aucun être humain n’a jamais souffert ? Untel souffre d’un hématome sur la corde vocale gauche, tel autre aura un œdème dans l’arrière-bajoue droite, celui-ci est frappé par des gonocoques pharyngés, le dernier présente une obturation des muqueuses glottiques… Si demain on me confiait les rênes de Sanofi, j’ouvrirais un département Ténors que je doterais de huit cents millions de dollars de budget R&D. Jamais je n’ai annulé une soirée d’opéra parce que le ténor était malade et remplacé par un autre, eût-il un nom obscur et l’organe imparfait. Peu me chaut. Une fois au Met, on m’annula un Rigoletto parce que Calleja souffrait d’une laryngite infectieuse. J’en fus indisposé, car j’y allais pour Juan Pons.

Mais n’en sommes-nous pas tous là ? Qui osera dire qu’il ne frémit pas davantage en voyant l’ombre menaçante de Scarpia planer sur la pauvre Tosca qu’en écoutant Mario bêler sa sentimentalité naïve ? Qui ne préfère boire une bière avec Papageno plutôt qu’une tisane avec Tamino ? Qui n’a jamais songé à se débarrasser de Manrico pour laisser enfin le brave Luna parvenir à ses fins, lui qui a de si beaux airs ? Si Manon avait écouté son baryton de frère, il ne lui serait pas arrivé tous ces malheurs ; le sympathique Rigoletto aurait vécu heureux sans cet affreux ténor de pacotille qui lui a abîmé sa fille ; Jokanaan offre une belle leçon de tenue et de chic à cet imbécile piaillant d’Hérode ; rien de tel que le baryton Marcello pour dire ces quatre vérités à l’imbécile Rodolfo.

Secrètement, le ténor jalouse le baryton. Etre baryton permet non seulement de fumer et de boire, mais aussi de faire la fête jusqu’à pas d’heure. Après une bonne gueule de bois, nous sommes tous en mesure de chanter les adieux de Wotan avec la voix de Hans Hotter, quand chanter « Cessa di più resistere » reste à jamais une irritante gageure. On dit que le ténor couche avec la soprano, mais la vérité, c’est qu’il s’endorment avec bonnet de nuit et chaussettes en pilou, alors que le baryton écume jusque tard dans la nuit les tavernes à gourgandines : imagine-t-on Falstaff, Don Giovanni, Scarpia, Lescaut, Belcore ténors ?

Ainsi, je sais que le rêve intime de tout ténor est de devenir baryton. Finie l’angoisse de l’ut qui ne sort pas, du si bémol qui reste à la cave. Terminés la vie de chlorotique, le confinement forcé. Adieu, les benêts à vocalises, les pitres en jupettes et les suavités délétères. Certes, le pouvoir et l’argent s’en iraient en même temps. Il faudrait troquer la Porsche dernier cri contre une Laguna des familles. Renoncer après le spectacle aux réceptions onéreuses et se résigner aux bistrots périphériques. Enregistrer des lieder allemands chez un label confidentiel plutôt que des airs de gondolier chez Decca. Mais à bien faire son métier, on conquerrait non l’adulation des mémères mais l’approbation des connaisseurs, non l’enthousiasme des rombières mais le satisfecit des authentiques mélomanes. Après la carrière, on prendrait un poste de professeur respecté dans un conservatoire de renom au lieu d’enfouir la nostalgie des grandeurs passées dans des châles profonds. On deviendrait Herr Doktor Professor au lieu de cotiser pour son quatrième lifting. Et lors des galas de commémoration on ferait valoir un timbre robuste et sombre dans un air payant, tout en se navrant en coulisse du la bémol manqué du collègue ténor à la bancale moumoute. Sur la fin, on écrirait de sages considérations à destination les jeunes générations en les mettant en garde contre les faux prestiges de la carrière, de l’argent, du luxe, de la gloire, du sexe, de la postérité, de la supériorité, de l’extase, de la fascination, de l’envoûtement dont les ténors seuls ont le secret, les salauds.

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