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Avant, c’était simple

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Edito
29 novembre 2019
Avant, c’était simple

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Autrefois, monter un opéra, c’était simple. On réunissait les meilleurs chanteurs que l’on avait sous la main, on les confiait au chef d’orchestre, et pour le côté visuel, tout dépendait là aussi des moyens dont l’on disposait. Selon les compétences des individus chargés de concevoir décors et costumes, le résultat pouvait être magique ou pitoyable, mais le spectateur avait toujours une vague idée de ce qui l’attendait. Pour Les Noces de Figaro, le château d’Aguas-Frescas serait plus ou moins riche, plus ou moins espagnol, mais les personnages seraient vêtus à la mode du XVIIIe siècle et se comporteraient comme on s’imaginait que l’on se comportait sous l’ancien régime. Pour Le Prince Igor, le spectacle évoquerait la Russie du Moyen Age avec une fidélité historique sans doute très relative, et les Polovtsiens auraient de jolis costumes exotiques. Avant, ce n’était peut-être pas mieux, mais c’était simple.

Aujourd’hui, il faut s’attendre à tout, comme le confirment les deux nouvelles productions proposées sur la scène lyrique parisienne. D’un côté, Les Noces de Figaro au Théâtre des Champs-Elysées, spectacle confié à James Gray. Le cinéaste n’ayant encore jamais été appelé à mettre en scène un opéra (ni même une pièce de théâtre), il ne doit pas être au courant des mœurs de notre temps, et a cru naïvement qu’il suffisait de suivre les indications du livret. On lui a recommandé pour les costumes un grand couturier reconverti, mais pour les décors c’est peut-être lui qui a fait appel à un Américain travaillant pour Broadway et pour le cinéma. Visuellement, on l’a dit, le résultat rappelle le fameux spectacle monté par Giorgio Strehler en 1973, en plus coloré et plus espagnol. De l’autre côté, Le Prince Igor à l’Opéra Bastille ; comme Dmitri Tcherniakov avait déjà monté l’œuvre à New York, il a bien fallu confier cet opéra russe à quelqu’un d’autre, et le sort a désigné Barrie Kosky, dont la réputation en France a dû pâtir de l’Orphée aux enfers diffusé cet été par Arte. Alors qu’il pratique d’habitude plus finement, le metteur en scène australien a opté pour l’actualisation, avec kalachnikovs et hémoglobine. Le résultat ressemble étrangement à ce que Tcherniakov aurait pu faire.

Autrement dit, nous vivons une époque de diversité formidable. Et encore, le choix présenté ci-dessus est finalement assez restreint, car un opéra peut aujourd’hui se dérouler n’importe où, n’importe quand : sur la Lune, dans un supermarché, avant-hier ou dans deux siècles. Le métier de metteur en scène n’est pourtant pas simple, car grâce aux moyens de communications modernes, nous pouvons tous visionner sur Internet un certain nombre de productions des grands titres du répertoire, alors que l’on compte sur ces messieurs – et ces dames, il y en a heureusement de plus en plus – pour innover constamment, « repenser » les œuvres, « révolutionner » notre regard sur elles. Il faut se faire remarquer, faire sensation, tirer le public de sa torpeur, et pour ça, rien ne vaut une bonne dose de laideur agressive renvoyant aux tristes réalités actuelles de notre planète. Avant, c’était tellement plus simple : on cherchait simplement à produire quelque chose de beau, diront les nostalgiques.

Sauf que les choses ne sont pas aussi simples. Ce serait trop facile s’il y avait d’un côté, les « beaux spectacles » où l’on se mettait à l’avant-scène la main sur le cœur, de l’autre les productions modernes où l’esprit du spectateur est stimulé mais où ses yeux sont tout sauf à la fête. Ce serait trop facile si on ne proposait aujourd’hui que des mises en scène relevant du contresens provocateur et moche, et si le passé n’avait été fait que de merveilles d’intelligence théâtrale et de splendeur visuelle. Comme nous le rappelle la parution en DVD d’une reprise milanaise de L’Enlèvement au sérail monté en 1965 par Giorgio Strehler, il y eut autrefois de ces miracles où étaient conciliées les exigences esthétiques et dramatiques, et qui nous ravissent encore. Mais il y avait aussi beaucoup de spectacles qui paraîtraient aujourd’hui d’un kitsch désolant. De même, à côté de ratages branchouilles et prétentieux, il existe aujourd’hui aussi des productions qui enchantent le public et la critique par leur inventivité et leur beauté. Ce serait trop simple s’il en allait autrement, et seul un passéisme simpliste permet d’affirmer le contraire.

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