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Portrait de Lisa della Casa

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Dossier
31 janvier 2009

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Lisa della Casa fête cette année son 90e anniversaire. Comme quelques rares icônes du chant, cette cantatrice adulée, retirée depuis de longues années, continue de vivre dans le souvenir commun, par ses enregistrements, les photos ou les documents qui ne cessent de raviver sa présence.

 

  
  

Modèle de discrétion, la soprano a mis un terme définitif à sa carrière en 1974, sans jamais revenir sur cette décision, tournant la page sans regret, malgré les sollicitations. Ni cours privé, ni conseil, ni masterclass et encore moins de mise en scène ou de direction d’opéra, tout juste un livre de confessions réalisé par son mari journaliste* et quelques interviews données avec parcimonie. C’est tout, c’est peu, mais ce n’est pas surprenant. Lisa della Casa a marqué l’histoire de la musique par son art très personnel et avant tout sa voix singulière, ondoyante et immédiatement identifiable, sa beauté, son élégance, mais plus encore le style, l’éthique qu’elle sut imposer face aux multiples contingences de son métier. Car il y a eu un style della Casa, fait d’exigence, d’engagement, d’honnêteté, de choix. Un répertoire délimité, mais emblématique (Mozart, Strauss et quelques italiens..), des rôles marqués par son empreinte (Elvira, La Maréchale, Ariadne..) et une incarnation absolue, une référence, Arabella, personnage auquel on l’identifia. Cantatrice acclamée, mais toujours loyale, intransigeante même et qui privilégia sa vie privée par rapport au « star-system », elle sut garder ses distances, se protéger, quitte à ce que sa réserve passe pour de la froideur. Elle aurait pu chanter davantage et peut être plus longtemps, s’abandonner, se sacrifier sur l’autel de l’art lyrique, pour satisfaire la folie des uns et contenter son ego. C’était mal la connaître et trop lui demander, sa volonté étant fondée sur le respect de soi et la constante recherche d’équilibre entre son art et ses proches. Très bel anniversaire Madame della Casa.

  

 
 

Lisa della Casa naît le 2 février 1919 à Burgdorf, une petite ville située non loin de Bern, d’un père issu d’une famille du Tessin, spécialiste oculaire et metteur en scène de théâtre à ses heures perdues, qui voulut un temps être chanteur et d’une mère bavaroise férue de musique, qui travaille dans le restaurant familial « Della Casa ». Son enfance se déroule sans heurt, auprès de son frère Franz, au grand air, dans un cocon familial qu’elle n’aura de cesse de perpétuer, entouré d’amour et de culture. Son père, régisseur, lui enseigne les rudiments de la scène et l’engage à l’âge de douze ans pour tenir le rôle d’une petite gitane. Elle monte donc très naturellement sur scène, suivant les conseils avisés de son père, endossant bientôt les atours de Juliette (Roméo et Juliette de Shakespeare) et jouant des textes de Marlowe et de Shaw. Ses débuts discrets mais décisifs et les nombreuses relations tissées par sa famille la mettent en relation avec le milieu théâtral, musical mais aussi cinématographique, où elle fait également ses premiers pas : elle tourne ainsi Fusilier Wipf de Paul Hubschmid en 1938, qui connaît un gros succès public et Mir lond wir lugg en 1940, production suisse dans laquelle elle chante une mélodie traditionnelle. Obéissante et réceptive, elle a également accepté de suivre des études de chant à 15 ans, avec Margaret Haeser, son unique professeur, dont elle suivra l’enseignement de Bern à Zurich pendant huit ans. Celle-ci lui apprend les règles du bel canto et de l’école de Vienne, qui seront les fondements de son art. Lisa étudie en parallèle le piano au Conservatoire, tout en suivant différents cours de musique.

 

Ses débuts sur la scène lyrique ne tardent pas : ils ont lieu en 1941 à Solothurn-Biel dans le rôle-titre de Madama Butterfly de Puccini, puis plus officiellement à l’Opéra de Zürich en 1943, où elle chante Annina dans Der Rosenkavalier de Richard Strauss, petit rôle de mezzo qui lui est confié en raison de la couleur de ses cheveux (noirs) qui lui donnent un air d’intrigante idéal. Ce premier essai est concluant puisque la direction à l’écoute de cette voix agile, à l’aigu limpide et au medium plein, lui confie peu après Mimi de La Bohème (en allemand), puis la Reine de la nuit. Elle signe dans la foulée un contrat de quatre ans au cours duquel elle interprète Gilda (Rigolettto), Nedda (I Pagliacci), Marie (La fiancée vendue), Butterfly, Cleopatra (Giulio Cesare), Donna Elvira et Donna Anna (Don Giovanni), Pamina (Die Zauberflöte) et Clara dans Porgy and Bess, ainsi que deux rôles de mezzo : Dorabella (Cosi fant tutte) et Marguerite (La damnation de Faust).

 

L’invitation de la grande soprano Maria Cebotari en 1946 à l’Opéra de Zürich, l’empêche d’aborder le rôle-titre d’Arabella dont elle rêve secrètement, mais elle se voit proposer celui de Zdenka dans une production qui fait grand bruit et dont le succès est déterminant. Le compositeur de passage dans cette ville assiste aux répétitions et prédit que cette jeune chanteuse sera bientôt une grande Arabella. Il ne se trompera pas! La presse salue la performance de cette presque inconnue dont la voix s’harmonise parfaitement à celle de la diva Cebotari et dont la présence scénique fait sensation. Une reprise est prévue à Salzbourg en 1947 et bien qu’elle n’en fasse pas partie, Cebotari recommande à la direction du festival d’engager Lisa della Casa, invitée sans audition à tenir le rôle de Zdenka, auprès de Maria Reining et de Hans Hotter sous la direction de Karl Böhm (un enregistrement subsiste, paru chez DG). La carrière de la jeune suisse est lancée. Sa voix solide et étendue de soprano lyrique, sa musicalité, cette manière bien à elle de chanter sur le souffle, qu’elle a long et cette respiration libre et soutenue, vont certes s’étoffer avec le temps, mais dès le tournant des années cinquante Lisa della Casa possède ces précieux atouts. Vienne l’invite à venir chanter Nedda, Mimi, Butterfly et Gilda, mais cette jeune artiste qui vient de se marier à un séduisant soldat qui lui faisait la cour depuis qu’il l’avait entendue à Zürich dans Nedda, Dragan Debeljevic, qui deviendra journaliste et mentor, n’apprécie déjà que modérément les voyages et le fait de s’éloigner de Zurich.

 

  

De retour à Salzbourg en 1948, festival auquel elle restera liée jusqu’en 1960 et qu’elle quittera après l' »Affaire Rosenkavalier », nous y reviendrons, elle chante Marzelline dans Fidelio de Beethoven avec Kirsten Flagstad et Wilhelm Furtwängler au pupitre. La cantatrice retrouvera ainsi chaque été Salzbourg, y chantant Donna Elvira dans Don Giovanni avec Furtwängler (film en couleur réalisé en 1954 avec Cesare Siepi, Elisabeth Grümmer et Anton Dermota DG), mais aussi Dimitri Mitropoulos (en 1956, un live existe), Pamina (Die Zauberflöte en 1959 sous la houlette de Georg Szell, rôle dans lequel on peut également la retrouver sur la scène du Grand Théâtre de Genève en 1949), son premier Octavian du Rosenkavalier en 1953, dirigé par Clemens Kraus, le chef préféré de Strauss, suivi de la Maréchale, qu’elle partage avec Elisabeth Schwarzkopf, sa rivale, mais également Ariadne auf Naxos (qu’elle chante la première fois à Vienne en 1950), dans le légendaire enregistrement de 1954 (Opera Gala), Chrysothemis dans l’Elektra inégalée de 1957, enflammée par la présence dans la fosse de Mitropoulos et avec celle qui deviendra une amie Inge Borkh (Orfeo), rôle limite que della Casa ne chantera que l’espace d’un été, mais de quelle manière!, sans oublier Arabella en 1958, personnage auquel elle va s’identifier et qu’elle va faire sien pendant plus de vingt ans, dirigée par Joseph Keilberth avec Dietrich Fischer-Dieskau (Orfeo), sans compter les soirées de lieder (la première en 1957 accompagnée par Arpad Sandor publiée chez Orfeo), les messes et les concerts qu’elle y donnera. On l’y entendra même dans une création, Der Prozess de Gottfried von Einem en 1953 (Orfeo), avec Karl Böhm aux commandes.

 

Herbert von Karajan découvre sa voix pure et son port de reine en 1948 alors qu’il dirige à Salzbourg : subjugué, il lui propose de chanter sous sa conduite Elisabeth de Tannhäuser dont elle a, selon lui, l’exact profil, mais prudente elle préfère décliner cette offre qu’elle juge trop précoce. Elle le retrouvera quelques années plus tard en Italie, plus précisément à Milan en 1952 où elle interprétera Sophie dans Rosenkavalier avec Sena Jurinac et Schwarzkopf dans sa première Maréchale (un live passionnant mais au son difficile a été préservé/Legato classic), puis Marzelline avec l’inoubliable Martha Mödl (Fidelio) et en 1960, pour ce fameux Rosenkavalier.

 

L’année 1948 est marquée par ces événements heureux et par l’acquisition d’un magnifique château idéalement situé sur les rives du Lac de Constance, demeure dans laquelle le couple vit toujours, mais également par la disparition des parents de Lisa, à quelques mois d’intervalle. Appréciée pour sa fraîcheur, sa grâce, sa sensibilité et le naturel de sa déclamation, Lisa della Casa atteint la notoriété et se voit invitée par les plus grandes scènes : Covent Garden, Glyndebourne, Bayreuth, le Palais Garnier, Munich, Buenos Aires affichent son nom et lui offrent les grandes héroïnes de Mozart et de Strauss, qui feront sa gloire, mais également de Puccini (Butterfly, Bohème et Tosca) et plus tard Verdi (Otello), Lehar (Die lustige Witwe) et Gluck (Orfeo ed Euridice).

  

 

Elle débute à Paris en 1949 (Sophie dans Rosenkavalier avec Maria Reining et Risë Stevens) avant de revenir dix ans plus tard dans le rôle-titre d’Ariadne auf Naxos au Théâtre des Nations, sous la direction de Silvio Varviso, à Glyndebourne en 1951 dans le rôle d’Illia de Idomeneo de Mozart, personnage qu’elle maintiendra jusqu’en 1971 (à Genève et à Vienne, un live du 14 mars publié chez Ponto existe, dirigé par Jaroslav Krombholc), un an plus tard chante Eva des Maîtres chanteurs sous la direction de Hans Knappertsbuch à Bayreuth, mais déçue par l’atmosphère qui y règne n’y reparaîtra plus, conservant tout de même le rôle à son répertoire, ainsi que celui d’Elsa (Lohengrin), qu’elle interprète avec succès au Metropolitan Opera de New York en 1959 avec Thomas Schippers, mais également à Genève en 1971 dirigée par Georges Sébastian. Le Met l’acclame en 1953, début d’une longue collaboration qui prendra fin quinze ans plus tard après 174 représentations, dans seulement onze rôles – celui de la Comtesse des Noces de Figaro qu’elle chantera 43 fois, suivi par Donna Elvira (34), Eva (23), la Maréchale (17), Le baron tzigane (17), Arabella (16), Octavian (9), Ariadne (4), Butterfly (2) et Mimi (1) -, Rudolf Bing la préférant par dessus tout dans Mozart et Strauss. Si ses relations avec le fameux directeur n’ont pas toujours été faciles, elle s’entendit parfaitement avec les metteurs en scènes Rudolf Hartmann et Herbert Graf qui savaient comment traiter chaque personnalité sans les annihiler. Très demandée aux Etats-Unis, Lisa della Casa choisira même d’y vivre quelques années, au grand plaisir de sa fille Vesna, née en 1950.

                                                 

Comme avant elle Lotte Lehmann, Lisa della Casa est l’une des rares sopranos qui ai pu chanter les trois héroïnes du Rosenkavalier (quatre avec Annina) : après Sophie, qui fut de loin sa préférée et qu’elle refusait de jouer comme une ingénue, préférant faire ressortir sa force de caractère, dans lequel elle cessa de se produire en 1953, elle alterna sans difficulté le fougueux Octavian la même année, de Salzbourg à Monte Carlo, en passant par la fameuse soirée du Met de décembre1964, qui marquait les retrouvailles des deux rivales à savoir della Casa et Schwarkopf, avec celui de la Maréchale, toute de transparence et d’émotion contenues qu’elle fit évoluer de Vienne en 1955, jusqu’à Londres (Covent Garden) en 1969, avant l’ultime représentation de 1973.

 

Profitant de l’essor du microsillon, Lisa della Casa eu l’opportunité de graver des intégrales de légende, sans pour autant avoir signé de contrat d’exclusivité avec les grands labels à la différence de Callas, Schwarzkopf ou Tebaldi. Mozart est abondamment représenté dans son legs discographique, où elle est dirigée par les plus grands chefs de l’époque : Anna pour Karl Böhm (Don Giovanni RCA 1955), Elvira pour Josef Krips la même année (Decca), Comtessa Almaviva d’abord aux cotés de Erich Kleiber (Nozze di Figaro Decca 1955), puis en compagnie de Erich Leinsdorf (Decca 1958), Fiordiligi (Cosi fan tutte Böhm Decca 1955), constituent avec de nombreuses captations en direct, d’inestimables témoignages de l’art incomparable de la soprano, à la fois aristocratique et merveilleusement éloquent. De Strauss, nous conservons une Arabella officielle captée dans les studios Decca en 1957, conduite amoureusement par Georg Solti avec un Georges London inoubliable, des Quatre derniers lieder de rêve, touchant par leur poétique fluidité et le naturel de leur déclamation (Böhm Decca 1953, complétés par de sublimes extraits d’Arabella dirigés par Rudolf Moralt, d’Ariadne et de Capriccio par Heinrich Hollreiser), la diva n’ayant pu léguer au disque que des passages d’Ariadne auf Naxos (Alberto Erede 1960/Testament), plusieurs scènes du Rosenkavalier avec l’amie de longue date, Anneliese Rothenberger où elles échangent leurs rôles (Lisa en Maréchale puis en Octavian, Anneliese en Octavian puis en Sophie) et Rudolf Neuhaus au pupitre (un superbe album enregistré en 1966 complété par le duo Arabella/Zdenka du 1er acte/Berlin Classics) et de Tosca dans une sélection dirigée par Berislav Klobucar réalisée en 1959 (en allemand pour Emi). A noter également son enregistrement de La veuve joyeuse de Lehar (Columbia 1962, inédit en CD) avec John Reardon et Franz Allers à la baguette.

 

 

Cette voix faussement légère, à la sonorité capiteuse et ambrée avec le temps, portée par un souffle infini qui rendait sa ligne de chant si particulière et qui donnait l’impression qu’elle parlait, ce qui lui permis d’exceller dans Arabella et dans la Comtesse Madeleine de Capriccio (plusieurs gravures existent dont celle captée à Hilversum le 30 mai 1953, live conduit par Johannes den Hertog chez Ponto, celle de Munich en 1960 avec Robert Heger chez Melodram et une soirée inédite du 21 mars 1964 qui vient d’être éditée par Orfeo dirigée par Georges Prêtre, à Vienne cette fois), trouva également un terrain d’élection : le lieder. La pureté de son timbre aux reflets adamantins, sa diction immaculée, sa façon de poser les mots sur la musique sans sophistication, mais avec conscience de l’effet désiré, en firent une récitaliste recherchée pour défendre les mélodies de Strauss (album complet accompagné au piano par Arpad Sandor en 1963 Eurodisc), Schubert (avec Karl Hudez en 1956), Schumann (magnifique Frauenliebe und Leben enregistré en avril 1962 avec Sebastian Peschko chez Decca), Wolf (Decca 1956 et 1962 avec Peschko). On peut également l’entendre dans la 4ème Symphonie de Mahler (avec Fritz Reiner et le Chicago Symphony Orchestra RCA 1958), le Requiem de Mozart (Hans Schmidt-Isserstedt en 1952 et Bruno Walter 1956), de Brahms (Karajan Salzbourg 1957 Orfeo), ou la 9ème symphonie de Beethoven (Karajan Vienne 1955 Orfeo). Son interprétation des Quatre derniers lieder de Strauss, qu’elle proposa inlassablement d’Allemagne, en Australie, de Suisse au Japon, d’Amérique au Royaume-Uni, accompagnée par les plus grand maîtres (Keilberth, Cluytens, Sargent, Reiner, Schmidt-Isserstedt), fut avec celle de Schwarzkopf, l’une des plus passionnantes, par sa liquidité vocale et l’immédiateté de son discours vécu avec calme, douceur et immatérialité : à coté de la version officielle déjà évoquée, celle donnée à Salzbourg le 30 août 1958, soit le lendemain de la première d’Arabella dirigée par Keilberth (!), un témoignage édité par Orfeo (en complément du live d’Arabella Salzbourg en 1958), à nouveau avec Böhm et les Wiener Philharmoniker, est sans doute l’une des plus exaltantes et des plus abouties.

 

Au sommet de sa gloire, Lisa della Casa aborde la décennie soixante avec sérénité. Un événement fâcheux va pourtant la décevoir profondément. Invitée comme chaque été à Salzbourg et pour inaugurer la nouvelle salle, elle retrouve Karajan qui la dirige dans Rosenkavalier, où elle partage l’affiche avec Sena Jurinac (Octavian) et Hlide Güden (Sophie), en alternance avec Schwarzkopf. Heureuse, Lisa della Casa chante la générale, retransmise pour cette occasion à la télévision bavaroise en noir et blanc (un live audio a été publié par DG). En coulisse, Walter Legge, le puissant directeur artistique du label Emi, manigance pour que son épouse, Elisabeth Schwarzkopf, participe au film, en couleur, qui doit être réalisé en parallèle, celle-ci n’ayant pas pu faire partie du Don Giovanni de 1954. Prévenue au dernier moment par la production et se sentant trahie, Lisa della Casa décide de rompre son contrat : elle ne reviendra jamais plus chanter à Salzbourg, malgré les excuses et les supplications maintes fois réitérées. Les « rivales » se retrouveront à New York en décembre 1964 pour les débuts tardifs de Schwarzkopf au Met… dans un Rosenkavalier que Rudolf Bing aurait aimé explosif et qui eut lieu sans le moindre scandale (le live existe, assez décevant).

 

Contre toute attente, la cantatrice accepte de remplacer Leonie Rysanek dans un rôle extrême, celui de Salomé qu’elle n’a jamais chanté. A Munich en 1961 (avec Böhm) et en 1962 (avec Keilberth), Lisa della Casa, dont la télévision enregistra la scène finale (la production est signée Rudolf Hartmann), surprend le landernau lyrique en campant une princesse de Judée, juvénile et irrésistiblement « sexy » aux dires de sa collègue Inge Borkh, écrasée par la solitude dans laquelle elle est confinée, mais en aucun cas un monstre assoiffé de sang. Les propositions les plus extravagantes ne tardent pas à arriver (l’Impératrice de La femme sans ombre), mais elle les déclinera toutes, préférant ne pas précipiter son déclin vocal et revenir à des Mozart et à des Strauss moins audacieux vocalement.

 

Fuyant les mondanités, les effusions intempestives de ses fans, préférant le doux refuge familial et la compagnie de ses chiens à celle de collègues trop envahissants, Lisa della Casa a toujours été très attentive à l’équilibre qui devait prévaloir entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Soucieuse et attentive, elle mit un point d’honneur à ne jamais enchaîner les productions, à voyager modérément pour ne jamais être trop longtemps éloignée de son foyer, tout au long de sa carrière et malgré ses engagements. La cellule familiale fut violemment touchée à la fin des années soixante, lorsque Vesna dut subir une très grave opération et frôla la mort. Une longue période de convalescence donna à Lisa della Casa la sensation que l’heure de la retraite était proche et que le temps de se consacrer exclusivement à sa famille était venu. Espaçant de plus en plus ses représentations, elle se concentre alors sur la Suisse, à l’exception de sa participation à l’opéra de von Einem, Dantons Tod, (interprétant le rôle de Lucille qui avait été créé par Cebotari en 1947), où elle chante, rien qu’à Genève, Rosenkavalier en octobre 1965 (dirigée par Christian Vochting), Cosi fan tutte pendant la saison 1967-68 (avec Peter Maag), Lohengrin (Sébastian en 1971), Don Giovanni (avec Edda Moser dirigée par Peter Maag, saison 1971-1972), mais également à Zürich, Haendel (Agrippina en 1970) et une dernière Maréchale (à Vienne en septembre 1973), décidant de tirer sa révérence après une ultime Arabella, son rôle fétiche, donnée en décembre 1973 au Staatsoper de Vienne.

 

 

Si Callas marqua à tout jamais le rôle de Norma, Schwarzkopf celui de la Maréchale ou Rysanek celui de l’Impératrice, le nom et la personnalité de della Casa sont pour toujours associés à celui d’Arabella. Après avoir abordé l’opéra de Strauss avec Zdenka, la cantatrice chante le rôle-titre pour la première fois à Vienne avant d’y triompher quelques mois plus tard à Munich en 1952, sous la direction de Rudolf Kempe. La clarté de son élocution, sa manière de « dire » le texte, de se l’approprier, son inépuisable souffle et ses aigus voluptueux en font l’interprète idéal, modèle absolu pour toute une génération. La production part à Londres en 1953 (Testament a publié la soirée), où Lisa della Casa fêtera sa centième performance en 1965, dans une nouvelle mise en scène. Selon ses propres dires « Il faut bouger, rire, hausser les épaules, rêvasser en se tenant le menton (..) être spontanée, lorsque l’on incarne ce personnage ; je n’ai jamais voulu prendre ce ton quasiment élégiaque qu’ont la plupart des Arabella actuelles. Cette jeune viennoise n’est pas une grande dame et ce n’est surtout pas un rôle de « chanteuse »; il faut éviter à tout prix de montrer l’effort de l’émission vocale. La cantilène straussienne n’est que jouissance »**. C’est exactement ce qu’elle fit pendant plus de vingt dans ce rôle chéri et béni. La représentation munichoise de 1963 retransmise à la télévision bavaroise avec Keilberth à la baguette, Fischer-Dieskau (Mandryka) et Rothenberger (Zdenka), publiée en cd par DG et en partie consultable sur you tube, est sans doute le plus émouvant et le plus sensationnel témoignage de l’art de l’artiste, au sommet de sa beauté, de sa voix, de sa gloire.

 

Quelques archives télévisées existent, comme ces extraits de La Bohème et de Madama Butterfly avec Richard Tucker à la télé américaine ; le duo de Tosca en 1962 avec Corelli (en couleur), la prière en 1957 (USA en italien) et en 1962 (Allemagne, en allemand). Outre Don Giovanni (Salzbourg 1954), Lisa della Casa a également participé à une version filmée du Faust de Gounod avec Cesare Siepi. Toujours sur you tube, l’émission « Profile in music » du 21 mai 1963 permet de retrouver la cantatrice à la télévision britannique interviewée par Josef Cooper (où l’on apprend entre autre qu’elle adore fumer!), et où elle interprète avec charme et facilité, Mimi, Arabella (en anglais, malheureusement), Le baron tzigane, « Porgi amor », « Hat gesagt » de Strauss et une exotique mélodie de Ravel. Toujours sur you tube, les admirateurs de la diva pourront se ruer sur le documentaire « Liebe einer diva » que viennent de réaliser Thomas Voigt et Wolfgang Wunderlich, diffusé en octobre dernier à la télévision suisse, où l’on peut retrouver Frau della Casa, toujours bon pied, bon oeil, aussi vive et espiègle que, chez nous, Danièle Darrieux, auprès de son mari, revenir sur les grands moments de sa carrière, le tout entrecoupé de nombreux documents d’archives dont certains issus du fonds personnel de la diva. Retirée de la scène depuis 1974, la cantatrice se consacre enfin à sa famille, partageant sa vie entre la Suisse et l’Espagne, n’ayant jamais donné la moindre leçon, la moindre masterclass et pour ainsi dire aucune interview.

Gnädige Frau, très bel anniversaire et longue vie à vous.

 

 

François Lesueur

*Dragan Debeljevic auteur de Ein Leben mit Lisa della Casa oder in dem Schatten ihrer Locken Zürich Atlantis Musikbuch 1975 et 1990.

**Extraits de l’interview accordée pour le numéro spécial de l’Avant-scène consacré à Arabella (N°170).

 

 

 

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