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Dmitri Tcherniakov : « Macbeth est la victime d’une société en quête d’expérimentation »

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Interview
4 avril 2009

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Le metteur en scène Dmitri Tcherniakov est la dernière découverte de Gérard Mortier. Moins sulfureux que le polonais Krzysztof Warlikowski, mais tout aussi inventif, le jeune russe est de retour à Paris, après un Eugène Onéguine remarqué en début de saison, avec le Macbeth de Verdi, présenté sur la scène de la Bastille entre le 4 avril et le 8 mai.

   

 

Vous répétez actuellement votre seconde production à l’Opéra de Paris, après un Eugène Onéguine chaleureusement accueilli. Dans quel état d’esprit abordez-vous ce Macbeth que vous avez créé en décembre dernier à Novossibirsk, une oeuvre qui vous a longtemps résisté ?

 

J’ai envie de vous répondre que l’état d’esprit dans lequel je me trouve actuellement est bon, sans doute parce que mon travail arrive à son terme. Je me sens plus détendu car les répétitions s’achèvent et que chaque détail commence enfin à composer une véritable structure, que j’ai eu du mal à concevoir dans un premier temps, n’ayant pas le recul nécessaire. Progressivement les choses se sont mises en place, le dispositif est devenu plus compréhensible, ce qui m’a permis de me projeter dans l’avenir et d’imaginer l’objet final vers lequel nous tendions tous.

 

La partition sera dirigée, comme à Novossibirsk, par Teodor Currentzis, directeur musical de cet opéra, en revanche la distribution est différente. Ces changements vous ont-ils conduit à modifier certains détails de votre conception initiale ?

 

Je dois vous avouer que c’est la première fois que je travaille à la reprise d’un spectacle qui a été créé dans un autre théâtre, avec une distribution et une équipe technique différentes. Le fait de me retrouver avec des figurants, des choristes et de nouveaux interprètes, m’a mis dans une situation particulière et difficile, car je voulais absolument retrouver ce que j’avais obtenu à Novossibirsk, ce qui m’a rendu malheureux. Il a fallu que je me rende compte que je faisais fausse route et que je devais m’adapter aux artistes avec lesquels je travaillais, pour reconsidérer ma façon de faire et admettre que ce Macbeth allait être un autre spectacle. Les relations entretenues sur le plateau entre les protagonistes sont différentes, car les sensibilités, les personnalités ne sont pas identiques. Nous avons le même Macbeth chanté par Dimitris Tiliakos, mais Banco est tenu à Paris par la basse Ferruccio Furlanetto, qui est plus âgé et dont la stature impose un autre rapport sur scène. Violeta Urmana qui incarne Lady Macbeth est également un autre type de femme et de voix que la cantatrice que j’ai dirigée à Novossibirsk. Quoiqu’il en soit lorsque je travaille, j’essaie toujours de raconter une histoire au public, tout en cherchant à apprendre quelque chose de nouveau : cela fait partie du jeu. Mon Macbeth n’aura pas grand chose à voir avec Eugène Onéguine.

 

Quels sont les thèmes qui vous ont immédiatement attirés dans Macbeth : la folie, le pouvoir, la domination ?

 

Je dois choisir parmi ces trois là ? (rires). Cet opéra me permet d’aborder des thèmes qui me plaisent et que je n’avais pas pu mettre en scène jusqu’à maintenant. Macbeth m’offre la possibilité de parler ouvertement du pouvoir de la société, en montrant que la collectivité peut conduire des êtres à commettre l’irréparable. Il est important pour moi de réhabiliter Macbeth, que je considère comme la victime d’une société en quête d’expérimentation. La vie de cet homme pourrait à tout moment prendre un autre chemin : il n’est pas méchant, son couple est fort et uni. Mais Macbeth et Lady sont si proches, que si l’un des deux disparaiî, l’autre perd son appui. Lady défend de toutes ses forces son mari lorsqu’il est accusé et il n’est pas question de morale, elle est prête à tout pour le sauver. S’ils étaient arrêtés et jugés, ils ne comprendraient pas que l’on puisse penser qu’ils aient mal agi. De plus, si Macbeth était immédiatement perçu comme la figure du mal, il ne pourrait pas susciter notre compassion, c’est pour cela qu’il est beaucoup plus passionnant de raconter comment il arrive, pas à pas, au meurtre.

 

L’une des difficultés de cette ouvrage réside dans le traitement des sorcières et du fantôme de Duncan. Comment vous en êtes-vous sorti ?

 

(Rires et temps). Les sorcières sont en effet très difficiles à traiter et pendant longtemps je ne parvenais pas à trouver le moyen de les faire exister. Elles forment un groupe soudé, une entité, un monde propre qui chante et danse pendant une grande partie de l’ouvrage, et je ne savais pas quoi en faire. La plupart des mises en scène “sérieuses” ne sont pas probantes, car elles les présentent comme des êtres maléfiques dans une imagerie uniquement crédible pour les enfants. Je ne souhaitais pas emprunter ce chemin, car quelque chose me disait que ces sorcières méritaient mieux. J’ai finalement compris que le conflit central de l’ouvrage est celui qui existait entre Macbeth et ce groupe de “femmes” qui de plus, prévoit ce qui va se passer et le fait savoir à la victime. Je ne vais pas vous raconter ici ma mise en scène qui est entièrement fondée sur le développement de cette idée. Il va falloir venir la voir.

 

Pensez-vous comme Gérard Mortier que « la mise en scène peut contredire la musique si elle permet de l’écouter mieux » ?

 

Oui absolument et je vais vous donner un exemple. Il y a une dizaine d’années, j’ai assisté à une représentation de Falstaff, mise en scène par Peter Konwitschny à Graz, qui m’a bouleversée. Pendant les vingt premières minutes, que l’on pourrait qualifier de radicales, certains spectateurs ne comprenaient pas ce qui se passait sur scène, sans que le sujet soit pour autant contredit. Jusqu’à là, je ne comprenais pas cet opéra, je ne voyais qu’un enchaînement de situations comiques. Mais grâce à Konwitschny j’ai perçu ce qui en faisait sa substance, à savoir la fin d’une époque, la disparition d’un monde qui laisse la place à un autre. J’ai alors ressenti la tragédie du temps qui passe avec en écho la présence de Verdi, lui-même parvenu au seuil de sa vie, à la frontière entre deux siècles. Par la suite je me suis beaucoup intéressé à cet ouvrage que la Duse avait trouvé « si triste » le soir de la première.

 

Avant d’étudier à l’Académie russe de théâtre les bases de votre métier, vous souvenez-vous avec précision de vos premières émotions musicales ou théâtrales ?

 

Il y en a tellement eu que je ne saurai en retenir une en particulier. Quand je réalisais Eugène Onéguine, je racontais que le premier opéra auquel j’avais assisté était celui là et que je ne pouvais pas imaginer qu’un jour je deviendrai metteur en scène. Il s’agissait d’une tournée du Théâtre Mariinsky en 1982 ; sans le savoir mon sort allait pourtant être lié à cet événement.

  

 

Propos recueillis par François Lesueur

Traduction Boris Ignatov

 

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