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Diego Fasolis, le magicien

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Actualité
1 juin 2015

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Parmi les nombreux chefs d’orchestre spécialisés dans le répertoire baroque « italien » aujourd’hui, on croise deux courants stylistiques souvent perçus comme contradictoires : le premier fait la part belle aux dynamiques, le second porte surtout son attention sur les harmoniques. A l’extrémité du premier on trouve le frénétisme décharné d’un Spinosi, au bout du second, la riche mollesse d’un Savall. Chacun de ces courants peut produire des chefs d’œuvre d’interprétation pour peu qu’ils rencontrent les compositeurs qui vont dans leur sens. Mais ils sont rares les chefs qui réussissent la synthèse de ce qui semblait opposé et peuvent la porter sur toutes les partitions, Diego Fasolis fait partie de ces magiciens.

Avec lui la virtuosité n’est jamais maigre, la pulpe harmonique conserve toute sa richesse dans les courses éperdues. A l’inverse, lui qui s’est longtemps cantonné au répertoire sacré sait comme peu insuffler la spiritualité à des partitions dont l’économie est contrition, charger l’humilité des lamenti avec angoisse. Son orchestre, I Barochisti, est véritablement chantant, moins célèbre que les Freiburger Barockorchester ou Les Musiciens du Louvre et pourtant tout aussi époustouflant, nous faisant entendre ces œuvre avec tant d’évidence que l’on se demande comment on a pu les jouer autrement auparavant.

A 57 ans, Diego Fasolis a enfin accédé la célébrité qu’il mérite grâce aux soutiens de Max-Emmanuel Cencic puis de Cecilia Bartoli qui l’ont appelé pour enregistrer certains de leurs plus beaux projets. Avant de découvrir cette partie plus exposée de sa carrière, commençons par sa Juditha Triumphans qui révèle tout son génie, et qui n’est jamais sortie qu’en version mp3. Tout serait à citer dans cet enregistrement, son « Matrona inimica » qui fait swinguer le jeune Vagaus, les stridences délicates du « Quanto magis generosa », la tourterelle gémissante, fragile et lestée à la fois du « Veni, veni me sequere fida», toutes les ombres épaisses et inquiétantes de la scène nocturne, ou l’« Armatae face et anguibus » parfaitement fouetté et qui sait maintenir cet équilibre grisant où la chanteuse est poussée dans ses limites mais jamais déstabilisée. Mais puisqu’il faut choisir, en introduction de cet article, nous avons retenu l’ouverture cataclysmique où les timbales semblent faire émerger cette partition du champ de bataille avant que les trompettes ne viennent faire éclater un orchestre prêt à en découdre, rejoint par le chœur guerrier : c’est bien d’un oratorio militaire dont il s’agit. Militaire mais aussi éminemment dramatique, presque un opéra, et voici le visage angoissé de Juditha, interprétée de façon bouleversante par Sara Mingardo : écoutez avec quelle art ces stridences glissées et la pesanteur agile des archets imitent le vol criard de l’hirondelle terrifiée car prise dans la tourmente d’une basse continue oppressante.

Avant 2008, Diego Fasolis, chef de choeur puis de l’orchestre de la Radio Suisse Italienne puis fondateur d’I Barocchisti, enregistrait surtout de la musique sacrée, beaucoup notamment avec Roberta Invernizzi, où le recueillement et la discrétion l’emportaient sur le drame. Cette Juditha est la preuve qu’il est aussi un immense chef pour le théâtre. Faramondo de Handel qu’il enregistre avec Max-Emmanuel Cencic l’année suivante vient le confirmer. Alors que la plupart des spécialistes s’accordaient à considérer cette œuvre comme mineure dans la production du Saxon, car composée à la va-vite, Fasolis en souligne toute la verve et l’inventivité dramatique. Ecoutez par exemple, avec quelle légèreté feinte il maitrise parfaitement la complexité rythmique de l’air du héros concluant le premier acte. La basse continue est toujours bien présente mais n’appesantit jamais le propos, c’est plutôt la sous-couche d’un tableau ou les cordes feraient éclater les couleurs. La prestation tout aussi maitrisée de Cencic dans ce rôle écrit pour Caffarelli (d’où les écarts redoutables) ne gâche évidemment rien.

Les deux artistes se sont manifestement si bien entendus qu’ils ont enregistré ensemble un des meilleurs récitals Handel qui existent: Mezzo-soprano. Non seulement Cencic y prouve définitivement que les contre-ténors ont tout à gagner à explorer leur registre grave pour mieux rendre justice au répertoire des castrats, mais en plus les airs choisis sortent clairement de l’ordinaire, tout en restant du meilleur Handel. Au-delà des qualités que l’on a pu déjà vanter chez Fasolis, le miracle de ce disque tient dans l’évidence des tempi : certains airs déjà entendu auparavant semblent ici dépoussiérés avec une vigueur époustouflante, comme ce magnifique « Benche mi sprezzi » toujours pris trop lentement ou timidement et qui resplendit ici de tout son allant douloureux. Parmi les airs plus rares encore, on se demande toujours pourquoi Arianna in Creta n’est pas plus souvent donné en entendant ce « Salda quercia in erta balza » renversant où les pupitres semblent se courir les uns après les autres en un tournoiement infini.

On est par contre moins enthousiaste sur leur Farnace de Vivaldi: on ne saurait dire si c’est la version choisie (clairement une des moins intéressante et très disparate) ou bien un manque d’inspiration du chef, mais nous n’y trouvons pas la tension continue de la Juditha. Heureusement, ils se rattrapent en live avec de très beaux Rinaldo et Giulio Cesare. Pour ce dernier, Cencic y chante Tolomeo, et offre à ce personnage une mort que Handel lui refusait, en intégrant le célèbre « Stille amare ». On peine à croire qu’il s’agit d’un orchestre aux instruments modernes, tant le son des violons y est fin, et ici encore une tension maintenue sans relâche, ce qui n’a rien d’évident pour un air qui repose en grande partie sur des pizzicati.

Leur collaborations s’achève (pour le moment espérons-le) avec l’Artaserse de Vinci. Nous aurions pu parler de l’ouverture cavalière qui vient souligner toute la densité harmonique que l’on dénie souvent à l’opéra napolitain, mais nous nous attarderons plutôt sur le redoutable « Vo solcando », air favori de Carestini et qui révéla enfin Franco Fagioli au grand public. Au-delà de la performance hors du commun de ce chanteur, entendre comme Fasolis fait enfler son orchestre pour cet air de tempête qui n’explose jamais, et pour cause, on y évoque le roulis des vagues avant la tempête et la crainte qu’elle suscite. L’accompagnement du chanteur sur la crête des vagues et dans les profondeurs de leurs creux se fait toujours de façon très présente, très assertive et pourtant on ne le sent jamais gêné, toujours parfaitement soutenu, comme la barque sur les flots menaçants.

A Martina-Franca, deux ans plus tôt, Fasolis était déjà un chef en or pour Fagioli qui devait affronter un orchestre moderne dans Rodelinda. A part Thomas Hengelbrock, on ne connait pas de chef d’orchestre capable de faire de tels miracles avec des orchestres n’utilisant pas d’instruments anciens (autre exemple édifiant, l’Armida de Traetta): malgré les sonorités métalliques, tout ici est alerte, parfaitement à sa place, dansant, cela rebondit tellement que le public en redemande et Fagioli de bisser cet air jouissif.

Entre temps, Diego Fasolis s’est aussi aventuré du côté de l’extravagant baroque espagnol, et là encore il fait mouche : jamais les cuivres ne gênent l’orchestre, et les cordes multiplient les effets entrainants sans aucun mauvais goût.

Avec Bartoli, et son projet consacré à Steffani, Fasolis trouve un terrain propre à souligner toute la variété de son génie. Depuis les airs militaires jusqu’aux danses, en passant par le dépouillement du sacré ou les arias comme ce superbe « Notte amica », l’on peut entendre, presqu’à nu, sa manière remarquable de travailler la texture orchestrale et d’opérer cette union parfaite entre dynamiques et harmoniques. Manière indispensable pour rendre justice à ce compositeur délicat mais pas toujours très innovant.

Cecilia Bartoli lui offre le même type de challenge avec son disque consacré aux compositeurs de la cour de Russie : St Petersburg. Le pari est moins réussi, tant beaucoup des airs interprétés semblent assez anodins. A l’exception de ceux composés par un quasi-inconnu : Raupach. Que ce soit dans un époustouflant air belliqueux et d’insulte avec ses trompettes excessives, un « O placido il mare » virevoltant ou une émouvante et duveteuse marche vers la mort qui ressemble à une berceuse, Fasolis n’est pas pour rien dans l’éclatant succès de Bartoli dans ces airs.

En ce moment, vous pouvez entendre Diego Fasolis diriger Iphigénie en Tauride avec Cecilia Bartoli au festival de Salzbourg. Et l’on nous annonce une Dorilla in Tempe de Vivaldi chez Naïve. Et bien que non lyriques, on ne saurait trop recommander de jeter une oreille à ses concertos brandenbourgeois grisants, à ses Quatre saisons, sans doute les plus vivantes que l’on connaisse avec celles d’Ottavio Dantone ou à son inattendu Requiem de Verdi qui nous fait ardemment désirer qu’il explore davantage ce répertoire.

 

DISCOGRAPHIE VOCALE*

*intégrant les œuvres lyriques, sacrées et les mélodies pour lesquelles il est chef d’orchestre (voire du chœur)

1995
Bach, Matthaus Passion – version de Mendelssohn (Assai)
Handel, Dixit Dominus & Vivaldi, Gloria (BBC Music)

1997
Durante, Lamentations du prophète Jérémie et Vêpres brèves (Arts)
Buxtehude, Membra Jesu Nostri (Naxos)

1998
Bach, Magnificat (Arts)
Beethoven, Volkslieder (Arts)
Carissimi, Jonas, Dives majus & Beatus Vir (Arts)
Palestrina, Missa sine Nomine (Arts)
Purcell, Music for the Funeral of Queen Mary & Ode for St Cecilia’s Day (Arts)

1999
Bach, Messe in H-moll (Arts)
Bach, Johannes Passion (Arts)
Handel, Dixit Dominus & Dettingen Te Deum (Arts)

2000
Monteverdi, Vespri 1610 (Arts)
Pergolesi, Stabat Mater – version de Bach (Euroarts)

2001
Galuppi, Il Mondo alla Roversa (Chandos)
Gossec, Grande Messe des morts (Naxos)

2002
Bach, Weihnachtsoratorium (Arts)

2004
Handel, Messiah (Arts)
Piccini, Le Donne vendicate (Chandos)
St Saens, Messe de Requiem (Chandos)

2006
Gossec, Le Triomphe de la République (Chandos)

2007
Bach, Psalm 51 & Cantate BWV 170 (Arts)
Bach, Motetten BWV 225-230 (Arts)
Bach, Cantatas BWV 198, 106, 196 & 53 (Arts)
Bach, Cantatas BWV 205 & 110 (Arts)
Paisiello, Passione di Gesu Cristo (CPO)
Scarlatti A., Il Martirio di Santa Cecilia (CPO)

2008
Vivaldi, Juditha triumphans (RTSI)

2009
Cherubini, Requiem (Naxos)
Handel, Faramondo (Erato)
Irbarren & Torrens, Arde el furor intrepido – Musiques de la Cathédrale de Malaga au XVIIIème Siècle (OBS Prometeo)
Senfl, Missa Paschalis & Motetten (MGB)

2010
Handel, Mezzo-soprano – récital de Mac Emmanuel Cencic (Erato)
Vivaldi, Arie per tenore – récital de Topi Lehtipuu (Naïve)

2011
Mozart, Requiem & Thamos (RTSI)
Vivaldi, Farnace (Erato)

2012
Steffani, Mission – récital de Cecilia Bartoli (Decca)
Vinci, Artaserse (Erato)

2013
Pergolesi, Stabat Mater, Laudate Pueri & Confitebor (Erato)
Steffani, Danses et ouvertures (Decca)
Steffani, Stabat Mater (Decca)

2014
St Petersburg, récital de Cecilia Bartoli (Decca)

2015
Casini, Il Viaggio di Tobia (Dynamic)

A venir
Vivaldi, Dorilla in tempe (Naïve)

 

Interprétations uniquement diffusées à la radio

Banchieri, Il Zabaione musicale
Banchieri, La Pazzia Senile (1997)
Banchieri, La Barca di Venetia per Padova
Caldara, Pièces sacrées (Lugano 2012)
Handel, Alexander’s feast (Lugano 2005)
Handel, Giulio Cesare (Gênes 2007)
Handel, Israel in Egypt (Lugano 2009)
Handel, Zadok the priest (Ascona 2003)
Handel, Rinaldo (Lausanne 2011)
Handel, Rodelinda (Martina Franca 2010)
Paer, Agnese (Lugano 2008)
Pergolesi, La Serva padrona (Lugano 2012)
Pergolesi, Œuvres sacrées (Ascona 2013)
Purcell, The prophetess (Lugano 2005)
Sammartini, The Judgement of Paris (Ascona 2014)
Traetta, Armida (Martina Franca 2014)
Scarlatti A., Missa di St Cecilia (Ascona 2010)
Soliva, Elena e Malvina (2013)
Verdi, Requiem (Bellinzona 2013)
Vivaldi, Vespro per la festa del Redentore (2004)

 

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