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Dans la tête du critique : le syndrome de l’imposteur

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Enquête
30 juillet 2018
Dans la tête du critique : le syndrome de l’imposteur

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En 1999, Being John Malkovich, un film de Spike Jonze racontait l’histoire de Craig Schwartz, jeune homme au chômage projeté durant quinze minutes à l’intérieur de l’acteur John Malkovich. Science-fiction ou plus exactement comédie fantastique propre à stimuler l’imagination. Et si, en un troublant jeu de miroirs, l’on essayait de se mettre dans la peau du critique musical…

Choisissons-le à notre image, ni trop jeune, ni trop vieux. Pourquoi le vouloir ainsi entre deux âges ? Parce que l’enthousiasme nécessaire au métier pourrait faire défaut au sénior. Rien de plus ennuyeux qu’un grognard revenu de tout, assis sur d’immuables certitudes, évacuant d’une plume narcissique ses humeurs et ses frustrations. Mais l’inexpérience du junior serait tout aussi dommageable. Quelle légitimité accorder à un avis qui ne serait pas corroboré par une science acquise sur le terrain, à l’épreuve des théâtres, du disque sans oublier aujourd’hui la vidéo ? Jeune et critique, un oxymore ? Souvent.

La légitimité, parlons-en. Propulsé dans les méninges de notre critique, il est probable que le premier mot rencontré soit « doute ». Qui est-il pour juger, lui qu’aucune école, qu’aucun diplôme n’ont adoubé ? Il n’existe pas de formation pour apprendre le métier de critique ; il n’en existera sans doute jamais. L’histoire montre d’ailleurs que notre censeur est souvent meilleur écrivain que musicien. Autodidacte par la force des choses, il a gravi un par un les échelons jusqu’à conquérir dans la salle sa place au cœur du parterre. Selon sa position dans la rangée, il peut mesurer son degré d’influence. Déporté sur les côtés, il lui reste à faire ses preuves. Assis au centre, il est référence.

Pourtant, même installé en majesté, le syndrome de l’imposteur continue de le guetter. C’est que tout à l’heure, il lui faudra donner un avis et asséner des vérités sur un art qui en comporte peu. A l’heure du 2.0, pour ne pas se retrouver démasqué, cloué sans pitié au pilori des réseaux sociaux, il lui faudra surtout éviter l’erreur. Mal orthographier le nom d’un interprète ou se tromper de date passe encore mais – Horresco referens – écrire une ânerie dont se gausserait la Toile… Ce complexe d’imposture est la corde à laquelle se cramponner si l’on veut ne pas s’égarer dans le labyrinthe cervical du critique.

Doué d’une plume agile, il lui serait facile de de déserter la salle au premier tomber de rideau afin de pouvoir se coucher de bonne heure. La forme peut aisément suppléer le fond pour peu que l’on soit doué. Certains l’ont fait ; ils sont l’exception. Au contraire, taraudé par le doute, le critique fera le plus souvent preuve d’un professionnalisme maniaque. Avant la représentation, il engloutira tout ce que l’on peut lire, voir et écouter sur le sujet. Pendant, il prendra des notes fébriles que souvent il n’utilisera pas – au mépris de ses voisins importunés par le grattement du crayon sur le papier. Pourquoi ainsi crayonner dans le noir ? Pour se donner une contenance ? Non, pour se rassurer, pour être certain de ne rien oublier. Mais l’oubli n’est-il pas inséparable de l’exercice ? Si l’on omet d’en parler, c’est qu’il n’y a rien à en dire. A ce point de notre exploration, égaré quelque part entre télencéphale et mésencéphale, on ne saurait négliger la part de l’inconscient.

A l’entracte, muré dans un silence qu’il veut éloquent, il invite ceux qui viennent recueillir ses premières impressions à lire le lendemain son compte rendu de la soirée. Timidité ? Coquetterie ? Pas seulement. Des miettes de son opinion pourraient tomber dans l’oreille d’un confrère en quête d’inspiration. Méfiance excessive, sentiment de supériorité, fausseté de jugement : autant de symptômes d’une paranoïa souvent motivée, comme chacun sait, par un manque de confiance en soi. Pour les mêmes raisons, applaudir le rideau tombé serait donner une inestimable indication à la concurrence. Tandis que le public se répand en clameurs, son impassibilité feinte l’érige en sphinx au-dessus de la mêlée.

Devant l’écran, escrimeur au pied du mur, la crainte du critique n’est pas celle de la page blanche mais des coups qu’il lui faut parfois porter. Qui l’a dit aigri, méchant, sadique ? Le plus difficile pour lui n’est pas d’approuver mais de désapprouver. Ecrire ce que l’on pense ou ne pas l’écrire : telle est la question. Dans un cas, il y a les blessures que l’on peut causer, parfois irrémédiables – certains artistes éreintés par la critique ont préféré mettre fin à leur carrière – ; dans l’autre, sa propre crédibilité qui est en jeu. Passer sous silence une défaillance évidente pourrait être interprété comme une insuffisance et laisser penser le chroniqueur usurpateur. Une nouvelle fois, le syndrome de l’imposteur… C’est grave, docteur ?

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