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Cyrille Dubois « J’ai le sentiment que nous vivons l’agonie de la culture dans l’indifférence d’un silence absolu »

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Interview
17 février 2021
Cyrille Dubois « J’ai le sentiment que nous vivons l’agonie de la culture dans l’indifférence d’un silence absolu »

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Un an, ou presque, que la voix du ténor Cyrille Dubois s’est tue. Chez lui, l’artiste, broie du noir et peste contre l’immobilisme. Voici le récit d’un dialogue à bâtons rompus.

Posé, bienveillant, pas du tout goguenard, le jeune homme s’est progressivement mué en Passionaria des réseaux sociaux, prenant la parole dans de grandes publications enlevées. « J’ai le sentiment que nous vivons l’agonie de la culture dans l’indifférence d’un silence absolu ». C’est que depuis un an, Cyrille Dubois a vu son activité s’éteindre brutalement. De projet avorté en projet avorté, de concert à huis-clos en streaming gratuit, le ténor a le sentiment d’être mis sous cloche. Il a surtout peur d’appartenir à la dernière génération du classique. Voilà pourquoi il prend la parole, au nom de tous ceux qui ne survivront pas à cette crise.

Pourtant, il y a quelques jours, il décidait de prendre un peu de recul et annonçait à ses followers que son compte allait se soumettre à une petite cure réflexive. Depuis : quelques photos contemplatives, l’enregistrement d’un grand cycle de Lieder et puis la parole qui revient, inexorablement. C’est ce qu’il qualifie lui-même de « grande confrontation entre la résilience et la colère » dans laquelle sont plongés les artistes, victimes collatérales d’une « start up nation » qui semble mettre la culture à l’arrêt et la qualifie sans rougir de matière dispensable.

La fatigue aussi. Celle d’enchaîner les projets qui n’aboutissent pas (en un an, 46 annulations). Celle de monter des programmes de concerts dont on tire la prise à la dernière minute. Celle de ne pas comprendre le modèle économique du stream, qui semble susciter de l’intérêt mais ne garantit pas encore de sécurité pour la masse silencieuse des artistes. Celle de ne pas mesurer pleinement les conséquences de la dématérialisation des arts de la scène. Et pourtant, Cyrille Dubois sait qu’il appartient à la classe des privilégiés, sa notoriété lui laissant une chance de reprendre sa carrière là où la crise l’a stoppée net. 

Comme ses collègues, le ténor ne comprend pas que dans un pays limitrophe et pas si lointain – l’Espagne, pour ne pas le citer – les salles restent ouvertes. Que le virus ne semble pourtant pas y avoir prospéré plus nettement. Comment la France ne s’inspire-t-elle pas de cet exemple voisin et ne donne-t-elle pas à ses artistes des signaux plus rassurants ? « Des associations se sont approchées du pouvoir, pour obtenir des réponses, mais celles-ci n’arrivent pas, ou trop lentement ». Il craint qu’il faille « des suicides » pour que le monde politique prenne la pleine mesure d’une autre collatéralité du virus : celle de l’abandon socio-professionnel. 

« Oui, des millions ont été injectés par les pouvoirs publics en soutien au secteur », mais le secteur – ses acteurs, du moins – n’en ressentent pas réellement les effets. Et puis il y a cette peur de demain, cette angoisse – toujours – de l’extinction d’un métier. « Certains jeunes renoncent déjà et changent de métier ». Cyrille Dubois entend « secouer le cocotier », simplement pour pouvoir créer la contradiction et susciter le débat.

À l’heure où, dans certaines maisons d’opéra, les attentions envers les mécènes semblent prendre le pas sur l’ouverture aux publics, le sentiment d’un genre prétendûment élitaire serait en train de se renforcer. Abandonner sa base pour gâter d’incertains sauveurs fait-il vraiment sens ? Ce sont pourtant les millions de la collectivité et l’enthousiasme du public fidèle qui permettent à l’art lyrique de survivre. 

Car la crise sociale n’est pas moins dévastatrice – et la crise identitaire n’est pas moins redoutable – que la crise sanitaire : « il faut prendre en compte toutes les blessures », martèle-t-il. « Il n’existe pas d’échelle de valeur de la souffrance ». La crise n’est pas neuve. Le monde vit en colocation avec le virus depuis près d’un an, or « depuis un an, l’urgence n’existe plus et il faudrait avoir trouvé des solutions ». Ne serait-il pas temps, dès lors, de rendre aux artistes l’exercice normal de leur métier et de rendre au public, en responsabilité, le droit inaliénable de l’accès à la culture ?

 

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