Œuvre de la jeunesse de Verdi, créée à Venise en mars 1844, Ernani n’a jamais connu le succès planétaire de son prédécesseur Nabucco (mars 1842). Malgré tout, l’opéra est régulièrement donné, et sa programmation prochaine au Capitole de Toulouse est l’occasion de le faire entrer dans le panthéon de L’Avant-Scène Opéra. Cinq clefs pour le cinquième opéra de Verdi.
1. Verdi et le théâtre
Si Le Roi s’amuse a bien sûr inspiré Rigoletto, ce n’est pourtant pas la seule fois où Verdi s’est confronté à Victor Hugo. Et s’attaquer à Hernani (qui perd son H dans la version italienne), c’était jeter son dévolu sur une œuvre emblématique, qui avait déclenché en 1830 à la Comédie-Française une célèbre bataille, acte de naissance du romantisme français. Certes, Hernani avait déjà inspiré plusieurs compositeurs d’opéra (Vincenzo Gabussi en 1834, Alberto Mazzucato en 1843). Certes, la scène lyrique devait déjà beaucoup à Hugo, et pas seulement pour des œuvres de seconde zone : Donizetti avait livré Lucrezia Borgia en 1833, et Mercadante avait en 1837 tiré Il giuramento d’Angelo, tyran de Padoue. Hugo lui-même avait en 1836 tiré un livret de Notre-Dame de Paris pour La Esmeralda de Louise Bertin. Quand au Cromwell que Verdi refusa de mettre en musique, il n’était pas tiré de la pièce de Victor Hugo, mais d’un roman pastichant Walter Scott ; le compositeur rejeta le texte soumis par le librettiste, un certain Piave.
2. Verdi et les livrets
Pour la première fois, le jeune compositeur collabore avec un librettiste dont il ne peut pas encore savoir qu’il l’accompagnera pendant près de vingt ans. Recommandé par le directeur de La Fencie, Francesco Maria Piave (1810-1876) arrive avec son Cromvello, mais Verdi lui impose Ernani. Le compositeur va alors apprendre son métier à l’écrivain novice, qui lui offrira I due Foscari, Macbeth, Il corsaro, Stiffelio, Rigoletto, La traviata, Simon Boccanegra, Aroldo et La forza del destino. Verdi choisit les sujets, établit un découpage du livret et va parfois jusqu’à le rédiger en prose, Piave n’ayant plus alors qu’à le versifier ! Seules les situations, les occasions de pathétique, comptaient pour le compositeur. Tous s’accordent pour juger médiocres les vers de Piave, mélangeant préciosité et prosaïsme. Honnête tâcheron, Piave n’est en rien comparable à Arrigo Boito, mais il sut s’effacer devant Verdi, ce dont il faut lui être reconnaissant.
3. Verdi et la censure
A de nombreuses reprises, Verdi se heurta au pouvoir de la censure, qui l’obligea notamment à déplacer Un bal masqué de la Suède vers l’Amérique. Pour Ernani, Venise étant encore soumise à l’autorité des Habsbourg, Verdi dut passer par les fourches caudines de la censure autrichienne. Pour la saison du carnaval et du carême 1844, le compositeur préfère s’abstenir de proposer un opéra sur Rienzi, sujet trop brûlant ; ses deux autres projets, consacrés à Catherine Howard, cinquième épouse d’Henry VIII, ou au doge Foscari, sont jugés irrecevables. Piave suggère alors un Cromwell, on l’a vu. Le comte Alvise Mocenigo, président des spectacles de La Fenice, en contact régulier avec les officiers de la censure, estime ce livret peu convaincant et propose à Verdi de s’attaquer à La Tour de Nesle, de Dumas, ou à Hernani de Hugo. Commencent alors les transformations pour rendre le drame hugolien acceptable : modifications de détail (Doña Sol est rebaptisée Elvira, l’opéra s’appelle dans un premier temps Ruy Gomez de Silva, du nom de l’oncle de l’héroïne), mais surtout remaniement en profondeur des personnages pour les rendre moins immoraux, en particulier celui de Carlos, alias Charles Quint.
4. Verdi et le roi d’Espagne
Pour Rigoletto, Verdi devra renoncer à François Ier au profit d’un moins offensant « duc de Mantoue », la censure n’admettant pas qu’on dépeigne ainsi les souverains, même ceux des siècles passés. Ernani maintient pourtant en scène la présence d’un roi, ou du moins d’un futur monarque : en 1519, année où se situe l’intrigue, Charles règne depuis deux ans sur l’Espagne mais n’a pas encore été pris la tête du Saint Empire romain germanique. Hugo avait déjà pris bien des libertés avec l’histoire, Piave prendra à son tour des libertés avec la pièce. Carlo cesse d’être un individu méprisable et il devient animé d’un amour sincère pour Elvira. Il ne se cache plus dans une armoire comme l’amant surpris dans une caleçonnade de boulevard. Le livret met au contraire en avant le courage et la clémence du souverain, auquel les autres personnages s’adressent avec les formules respectueuses d’usage.
5. Verdi et les ténors
Même si le roi est interprété par un baryton, tessiture chère à Verdi, et même si l’air le plus célèbre de cet opéra reste « Ernani, involami », chanté à la création par la soprano allemande Sophie Loewe, Ernani reste avant tout un opéra de ténor, même si La Fenice aurait d’abord voulu une contralto dans le rôle-titre, et même si Carlo Guasco, qui chantait le rôle-titre, était enroué et sans voix le soir de la première. Assez rarement donnée en France, l’œuvre doit sans doute d’être programmée aux divos qui veulent se mesurer à un personnage mythique. Mario Del Monaco, Carlo Bergonzi, Franco Corelli l’interprétèrent et laissèrent un ou plusieurs témoignages discographiques ; plus près de nous, la vidéo a immortalisé Placido Domingo et Luciano Pavarotti dans le role-titre. Récemment, Francesco Meli fut Ernani à Rome, à New York et à Salzbourg. A Toulouse en mars, ce sera Alfred Kim, Calaf au Capitole en juin 2015.