Avant-Scène Opéra en main, cinq pistes à explorer avant les prochaines représentations d’Armide à l’Opéra Comique du 5 au 15 novembre 2022 (plus d’informations).
1. Une entreprise unique, ou presque
Pour Armide, créée à Paris le 23 avril 1777, Gluck utilisa à quelques mots de récitatif près le livret de Quinault déjà mis en musique par Lully près d’un siècle auparavant – le prologue en moins. Metastase excepté (dont les drames en vers, recyclés ad nauseam, engendrèrent une myriade d’opéras composés par des musiciens différents), l’entreprise est unique, ou presque car la fin des années 1770 – nous apprend Julien Garde dans L’Avant-Scène Opéra – voit le retour en vogue des tragédies de Quinault reprises à leur compte par les compositeurs de l’époque : Amadis de Gaule par J.C. Bach en 1779, Atys par Piccini en 1780, Persée par Philidor en 1780, Thésée par Gossec en 1782. A cette liste, Piotr Kaminski dans ses Mille et un opéras ajoute un Thésée de Mondonville que Clément et Larousse dans leur Dictionnaire des Opéras, daté de 1881, considèrent comme « une idée qui ne pouvait éclore que dans un cerveau gonflé par la vanité », tout en se montrant beaucoup plus indulgent pour Gluck. Armide, dans le même ouvrage est qualifiée de « chef d’œuvre ».
2. Un objet de querelle
Toujours dans le Dictionnaire des Opéras, Clément et Larousse s’attardent sur la querelle ravivée par Armide : « Parce que Gluck plaçait la vérité de la déclamation au-dessus de ces mélodies ou ces airs de danse qui ne s’appliquent qu’à charmer l’oreille et qui forment l’essence de la musique italienne, on lui reprocha de vouloir bannir le chant de la musique […] On fit venir d’Italie à Paris Piccinni, qui devait apprendre aux Français ce que c’était que du chant, et la guerre commença, guerre inconcevable qui n’eut jamais sa pareille et qui, lorsqu’on en suit les péripéties dans les mémoires et les gazettes du temps, fait croire que notre pays était devenu fou ». Remake de la querelle des Bouffons qui, un quart de siècle auparavant, opposait les défenseurs de la musique lyrique française, telle qu’établie par Lully et renouvelée par Rameau, aux adeptes de l’opéra bouffe italien ? A quelques différences près, observe Raphaelle Legrand dans L’Avant-Scène Opéra, la première d’entre elles reposant sur une mise en perspective de l’histoire de l’art lyrique en France au-delà de la querelle des goûts à laquelle le triomphe d’Iphigénie en Tauride, l’avant-dernier opéra de Gluck, deux années plus tard, mit un terme définitif.
3. Une épreuve pour tragédienne
Qu’Armide soit un rôle dévolu à une tragédienne tombe sous le sens, s’agissant d’une héroïne de tragédie, qui plus est lyrique. Le refus du chant italien impose un sens de la déclamation et une puissance d’expression qui sont souvent l’apanage des voix de soprano dramatique – wagnérienne, pourquoi pas, à condition d’une maîtrise parfaite de la langue française. Tel était le cas de Lucienne Bréval dont le nom reste d’abord attaché aux traductions de Wagner à l’Opéra de Paris : Brünnhilde dans La Walkyrie, Eva des Maîtres Chanteurs – raconte Pierre Girod dans L’Avant-Scène Opéra. Son interprétation d’Armide ne faisait pourtant pas l’unanimité. Certains affirmaient la tradition du chant gluckiste au début du XXe siècle dévoyée par le bel canto italien (lui-même en perdition soit dit en passant). Pourtant nombreux sont les témoignages admiratifs. « Votre voix si chaude, si dramatique, et si pleine d’envolée chante encore dans mon cœur », lui écrivait Sarah Bernhard, elle-même grande tragédienne devant l’Eternel. Ou encore, cette fois signé du critique théâtral Georges Pioch : « Elle imprime à sa mimique, à son chant, ce caractère de » délire sacré » que la renommée impute justement aux poètes et, aussi, la dignité d’une conscience attentive à élucider, selon l’esprit, les dons confus de la nature ». C’est ce feu sacré que les interprètes d’Armide, telles des vestales, doivent se transmettre génération après génération.
4. Une popularité à conquérir sur scène et au disque
Bien que hissée au rang de chef d’œuvre (par Clément et Larousse, mais pas seulement), Armide ne jouit pas de la même popularité que d’autres opéras de Gluck : Orphée bien sûr mais aussi Alceste ou même Iphigénie en Tauride. Le calendrier des représentations établi par Jules Cavallié dans L’Avant-Scène Opéra l’atteste. Quatre apparitions à l’affiche seulement au XXIe siècle : Berlin (2009), Amsterdam (2013), Vienne (2016) et Bordeaux (2016) – cette dernière en version de concert. Sur les sept intégrales recensées par Olivier Rouvière, seules deux semblent aujourd’hui aisément disponibles : Hickox (EMI) et Minkowski (Archiv). L’absence de chant, reprochée à l’époque par les partisans de Piccinni, serait-elle la raison de cet intérêt moindre ? Sans l’affirmer, reconnaissons qu’il manque à Armide pour doper sa renommée une page aussi célèbre que « Divinités du Styx » ou « Ô malheureuse Iphigénie », même si quelques airs ont été enregistrés séparément. Olivier Rouvière cite Véronique Gens (Tragédiennes, Erato), Gaëlle Arquez (Ardente flamme, DG), Rockwell Blake (Airs d’opéra français, EMI) auxquels on peut ajouter Patricia Petibon (Amoureuse, DG), Janet Baker (Gluck Opera Arias, Philips), Daniel Behle (Gluck Opera Arias, Decca), Karina Gauvin (Nuits Blanches, Atma) pour le moins – cette liste n’est pas exhaustive.
5. Un sujet inépuisable d’inspiration
Outre Lully, nombreux sont les compositeurs à avoir été inspirés par l’histoire d’Armide, racontée par Le Tasse dans La Jérusalem délivrée. Citons avant Gluck au XVIIIe siècle, Haendel par deux fois, Rinaldo et la cantate Armida abbandonata ; Vivaldi dont l’Armida al campo d’Egitto s’attarde sur un épisode de l’histoire d’Armide postérieur à sa relation avec Renaud ainsi que Jommelli, Armida abbandonata. Le succès de la tragédie lyrique de Gluck ne découragea pas ses contemporains et successeurs. Dès 1783, Sacchini compose une tragédie lyrique appelée Renaud et Haydn, Rossini ainsi que Dvořák comptent à leur catalogue un opéra appelé Armida. Tous sous le charme, fascinés par la psyché complexe et le pouvoir érotique de la magicienne qui se range ainsi parmi les grandes séductrices de l’art lyrique.