Lorsqu’un chanteur enregistre un récital, il arrive que même les meilleurs labels fassent appel au Grand orchestre philharmonique de Syldavie dirigé par Imre Štrøbińşk. Le résultat est alors pour le moins mitigé, une voix superbe ayant pour écrin un orphéon municipal de quatrième zone.
Rien de tel ici, puisque Xavier Sabata a choisi, pour son troisième disque de s’assurer le soutien de l’ensemble Armonia Atenea dirigé par George Petrou. Les mérites du chef grec et de sa formation attitrée sont désormais bien connus : Max Emanuel Cenčić ne s’y est pas trompé, qui a enregistré avec eux ses récentes intégrales, Siroe de Hasse ou Arminio de Haendel. Protagoniste de cet Arminio, le contreténor catalan a dû estimer que son homologue croate avait le nez creux, ce qui nous vaut un sommet de la discographie, en ce qui concerne l’une des plages qui se place très haut au-dessus des autres.
Entendons-nous bien : Catharsis a plusieurs atouts, qu’il serait injuste de passer sous silence. La voix de Xavier Sabata, bien sûr, qui sait, malgré sa douceur de timbre, se montrer aussi expressive dans la rage que dans la désolation. Le programme mérite aussi qu’on s’y arrête, car à côté de noms illustres, il inclut aussi des compositeurs beaucoup moins fréquentés, comme Orlandini, avec deux airs d’Adelaide (1729). Il propose deux extraits de mises en musique de Griselda, par Torri (1723) et Conti (1725), sur un livret d’Apostolo Zeno dont Vivaldi s’emparerait en 1735. Il attire l’attention sur une intéressante Conversione di Sant’Agostino de Hasse, œuvre enregistrée en 1993 par Marcus Creed, mais restée assez rare malgré le regain d’intérêt par Hasse. Quant au lien avec la tragédie grecque selon Aristote, on laissera aux hellénistes distingués le soin d’en disserter : à en croire Holger Schmitt-Hallenberg, auteur du texte de présentation, chacun des airs présentés correspondrait à un moment de catharsis.
Mais tout cela serait presque peu de chose si ne brillait au milieu de ce disque une pépite absolue. Avait-on jamais encore entendu interpréter de façon aussi impressionnante « Gelido in ogni vena », texte issu du Siroe de Métastase et réutilisé par Vivaldi dans plusieurs de ses opéras ? Certainement pas. Bien sûr, Xavier Sabata y chante fort bien, et il utilise sa voix naturelle pour les notes les plus graves, très habilement amenées. Mais ce qui terrasse l’auditeur, c’est ici l’orchestre, plus âpre et plus incisif que dans les versions les plus expressionnistes de « L’Hiver » des Quatre Saisons. Tout y est, le froid qui s’insinue lentement dans les veines, les glaçons pointus qui percent la chair, avec de quasi-clusters préfigurant Les Eléments de Jean-Féry Rebel… Ainsi restitué, cet air seul suffirait à garantir à Vivaldi sa place au panthéon des grands compositeurs lyriques. Quelle audace, quelle inventivité dans la façon de diriger, dans le reste du programme aussi ! Avec George Petrou, plus aucune résurrection ne paraît impossible, et l’on se prend à rêver à tout ce que ce chef pourrait nous offrir dans les années à venir.