Cette production viennoise est ancienne (2014) et sa reprise en 2019 en permit une distribution renouvelée, en dehors d’Arbace et du Grand-prêtre. Rares sont les enregistrements qui ne suppriment un numéro ou ne réduisent les récitatifs. Idomeneo, parfois réorchestré (Richard Strauss), souvent démembré, connaît ici une version singulière. En effet, l’acte II s’ouvre sur les deux premières scènes du III, avant de retrouver son cours normal, parti pris du metteur en scène. Quant au troisième, c’est sur le quatuor (n°21) qu’il commence. Ni Münich, ni Vienne, une étonnante interpolation, où on découvre l’air d’Idamante – confié à une mezzo – « Non temer », avec violon solo, écrit pour Vienne, mais où le duo Ilia – Idamante de la version de Münich est conservé. Les reprises de la marche (n°8) sont oubliées. On cherche à comprendre.
La mise en scène de Kasper Holten déconcerte : l’obscurité domine, au sol une carte de la Crète, quelques figurines qu’abat Idomeneo durant l’ouverture, après avoir étreint un enfant, nous retrouverons les premières. Des cintres, suspendues à un harnais, Ilia et d’autres personnages, qui descendront pour son premier air. Les costumes sont de belle facture et séduisent, rappelant la fin du XVIIIe siècle. Le basculement du panneau du fond, un miroir, autoriseront de splendides éclairages, qui seront bienvenus tout au long des trois actes. La notice indique que la mise en scène voit Idomeneo comme un guerrier traumatisé par les massacres de la guerre de Troie, ce que traduira sa balafre. Kasper Holten a modifié la relation amoureuse entre Ilia et Idamante, comme le combat de ce dernier avec le monstre marin, dont on vous taira la transposition. L’action n’en est pour autant ni plus vraisemblable, ni plus émouvante ou enrichie. Le recours à la machinerie lors de sa création devait suppléer cette relative inertie. La direction d’acteur nécessite donc un soin tout particulier. Ici, qu’il s’agisse des longs récitatifs, des arias, des ensembles ou des chœurs, on reste souvent sur notre faim. Le chœur – essentiel – n’est jamais mieux traité à la scène par le compositeur (ainsi le double chœur, invisible, avec écho « Pietà, numi pietà »). Ici, pour ses neuf interventions, vocalement irréprochables, il apparaît trop souvent figé, statique, sagement aligné ; un moment avec partition (manuscrite, graphie du XVIIIe !) en mains, c’est ridicule. Oublions aussi la scène finale, d’un goût douteux ; on est partagé entre le rire et la révolte. Sous le rocher suspendu à un filin, la disparition d’Idomeneo en fosse est inénarrable, après celle d’Elettra.
Jamais Mozart n’aura tant manifesté de violence expressive. La grandeur est à la fois sublime et terrifiante dans ses accents. On attendait donc une direction et un orchestre réactifs, qui ménagent la tension comme les moments lyriques. Las, la direction de Tomáš Netopil, est plus routinière qu’imaginative, sans mystère ni souffle. Son principal mérite réside dans la fluidité des enchaînements. La dimension proprement dramatique n’est pas suffisamment prise en compte, il y manque quelque peu la respiration, la vigueur et l’émotion. Les tempi, rapides, ici avec quelques décalages, n’ont jamais été le gage de la dynamique. La vie extraordinaire des grands récitatifs accompagnés est dépourvue du relief attendu.
La distribution est pour le moins honorable. Bernard Richter fait vivre Idomeneo avec bonheur. Mozartien affirmé – on se souvient de son Titus – il a l’autorité, la maturité, le timbre, le cantabile et le souffle. Récitatifs comme arias sont des modèles de chant. Son « Fuor del mar » est remarquablement conduit, avec une vocalisation exemplaire. Dans un autre registre, le « Popoli, a voi l’ultima legge impone » s’avère magistral. Charles Sigel l’avait interviewé pour Forumopéra : (Bernard Richter : la profondeur et la clarté). Valentina Naforniţa, elle aussi mozartienne, nous vaut une Ilia frémissante, à l’émission lumineuse, avec un medium et des graves charnus. Son air « Zeffiretti, lusinghieri » (transporté du début du III à celui du II) est un régal. Une belle leçon de style. L’Idamante de Rachel Frenkel n’est pas moins remarquable. Le timbre est séduisant, distingué, l’émission propre à exprimer la douleur contenue comme la tendresse. Son air « Tutto m’è noto » avec violon obligé, est un beau moment. On sera plus réservé sur l’Elettra que chante Irina Lungu. C’est une verdienne… et ça se sent. La voix s’affirme dense, puissante, agile comme on l’attend, mais le style en est douteux, avec un vibrato parfois hors de propos. Cependant, son « D’Oreste, d’Aiaice », fort, émeut. Arbace, le parent pauvre du livret et de la partition, est confié à Pavel Kolgatin. Même si ses airs peuvent paraître superflus, il s’acquitte honorablement de sa responsabilité. L’autorité du Grand-prêtre (Carlos Osuna) est sans faille, tout comme la Voix de l’oracle (Peter Kellner), qui apparaît ici en scène. Les petits rôles (les deux Troyens, les deux Crétois, les deux femmes crétoises) sont de qualité. Les ensembles, particulièrement le quatuor en mi bémol « Andro ramingo e solo », mais aussi le trio sont équilibrés.
Les vidéos de l’opera-seria ne manquent pas. Cette nouvelle édition vaut pour certaines de ses voix, pour ses costumes et pour ses lumières. Pour le reste on trouvera mieux ailleurs.