Rien n’est plus émouvant que de découvrir, à près de cinquante années de distance, l’interprétation d’une œuvre majeure par un chef qu’on adore ! Saluons donc l’initiative d’Orfeo qui nous restitue ici, dans sa série consacrée aux archives du Wiener Staatsoper, un Lohengrin étonnant de fraîcheur et de lyrisme. Si la version de référence de ces années-là était plutôt jusqu’ici celle de Rudolf Kempe, bénéficiant lui aussi d’une distribution remarquable – et d’ailleurs en plusieurs points commune avec celle qui nous occupe ici – il faut saluer chez Kark Böhm le caractère passionné et romantique, allié à une grande rigueur (tout un paradoxe…) et un puissant caractère poétique. C’est à Wieland Wagner, un an avant son décès prématuré, que le Staatsoper de Vienne avait demandé la mise en scène de ce spectacle, dont les critiques de l’époque soulignèrent le caractère sobre et dépouillé.
Dès l’ouverture, alliant poésie et majesté, l’ampleur du propose est donnée : à travers une véritable narration musicale (parallèle à celle déroulée par les chanteurs) Böhm va développer un récit sans faille, avec une puissance de concentration qui force l’admiration, mais sans jamais tomber ni dans l’emphase ni la grandiloquence, comme s’il ignorait tout ce que Wagner pourrait bien écrire par la suite. L’efficacité dramatique qui en ressort est maximale, en particulier au second acte, mettant en lumière toutes les qualités, notamment narratives, de la partition et son caractère une peu moins germanique (plus latin ?) qu’à l’ordinaire. Cette relative sobriété conduit à d’avantage d’émotion et à un rapprochement avec le texte du meilleur effet.
La distribution réunit quelques uns des plus grands chanteurs de l’époque. Christa Ludwig en Ortrud (cette grande dame du chant a fêté cette année ses 85 printemps) donne une magistrale leçon de chant wagnérien, endossant avec une parfaite crédibilité toute la noirceur du personnage. Vocalement légèrement en deçà, l’Elsa de Claire Watson bénéficie d’une diction parfaite et joue avec subtilité la vulnérabilité et la naïveté dans lesquelles la jeune fille puise sa force et sa détermination. La voix est claire, un peu acide (serait-ce la prise de son ?) mais très homogène. Du côté masculin, Martti Talvella incarne un roi puissant et noble avec beaucoup de grandeur dans la voix et s’impose sans effort. Le Lohengrin de Jeff Thomas est brillant, sans faille, avec ici aussi une intelligente construction dramatique, faisant progresser son personnage au fur et à mesure que le mystère se dévoile. C’est Walter Berry, autre très grand nom de ces glorieuses années, qui incarne Telramund : sa vision du rôle est moins sombre qu’à l’habitude tant la voix est ronde et chaude, presque trop belle pour un caractère si peu sympathique. Un peu en retrait, Eberhard Waechter assume le rôle plus modeste du héraut du roi. Les chœurs étonnamment présents et bien enregistrés font preuve d’une belle souplesse, tout comme l’orchestre en parfaite symbiose avec les intentions du chef. Tous vibrent ensemble et contribuent avec beaucoup d’intensité a construire le drame dans la durée, sans aucun moment de faiblesse.
Bien sûr, l’enregistrement souffre un peu du poids des ans : la prise de son mono, très globale, et les aléas du direct sans possibilité de retouche ni montage, sont largement compensés par la sensation bien palpable d’un événement saisit sur le vif, dont on suit le déroulement avec passion.