« Les violoncelles unis au nombre de huit ou dix, sont essentiellement chanteurs » affirme Hector Berlioz dans son Traité d’instrumentation. Il ne fallait donc pas moins que huit violoncellistes du Sinfonieorchester Basel pour accompagner la soprano Nuria Rial dans son nouvel album. Rompue à la musique baroque, la chanteuse catalane explore ici les répertoires espagnol et sud-américain : Vivancos, Piazzolla et Villa-Lobos.
Avec un tel titre et tant de voix réunies, le lyricomane peut attendre beaucoup : de la couleur, de la ligne, du timbre… Qu’il se rassure, les promesses sont tenues.
Vocalise ne s’ouvre pas sur une pièce vocale, mais sur l’été des Quatre Saisons de Buenos-Aires d’Astor Piazzolla, œuvre instrumentale en hommage à Vivaldi dont les extraits viennent ponctuer l’album. Pourtant, le chant est déjà là : le son est dense, vibrant, tantôt mélodieux, tantôt percussif. Le formidable arrangement pour huit violoncelles de James Barralet révèle tout le potentiel expressif de l’instrument. Du pizzicato incisif au grand coup d’archet, les musiciens peignent une saison avec sa vie et ses contrastes, et on admire déjà la beauté des solos et la richesse de l’ensemble.
A l’été de Piazzolla fait suite la célèbre Bachianas Brasileiras n°5 d’Heitor Villa-Lobos, interprétée ici dans son intégralité. Nuria Rial y chante les vocalises avec la même ferveur que les textes. Que la voix se déploie sur une seule voyelle ou qu’elle prononce des mots, elle se pare d’une infinité de couleurs. L’émission est franche, la diction claire, et l’homogénéité du timbre est soulignée par un violoncelle solo idéal. La vocalise n’est pas ici le domaine de la virtuosité mais de la voix pure, ramenée à sa forme élémentaire.
C’est ce à quoi le très beau « Chant des oiseaux » (« El Cant dels Ocells »), mélodie populaire catalane, nous permet encore de goûter. Le début a cappella permet à la soprano de livrer un chant intime, profond (d’autant plus signifiant lorsque l’on sait que cette mélodie servait d’hymne aux réfugiés de l’Espagne de Franco), et de déployer une voix particulièrement riche dans le médium. Ici encore l’émotion est présente, pure, sans affectation ni ornement superflu.
La présence d’une œuvre contemporaine au sein de ce programme fait particulièrement sens. Vocal Ice de Bernat Vivancos (né à Barcelone en 1973) apparaît comme le fruit de ce double héritage de la chanson populaire catalane et des grands maîtres Piazzolla et Villa-Lobos. Le livret accompagnant l’album (très bien documenté et intéressant ; on déplore qu’il ne soit qu’en anglais et en allemand !) permet au compositeur de confier quelques clés de compréhension. Vivancos s’y réfère à la Pietà et à la berceuse, à la plainte et à la consolation. C’est précisément ce qui se joue dans cette pièce d’un grand dépouillement. La mélodie tourne essentiellement autour de l’intervalle de seconde, qui se répète sans cesse. Répétition rassurante, qui berce l’oreille ; mais plaintive et lancinante aussi, comme une douleur toujours ravivée. De la glace, certes, mais que Nuria Rial habille d’une voix toujours homogène et pleine de contrastes.
Voilà un article dithyrambique. Mais face à un programme cohérent et intéressant, une belle maîtrise technique et une riche palette expressive, même un critique exigeant peine à formuler des réserves. Alors rápido, retournons profiter de ces neuf voix virtuoses et de l’été de Buenos-Aires !
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