La fulgurante Cavalleria rusticana lancée comme un bombe dans l’opéra italien languissant, apporta une notoriété sans pareille au Maestro Mascagni, dont le portrait apparut sur les cigares, le chocolat, une coiffure à la mode fut même dénommée « alla mascagna » !… Une notoriété d’autant plus brillante qu’elle rejeta plus ou moins dans l’ombre les autres opéras du Maestro, faisant malheureusement de Pietro Mascagni, le compositeur d’une seule œuvre, tendance dont souffrit également Ruggero Leoncavallo. L’amateur qui pense cela, ignore la délicatesse tendrement espiègle de L’Amico Fritz et la touchante poésie rêveuse de Zanetto, le romantisme noir de Guglielmo Ratcliff, ou contemplatif de Silvano, le curieux aspect “impressionniste” de Iris, et ce que l’on a nommé le “symbolisme” de Parisina…
Le sujet passionna Mascagni, au point de céder à la sujétion face à un librettiste aussi Homme de Lettres, aussi estimé que Gabriele D’Annunzio. On a dit, Giacomo Puccini en tête, que Mascagni aurait dû s’imposer face à l’intransigeant écrivain qui acceptait mal les coupes, et l’on aboutit ainsi à un opéra dont l’exécution intégrale dépassa, le soir de la prima assoluta, deux heures du matin ! A défaut de couper du texte, Mascagni amputa de la musique et supprima complètement le quatrième acte…
Il fallut attendre un mascagnien convaincu, qui de plus connaissait personnellement le compositeur, le Maestro Gavazzeni, pour reproposer cet acte final délaissé, en 1952 à Livourne, la ville de Mascagni, et en 1978 à Rome (le “fief” de Mascagni !) dans l’exécution ici concernée, puis en 1995, pour le cinquantième anniversaire de la disparition de Pietro Mascagni, en concert-tournée avec son épouse Denia Mazzola.
On en arrive, selon ce que l’on « réouvre » comme coupures, pour traduire l’expression italienne, à cette chose curieuse : l’exécution romaine de 1978, avec le quatrième acte, dure moins que celle de Montpellier (1999) qui ne le comportait pas ! (1)
Jusqu’à cette dernière reprise, on ne possédait — fallait-il encore le trouver — que de l’enregistrement d’extraits dirigés par Pietro Mascagni lui-même, en 1914 (!) et de l’exécution en concert que la RAI effectua en 1976. Aucune firme « privée » n’avait publié, sauf erreur, d’écho des reprises dirigées par Pietro Mascagni à l’E.I.A.R. (ancien nom de la R.A.I.) de Turin en 1938, ou par le Maestro Gavazzeni à Livourne en 1952 et à Rome en 1978. Ce fut donc une heureuse surprise de voir la Casa Bongiovanni s’assurer les droits de publication du présent enregistrement.
Chef d’orchestre estimé, Pietro Mascagni dirigea lui-même la “prima assoluta” de Parisina, auréolée d’artistes prestigieux, parmi les interprètes (Hipólito Lázaro, Carlo Galeffi, Ernestina Poli Randaccio…) comme dans le public, où brillaient les présences de Giacomo Puccini, Umberto Giordano, Arrigo Boito…
Il ne faut pas chercher de mélodies particulières dans Parisina, l’œuvre n’étant que mélodie, tenant compte des nouvelles sonorités ouvertes au XXe siècle (et pas seulement au “cling-clang” de l’inévitable xylophone !), mais jamais vraiment dissonantes.
Parisina Malatesta est interprétée par Atarah Hazzan, possédant un riche médium et une belle capacité à chanter piano, avec parfois certaines inflexions à la douceur élégante d’une Renata Tebaldi (ô superbe piano du duo où naît l’amour !). Cela rachète un grave un peu étouffé, un aigu se rétrécissant, et une certaine aigreur de timbre, qui pourtant dans des moments privilégiés rappelle le vibrato sublime, si particulier et expressif, de Magda Olivero…
Le ténor Giuseppe Vendittelli prête sa voix pleine, puissante chaleureuse mais caressante, au fringant Ugo d’Este, partie non facile car souvent d’une tessiture tendue… mais heureusement, le lyrisme ne le cède jamais à l’insolence fruste.
Interprétant l’un des deux rôles de mezzo-soprano, Stella Silva prête sa voix pulpeuse à « La Verde », sorte de folle-voyante un peu comme l’étrange Margherita de Guglielmo Ratcliff, ayant perdu l’esprit mais non la clairvoyance. Katia Angeloni, en tant que Stella dei Tolomei, mère du jeune Ugo, possède un timbre plus “étroit” et aigu, non pour autant dépourvu de graves ni de noirceur. Cela convient fort à son rôle d’épouse jalouse tentant d’induire son fils à empoisonner la belle Parisina, devenue sa rivale dans le cœur du duc D’Este qui n’a pas hésité à la bannir.
Dans le rude Nicolò D’Este, duc de Ferrare, on retrouve avec une certaine émotion Aldo Protti, infatigable partenaire des Tebaldi-Del Monaco au milieu des barytons les plus prestigieux des années 50-60. Son timbre sait toujours allier souplesse et chaleur, relevé de ce mordant particulier avec lequel il caractérise tous ses personnages. Complétant efficacement la distribution, le noir et solide Ferruccio Furlanetto remplissait le rôle un peu en retrait de Aldobrandino dei Rangoni.
On se régale de la perfection du “Coro del Teatro dell’Opera di Roma”, excellant notamment dans les passages hors scène, résonnant comme d’étranges et radieux ou poétiques rappels du lointain Moyen Age dans lequel est située l’action.
Evidemment ciseleur de tout détail, l’aristocratique Maestro Gavazzeni révèle son amour de la partition, l’un de ses opéras préférés dans l’absolu. (2) Il fait épouser par l’orchestre tous les personnages, et épanouit la poésie de Mascagni dans cette belle partition constituant un joli pendant à l’autre Parisina, de quatre-vingts années plus jeune, baignée du Romantisme radieux de 1833, et que son compositeur — Gaetano Donizetti !— préférait parmi les soixante-dix opéras de son inspiration infinie.
Yonel Buldrini
(1) Ne pouvant développer ici la passionnante question des versions, nous invitons vivement le lecteur intéressé à se reporter aux deux meilleurs sites dédiés à Pietro Mascagni. Celui, passionnément approfondi, d’un grand mascagnien suisse Erik Bruchez : http://www.mascagni.org/ et celui, fort attachant et affectueusement consacré à leur illustre grand-père par les petits-enfants du maestro : HYPERLINK http://www.pietromascagni.com/component/option,com_frontpage/Itemid,1/lang,it
(2) Précieux témoignage rapporté par son épouse, la cantatrice Denia Mazzola, dans : « La testimone esiliata – Intervista a Denia Mazzola », interview réalisée par Stephen Hastings et parue dans la revue Musica, avril 2001. http://www.deniamazzola.com/ita/news.htm