Verdi était-il un joyeux drille ? C’est en tout cas ainsi qu’Eusebio Trabucchi le présente, en introduction à une sélection de lettres du compositeur publiée en Italie en 2013 aux éditions L’ORMA et parue en français il y a peu. A une époque où le papier doit lutter pour résister au tout numérique, les éditeurs firent œuvre de créateurs en imaginant un livre rectangulaire aux dimensions d’une lettre. En repliant la jaquette de couverture pour en faire une enveloppe, chaque volume – de 60 à 120 pages – se transforme en un objet postal. Le succès fut immédiat. Aussi L’ORMA décide de l’exploiter à Paris où la maison romaine ouvre une succursale en 2020, en publiant la collection Les Plis à laquelle ce Verdi appartient.
Vingt et une lettres donc, réparties en deux volets, intitulés Un génie compris et C’est si beau de rire. Le premier contient douze lettres écrites de 1836 à 1877, le second neuf de 1845 à 1886. Leurs destinataires, qu’un répertoire situé après l’introduction présente rapidement mais assez précisément, sont pour l’essentiel des partenaires de travail, parmi lesquels le librettiste Piave occupe une place majeure avec un tiers de la sélection rassemblée. C’est du reste avec lui que Verdi se montre le plus familier, usant de l’insulte s’il est en colère ou de sobriquets moqueurs.
Peut-être manquons-nous d’humour et d’imagination mais ces derniers documents, pour intéressants qu’ils soient, n’ont pas déclenché en nous l’hilarité promise. Peut-être nous a-t-il manqué la complicité d’un co-lecteur pour partager l’amusement d’Eusebio Trabucchi, pseudonyme qui dissimule les deux fondateurs de L’ORMA. Il est probable que la drôlerie de ces lettres tient à leur ton et qu’on la percevrait mieux en les lisant à haute voix. Mais sans doute faudrait-il les entendre en italien pour recevoir toute la saveur des invectives, qui s’évente probablement à la traduction, pour si soignée qu’elle semble, hormis une bévue page 49 où les « largesses » attribuées à Piave sont vraisemblablement des « longueurs ».
Parmi les quatorze lettres restantes celles adressées par Verdi à son beau-père concernent l’une son dénuement milanais, l’autre son refus ferme et fier de tolérer les intrusions moralistes quant à son concubinage avec Giuseppina Strepponi. Celles adressées à ses amies Clara Maffei et Emilia Morosini contiennent des instantanés de ses déplacements liés à ses engagements, tant italiens qu’européens, des échos de la réception de ses œuvres, évoquent des relations communes ou envisagent des rencontres éventuelles dans l’écheveau de son emploi du temps. Dans les autres, adressées à des personnes liées peu ou prou à lui professionnellement, il expose ou explique, à l’occasion de créations, de reprises, de concerts ou de tournées, sa conception de son rôle ou sa conception de l’art. Il s’y montre aussi sourcilleux et entier qu’on le répute et qu’on l’aime.
Ainsi, en un format réduit aisément maniable, sous une jaquette sobrement séduisante, dans une mise en page élégante, une typographie claire, une iconographie succincte mais essentielle, le tout dû aux choix d’Elena Vozzi, voici un condensé de la personnalité du compositeur. Comme aide-mémoire pour les érudits ou abrégé de bonne facture pour les Verdiens néophytes, la qualité et l’originalité de la réalisation – outre un prix attractif – devraient lui assurer une large diffusion.